L’ELECTION
DU PATRIARCHE ATHÉNAGORAS
LE 26
JANVIER 1949, un nouveau patriarche accède au trône historique
de Constantinople, la nouvelle Rome à Istanbul. C’est Athénagoras,
d’abord métropolite de Corfou et, plus tard, archevêque orthodoxe
d’Amerique. Au centre sacré de l’Orthodoxie, qui siège au Phanar,
quartier d’Istanbul, c’est le souci œcuménique
qui, depuis des siècles, tel un message lumineux, tient grands ouverts
les horizons des orthodoxes.
Cependant,
dès les premiers jours des fonctions du nouveau primat, la prière
traditionnelle des Pères «pour l’union de tous» revêt un poids
qu’elle n’avait pas auparavant. Le Phanar s’élève au rang de
haut lieu de rencontre de toute l’humanité, de toute la chrétienté,
un lieu «concentré» où, en dépit de son exiguïté et de sa sobriété,
on sait inaugurer et achever des périodes et des époques et où l’œkumène
se rencontre, pour y puiser son inspiration, grâce, cette fois, au
souffle de la haute personnalité du patriarche Athénagoras.
Et le
patriarche sait justifier l’attente de l’humanité parce
qu’il incarne la quintessence de l’Annonce évangélique, la charité
chrétienne et la paix, qui constituent aussi le vœu de tous.
Charité
et paix dans toutes les directions, à l’adresse de toutes les Églises
de l’Orient et de l’Occident.
Par le
moyen de la charité et de la paix, Athénagoras s’efforce de
renforcer les relations avec le siège apostolique de Rome. Pour cela,
il s’est choisi deux manières: il fait savoir, avec insistance et à
plusieurs reprises aux milieux du Vatican -par l’entremise de
personnalités catholiques romaines en vue, qui lui rendaient visite- la
nécessité d’une ‘nouvelle Rencontre’ de retrouvailles chrétiennes,
au niveau de leur convenance à eux. Avec le nouveau représentant du
Saint-Siège à Istanbul, l’archevêque André Cassulo, il poursuit la
tactique pacifiste que le Patriarcat œcuménique appliquait avant la
guerre avec le délégué apostolique d’alors, l’archevêque Ange
Roncalli. Mais la mort subite d’André Cassulo, due à la très grande
emotion qu’il avait éprouvée lors de la visite que le patriarche lui
rendait, a interrompu cet effort († l953).
La sérénité
des premières années du regne d’Athénagoras est lourdement troublée
par un orage: l’homme qui avait cru avec autant de sincérité à la
marche pacifique de ses contemporains, en union étroite entre eux, voit
s’élever devant lui la fumée des débris de ses sanctuaires. C’est
le quasi anéantissement de ses visions (1955). Mais, `il n’y a
point de limite à Sa paix’110
Quand
son troupeau se remet de l’épreuve, Athénagoras tente de nouveau de
‘conclure l’alliance de paix’111.
l958
Le 7
octobre 1958, le patriarche apprend, par la presse, l’aggravation de
l’état de santé du pape Pie XII. Il se fait un devoir d’exprimer
dans un message ‘sa profonde douleur pour l’épreuve que subit le
pape et forme des vœux pour le rétablissement de la précieuse santé
du vénérable chef de l’Église catholique’. Le pape Pie XII
s’est endormi dans la paix du Seigneur le 9 octobre; le patriarche,
dans une nouvelle déclaration, fait savoir ‘sa pleine participation
au grand deuil de la vénérable Église de Rome et prie pour que
soit désigné un successeur digne du pape défunt’. Au Requiem du
l7 octobre, en l’église du Saint-Esprit, à Pangalti d’Istanbul, le
patriarche fait transmettre ses condoléances par le protosyncelle Émilianos112
et par le secrétaire en chef du Saint-Synode permanent, Siméon.113
Le délégué apostolique, l’archevêque Jacques Testa, ‘exprime aux
envoyés du patriarche, qui étaient placés à la tête des personnalités
officielles, ses remerciements, tout particuliers des condoléances déférentes
du patriarche, et il prie, par leur intermédiaire, Sa Sainteté Athénagoras
d’agréer ses très respectueux hommages’.114
«De
l’avis général, écrivait la revue officielle du Patriarcat œcuménique,
Pie XII fut une personnalité pontificale hors pair, qui s’est
distinguée par son activité ecclésiastique,
diplomatique et scientifique»115.
Après
les funérailles du pape Pie XII (13 octobre) et les
Messes
pour le
repos de son âme, le Sacré Conclave des cardinaux se réunit le 25
octobre pour élire son successeur.
L’
ÉLECTION DU PAPE JEAN XXIII
Le
quatrième jour, le 28 octobre, de la cheminée de la chapelle Sixtine
s’élève la fumée blanche, signe de l’élection de 262ème pape.
À 18h.30, l’archidiacre cardinal Nicola Canali annonce: «Son Éminence
Révérendissime Monsieur le cardinal Ange Joseph Roncalli, patriarche
de Venise, succède à Pie XII, sous le nom de Jean XXIII».
Ainsi,
la Divine Providence; qui envoie au monde orthodoxe le patriarche Athénagoras,
fait également don au monde catholique romain du pape Jean XXIII (1958)116.
L’élection
d’un pape d’un âge aussi avancé -chose qui ne s’était pas vue
depuis l’élection de Clément XI I en 1730- fut une surprise. On écrivit
les commentaires les plus contradictoires. Ceux qui ne le connaissaient
pas, hésitaient devant le poids de son âge. Ceux qui le connaissaient
voyaient clairement la main de Dieu ouvrir la voie à une époque
nouvelle.
Le
patriarche Athénagoras envisage l’élection du nouveau primat de l’Église
de Rome avec beaucoup d’optimisme et encore plus d’espoirs. C’est
pour cela qu’il salue tout de suite, par une declaration, la
proposition faite par le pape d’une ‘coordination des efforts pour
le triomphe d’une paix véritable et durable’, proposition que le
pape avait lancée dans son premier message radiodiffusé urbi
et orbi le 29 octobre 1958. En outre, le patriarche adresse
ses félicitations au pape et lui souhaite ‘succés, longévité et
force venant de Dieu pour l’accomplissement.de sa mission sacrée’.
Le 4
novembre 1958, à l’occasion de l’intronisation du pape Jean XXIII
en la basilique de Saint-Pierre au Vatican, la délégation apostolique
à Istanbul donne une réception, à laquelle le protosyncelle Émilianos
et le secrétaire du Saint-Synode Simeon se rendent officiellement et présentent
les vœux du patriarche à l’archevêque Jacques Testa, délégué
apostolique117. Le lendemain, l’organe officieux du
Patriarcat œcuménique, «L’Apôtre Andre», publiait les vœux du
patriarche, transmis au délégue apostolique: «Sa Sainteté attend de
la part du nouveau pape Jean XXIII la justification de son nom de Jean,
selon ce qui est dit dans l’Évangile, ‘Parut un homme envoyé de
Dieu. Il se nommait Jean’». Le fait de transmettre au Vatican les vœux
du patriarche par l’intermédiaire de Jacques Testa, ‘le fils
spirituel et très aimé’ du nouveau pape et qui avait été son secrétaire
particulier (1937-1939) et son collaborateur pour la Grèce (1939-
1944), revêtait un sens particulier.
À
partir de ce moment-là, le partiarche suit avec un vif intérêt dans
la presse internationale les premiers pas du pontificat du pape Jean
XXIII et, surtout, le choix de ses collaborateurs. Il se réjouit quand
il apprend l’élévation au cardinalat de son vieil ami, l’archevêque
de Boston, Richard James Cushing, et de certaines autres personnalités,
dont il connaissait, par de tierces personnes, les bonnes dispositions
et les vues, comme celles de l’archevêque de Milan Jean Montini, le
futur Paul VI, de celui de Vienne, François Koenig, et de celui de
Berlin; Jules Doefner (l7 novembre).
Dans
son message de Noël, le pape insiste sur le fait que : ‘Jésus fonda
sur la terre une église, une, dont la caractéristique doit être
l’unité’. Dès qu’il apprend indirectement l’appel du chef de
l’Église de Rome pour l’unité, le patriarche l’accueille avec
joie; il salue fraternellement cet appel et le traduit comme la compréhension
très nette de la nécessité d’une Rencontre et d’une
identification des forces spirituelles, que l’Église, divinement
instituée par le Christ, représente, non pas dans la division mais
dans I’unité. Cette rencontre peut se réaliser soit au sein du
Conseil Mondial des Églises, soit ‘dans le cadre de contacts
particuliers avec la vénérable Église d’Occident’. Et le message
du patriarche Athénagoras, a l’occasion du nouvel an 1959, se termine
par ces mots d’une lourde signification : «Τout appel à l’unité
doit être accompagné d’actes et de dispositions indispensables et
concrets, qui démontreraient, d’une part, l’harmonisation de ces
actes avec les intentions et, d’autre part, nous porteraient, nous et
les membres de nos Églises respectives, réellement plus près du
Seigneur, et ce, au moins pour l’instant, sur un terrain pratique et
dans un esprit d’égalite, de justice, de liberté spirituelle
et de re- spect mutuels.
Enfin,
y est exprimé le vœu que la très sainte Église de Rome se tourne
fraternellement vers l’Orient118.
Le
dialogue entre le patriarche Athenagoras et le pape Jean XXIII est désormais
ouvert devant l’opinion publique mondiale.
l959
L’ANNONCE
DE LA CONVOCATION DU IIe CONCILE DU VATICAN
Le 25
janvier 1959, dans la basilique de Saint-Paul de Rome, le pape Jean
XXIII répondait au message patriarcal avec des paroles ardentes,
prelude d’une annonce grandiose: ‘Unité, liberté et paix composent
un triptyque qui, considéré à la lumière de la foi apostolique,
demeuré pour nos âmes une cause d’élévation et de chaleureuse
fraternité humaine et chrétienne’119. Après l’office,
le pape convoqua dans la même basilique un consistoire secret, auquel
participèrent dix-huit cardinaux, et il annonce officiellement la
convocation d’un nouveau Concile œcuménique, ‘une idée qui est
venue comme une fleur spontanée d’un printemps inatendu’120
Le lendemain; on en donnait l’annonce officielle.
En
Occident, on a qualifié le fait comme un acte vigoureux, d’une grande
portée historique, de la part de l’Église, ayant pour but
d’affronter directement les problèmes contemporains et d’ouvrir la
voie vers l’unité.
L’Orient
regarda ce fait avec l’espoir d’un renouveau qui conduirait à la
redécouverte de «l’homogéneité» dans l’universalité12l.
La
Divine Providence a placé sur la passerelle du commandement de l’Église,
par deux voies différentes, deux chefs qui ont conscience de la
tragedie de la scission. Le patriarche Athénagoras avait ressenti la nécessité
de l’union, alors qu’il était en Amerique, donc en Occident et le
pape Jean, alors qu’il servait dans les Balkans, par conséquent en
Orient.
C’est
le début de relations plus chaleureuses; le patriarche en prend
l’initiative. Il envoie auprès du pape, en visite officielle mais
secrète encore, l’archevêque orthodoxe d’Amerique, Mgr. Iacovos, récemment
élu; celui-ci a pour tâche d’examiner jusqu’où s’arrêtent les
projets du pape en ce qui concerne le Concile annoncé, et, plus
particulièrement, d’apprendre ses propres dispositions en ce qui
concerne l’unité des Églises. L’archevêque arrive à Rome et il
est reçu par le pape le 17 mars 1959, en une audience de 45 minutes.
Nous avons donné ci-dessus (Première partie) le texte complet de cette
rencontre historique.
ÉCHANGE
DE VISITES
Un mois
après, le jeudi l6 avril, de 11 heures à midi, le délégué
apostolique, Mgr. Jacques Testa, accompagné de son secrétaire,
l’abbe Sartorelli, rend visite au patriarche œcuménique. On le reçoit
solennellement. Il vient présenter les remerciements du pape Jean XXIII
pour la participation du patriarche au deuil causé par la mort de Pie
XII; mais il vient aussi le remercier pour les félicitations et les vœux
pour l’élection de Jean XXIII au pontificat et pour la visite de
l’archevêque d’Amerique. À cette occasion, Mgr. Testa offre au
patriarche de la part du pape la médaille d’or de son avénement au
siège de Rome. Le patriarche témoigne beaucoup d’honneurs au représentant
de Jean XXIII et lui fait part, à cette occasion, de ses vues sur
l’unité qu’il prie le délégué apostolique de transmettre au pape
avec ses remerciements.
Une
deuxième fois, le patriarche ignore le Protocole122. Il se
rend personnellement à Pangalti, au siège de la delegation
apostolique, marquant ainsi combien il apprécie la réaction de Rome à
ses vues. Il y est reçu avec de grands honneurs et des manifestations
chaleureuses.
De son
côté, le pape Jean XXIII, à la même époque, montre clairement ses
bonnes dispositions en faveur de l’unité. S’adressant à des
membres du clergé de son ancien diocèse de Venise, il précise, en se
référant au problème de l’union, qu’«il entend tout d’abord le
rapprochement, puis les contacts et, à la fin, l’union parfaite».
Le 22
mai, le pape reçoit, en audience officielle, les souverains orthodoxes
de Grèce, Paul et Frédérica. Dans ses allocutions et dans son
audience privée, il manifeste une nostalgie profonde pour l’Orient et
exprime son attente de voir s’établir de meilleures relations entre
le Saint-Siège et la Grèce123.
Entre-temps,
les préparatifs de Vatican II se poursuivent; le caractère qu’il
doit revêtir apparaît progressivement. L’archimandrite
Christophe Dumont, directeur du centre «Istina» et ami personnel du
patriarche, lui fait savoir que, selon ses propres estimations d’après
les contacts qu’il a eus, le nouveau Concile ne sera pas «unioniste»,
comme le malheureux Concile de Florence (1439), mais «qu’il n’est
pas prévu directement pour l’union, mais indirectement, par la voie
de l’aggiornamento (renouveau)124». Pourle
patriarche c’est une grande joie; parce que cela lui révèle
qu’effectivement on a choisi le chemin le plus efficace, celui du
travail intérieur; si celui-ci avait été choisi aussi à Βâle
(1431), il avait été oublié à Florence, avec, pour double résultat,
d’une part, le naufrage de l’union et la révolte de Luther,
d’autre part, qui se produira environ un siècle plus tard (l520).
Au mois
de juin 1959, le délégué apostolique en Turquie, Mgr. Jacques Testa,
est promu recteur de l’académie pontificale ecclésiastique de Rome.
Le patriarche fait transmettre ses félicitations à l’éminent
collaborateur du pape Jean XXIII par son secrétaire en chef Siméon
et fait encore un pas, sans précédent dans les annales du Patriarcat:
deux jours avant le départ de Mgr. Testa pour Rome, le 28 juillet, le
patriarche l’invite et offre en son honneur un repas auquel ont été
invités, outre l’abbé Sartorelli, tous les membres du Saint-Synode :
on y remarquait notamment les métropolites: Thomas, de Chalcédoine;
Iacovos, de Derkos; Léonce, de Théodoroupolis; Constantin,
d’Irinoupolis; Philothée, de Prikonnissos; Iacovos, de
Philadelphie et Émilianos, de Séleucie, ainsi que divers hauts
dignitaires du Patriarcat. Après le repas, des conversations se déroulèrent
au bureau du patriarche, dans une atmosphère de ‘grande cordialité’
et, cela, pendant plus d’une heure, au sujet de l’inauguration
d’une période toute nouvelle dans les relations entre le Vatican et
le Phanar, dans l’intérêt de l’Église du Christ et de celui
de l’humanité. Mgr. Jacques Testa fit, par la suite, au pape Jean
XXIII la description du climat qui avait régné dans cette réunion. Le
vénéré primat de Rome enjoignit au nouveau délégué apostolique,
l’archevêque François Lardone, de manifester, des son entrée en
fonction en Turquie, l’estime profonde et le respect que le pape
portait à l’égard du patriarche Athénagoras et du Patriarcat œcuménique.
CONFERENCE
THÉOLOGIQUE OFFICIEUSE
Du 19
mai au 27 août 1959, se réunit dans l’île de Rhodes qui, ecclésiastiquement,
relève du Phanar, le Comité central du Conseil Mondial des Églises.
Des observateurs catholiques romains en suivent les travaux. C’est là
que, sans aucune note officielle ni ordre du jour quelconque, se
rencontrent, au soir du 21 août: du côté catholique, le Mgr. Jean
Willebrands, alors professeur et aujourd’hui cardinal,
l’archimandrite Christophe Dumont et les théologiens et religieux rév.rév.
Strotman, Villain et Wenger. Du côté orthodoxe, la plupart de ceux qui
y assistent se trouvent à Rhodes en qualité de membres du comité
central: Iacovos, métropolite de Philadelphie125, les
professeurs Hamilcar Alivizatos, Basile Joannidès, Chrysostomos
Constantinidès126, l’archiprêtre Georges Florofsky,
l’archi mandrite Émilianos Timiadès127, et d’autres.
Après une courte introduction de Mgr. Iacovos, le père Dumont souligne
la nécessité de cultiver et de développer les relations entre théologiens
et représentants ecclésiastiques des deux Églises: «Il parla avec
ardeur, sincérité, simplicité et un esprit chrétien par excellence,
de telle manière que le plus sévère des partisans de l’
‘isolationnisme’ en aurait été ému»128. Après s’être
référé aux rencontres entre théologiens orthodoxes et catholiques,
à Paris, rencontres qui avaient démontré qu’il existait un terrain
d’entente, le père Dumont demanda la réalisation d’une réunion
mixte de théologiens pour l’année 1960 (sans doute à Venise), pour
étudier certains sujets, comme, p.ex., celui de la place des évêques
dans l’Église: Il proposa également des échanges et des visites
entre clergé et théologiens, des relations personnelles et un échange
d’étudiants en théologie. Tout cela devait avoir pour but de
constituer un préambule à des relations plus officielles dans
l’avenir; c’est pourquoi cela devra se faire sans trop de bruit et
avec circonspection. Mais, le lendemain, la presse mondiale, qui
attendait depuis toujours l’annonce d’un pareil événement, répandit
la nouvelle; elle lui donna cependant un tout autre sens, en présentant
ces contacts officieux et fraternels comme un commencement de
pourparlers ‘qui se fait avec la bénédiction des deux primats’; le
fait est que cela fut mal interprété de la part des responsables du
Conseil Mondial des Églises parce que cela repoussait dans l’ombre,
en quelque sorte, l’œuvre principale de son Comité central. En dépit
de l’amertume ressentie et du bruit fait autour de l’affaire, cette
rencontre officieuse fut un généreux prélude au dialogue, par lequel
la Divine Providence tissait les premières heures de l’histoire ecclésiastique
contemporaine.
Au mois
de septembre 1959, le Saint-Siège avait donc nommé comme délégué
apostolique en Turquie l’archevêque François Lardone, de Risée
(1959-1966), ancien journaliste et, pendant une dizaine d’années,
nonce à Haïti, à la République Dominicaine et au Pérou. Celui-ci
prend possession de son siège au mois de novembre, alors que le
patriarche se trouvait pour un mois (16 nov. - 16 déc.) en pèlerinage
en Terre Sainte et en visite aux très anciens Patriarcats
d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem.
LE
PATRIARCHE AU MOYEN ORIENT
Le
voyage du patriarche Athénagoras au Moyen-Orient, outre son importance
pour assurer la marche en commun des Églises orthodoxes; vers un
renouvellement, contribua à faire disparaître la manière antichrétienne
en usage jusqu’alors dans le problème des rapports réciproques entre
orthodoxes et catholiques en Τerre Sainte et, de façon
plus générale, à établir et à cultiver des relations selon
l’esprit et la charité du Christ.
À
Beyrouth, le patriarche eut des entretiens fort utiles avec le nonce
d’alors Paul Bertoli, archevêque de Nicomédie (aujourd’hui
cardinal). À Jérusalem, il rencontra les chefs des diverses Églises
et Communautés au sujet de la question de l’unité. Rome y était
représentée par le patriarche latin Alberto Gori († l970) et par
l’archimandrite melchite Abou-Sadda ; les Arméniens, par l’évêque
Shouren ; et les coptes, par l’évêque Basile. À Alexandrie,
catholiques romains et orthodoxes, en présence du patriarche, ont élevé
une prière commune pour l’unité. Au Caire, le 6 decembre 1959, le
patriarche déclare: «Il n’y a aucune raison pour que nous demeurions
divisés. Nous avons le même Évangile, le même Christ, la même
doctrine de base».
Les déplacements
du patriarche au Moyen-Orient en faveur de l’union des Églises
marquent une étape dans les annales du Patriarcat œcuménique: Dans le
message patriarcal de Noël 1959, on a pu voir le reflet des résultats.
Au
retour du patriarche au Phanar, le nouveau délégué apostolique François
Lardone lui rend une visite officielle; il y est reçu avec tous les
honneurs dus à son rang.
Le
lendemain de Noël, le patriarche reçoit la visite de l’archevêque
de New-York, le cardinal Francis Spellman,129 une vieille
connaissance d’Amerique (1939-1949). Le voyage du cardinal en Turquie
s’explique par sa qualité d’aumônier catholique romain des Forces
des États-Unis: il était venu fêter Noël avec les militaires des
bases américaines. À l’audience patriarcale, il est accompagné du délégué
apostolique Mgr. Lardone. Un accueil très chaleureux leur est réservé.
Durant l’entretien, le patriarche développe ses idées relativement
à la question de l’unité et prie le cardinal de les transmettre au
pape Jean XXIII, ce que le cardinal Spellman s’empressa de faire
personnellement, à son retour.
Quatre
fois au cours de l’année 1959, le délégué apostolique a été reçu
au Patriarcat œcuménique. Les conditions dans lesquelles ces visites
furent réalisées, l’accueil dont il a toujours été l’objet et
les sujets de discussion demontrent qu’il ne s’agissait point de
manifestations banales et toutes conventionnelles, dépourvues de sincérité:
bien au contraite!
l960
La
Semaine de prière pour l’unité, adoptée sur le plan international
(la 3ème semaine de janvier); est une occasion pour les fidèles
d’exprimer leur vif désir pour le rétablissement de la fraternité
chrétienne. Le pape Jean XXIII prend part à ces manifestations: il en
profite pour communiquer avec les chrétiens d’Istanbul qui lui sont
si chers; les pensées qu’il leur exprime viennent du fond de son cœur.
Il rappelle son séjour sur les bords du Bosphore et sa dévotion à
saint Jean Chrysostome, ‘qui a toujours été un grand protecteur pour
lui’130. Le cardinal Jean Montini -le futur
Paul VI- dans une allocution prononcée pendant la
Semaine d’unité a dit, à son tour: «il faut que pour tous l’unité
soit un bien d’importance suprême, une loi de vie (...). Nous devons
regarder le fait de la division des forces chrétiennes avec crainte,
mais aussi avec sympathie. Nous sommes convaincu que nulle imposition
venant de l’extérieur, sous une forme quelconque, n’est capable
d’apporter l’unité, pour la raison que l’acte religieux, dans sa
nature, doit être libre, personnel, ésoterique (...)131.Pour
ceux qui croient au Nouveau Testament, l’unité est la conséquence de
leur relations avec le seul Christ, qui appelle tous à l’unité
(...). L’unité se trouve dans l’esprit du christianisme (...). Tout
ce qui sent le particularisme, l’exclusivisme, l’égoïsme, doit être
corrigé et surmonté par ceux qui possèdent l’esprit chrétien, par
le moyen de l’esprit et de la volonté d’unité (...). La foi ne
constitue pas un égoïsme religieux, tout comme la charité ne
constitue pas un pacifisme religieux».
Après
la visite du président de la République Turque, S.E. P. Gelal Bayar,
au pape Jean XXIII (11.6.59), les relations diplomatiques entre le
Saint-Siège et la Turquie avaient été élevées au rang d’«internonciature
apostolique» (26.1.60), et le siège de la délégation apostolique est
transféré, après 92 ans (l868-1960), d’Istanbul à Ankara. C’est
l’archevêque François Lardone qui, lors de sa visite du 22 mars au
Phanar, fait part du transfert au patriarche; le 26 mars, il présente
ses lettres de créance au président de la Republique, à Ankara.
Mgr
Lardone revient encore au Phanar après Pâques, le 20 avril, pour les vœux
fraternels d’usage. Entre-temps, avant de partir pour le Vatican, le
premier ambassadeur turc, P. Noureddin Vergin (1960 - 1961), se rend également
en visite officielle au Phanar.
FONDATION
DU SECRÉTARIAT POUR L’UNITÉ AU VATICAN
Une
institution d’une importance décisive est la création par le pape
Jean XXIII du Secrétariat pour l’unité des chrétiens. Dans sa pensée,
«l’unité devait devenir l’un des fruits les plus précieux du
futur Vatican II, pour la gloire de Dieu et pour la joie universelle, en
vue de réaliser le mystère de la communion des saints»132.
Ainsi, par le motu proprio «Superno dei mutu»133,
du 5 juin 1960, jour de la Pentecôte des occidentaux, le Secrétariat
est créé et sa présidence confiée par le pape à son initiateur, le
cardinal Augustin Bea (6.6.60). Au début, il était prévu comme un
comité simplement préparatoire de Vatican II, pour régler les
relations ecclésiastiques publiques avec les non-catholiques. Le
cardinal Bea, dans ses déclarations, en a précisé le rôle: «Le Secrétariat
sera utilisé comme lien entre les non-catholiques et le Concile, en
leur procurant des renseignements et en recueillant leurs désirs et
leurs suggestions. Il servira aussi à l’étude des points
communs entre eux et l’Église catholique sur le plan doctrinal,
administratif et liturgique»134. Cependant, le Secrétariat
devait par la suite évoluer et suivre les progrès de l’esprit œcumenique,
d’après la façon dont il était formé par la conscience conciliaire
des membres de Vatican II135. Son utilité a été prouvée
tout au cours des travaux du Concile. En conséquence, après Vatican
II, le Secrétariat est devenu un organisme permanent du Saint- Siège136.
La
grande œuvre est désormais commencée. La pensée d’un précurseur
de l’esprit œcuménique, l’abbé Couturier, a prévalu: «Dorénavant
, nous prierons pour l’unité, telle que le Christ l’a voulue, et
non pour un retour des autres chrétiens au sein de Rome».
Le 18
octobre, à peine rentré de Rome, Mgr. Lardone se rend au Patriarcat.
Il transmet au patriarche le “salut fratermel” du pape Jean XXIII et
le met au courant des derniers développements du Mouvement œcuménique.
Entre-temps,
le Patriarcat œcuménique est représenté désormais d’une manière
reguliére, par de hauts dignitaires, aux diverses manifestations
officielles de l’Église catholique à Istanbul, comme
l’inauguration d’une plaque commémorative au palais de
l’internonciature apostolique, qui fut la résidence du pape Jean
XXIII à Istanbul (1935-1944) et, au mois de novembre, les solennités
de l’anniversaire de son intronisation.
Le 29
novembre 1960, l’archevêque anglican de Canterbury, le Dr. Fisher,
vient visiter le Phanar. Le 1er décembre, il visite aussi le Vatican.
Sa visite aux deux centres ecclésiastiques est interprétée par une
partie de la presse comme un effort de médiation; ce qui oblige le Dr.
Fisher à faire cette déclaration: «Le patriarche et le pape n’ont
pas besoin de ma médiation pour leurs contacts éventuels. Le pape
d’ailleurs connaît très bien et la ville d’Istanbul et son Église».
Le
message de Noël du patriarche, rédigé en termes sobres, est la
proclamation du désir sincère pour la réalisation de l’unité. «Si
l’Église, y est-il dit, était unie et non divisée, elle pourrait
exercer mieux une influence majeure sur les destinées et la marche des
peuples». II salue la création par le pape du Secrétariat pour
l’unité et conclut, en se référant aux événements de 1960. «Ces
communications, directes ou indirectes, et ces contacts témoignent que
les Églises ont commencé à sortir désormais de l’isolement auquel
une intransigeance séculaire; injustifiée, les avait condamnées, et
à se rapprocher l’une de l’autre, comme des sœurs. Et il est réconfortant
de voir que ces bonnes dispositions, manifestées en haut lieu,
rencontrent la compréhension et le prompt soutien du peuple de
Dieu(...)».
l96l
À
l’occasion de la Semaine pour l’unité de 1961, reprend à nouveau
le cycle des conférences et des débats sur le brûlant problème de
l’unité.
À
Milan, le cardinal Jean Montini invite le représentant permanent du
Patriarcat œcuménique auprès du Conseil Mondial des Églises, l’évêque
Émilianos de Méloès137, à donner une conférence, ce qui
permet au cardinal d’entamer avec lui de très bonnes relations
personnelles, les horizons grands ouverts, à la vive satisfaction du
Phanar.
À
Ferrare, le président du Secrétariat pour l’unité des chrétiens,
cardinal Augustin Bea, déclare, lors d’une conférence: «Il ne faut
pas oublier que les orthodoxes ont une succession apostolique régulière,
que leurs sacrements sont valables pour nous, et qu’ils conservent
l’ancienne Tradition des Apôtres et des Pères de l’Église. Ils
nient surtout les décisions des Conciles qui ont eu lieu après la
separation. Pour le rapprochement, il est indispensable de cultiver un
climat d’amitié, par la charité dans le Christ, cette charité qui
detruit les préjugés et les malentendus de l’histoire»138.
Entre-temps,
le Secrétariat pour l’unité des chrétiens s’organise. Une
personnalité d’esprit et d’expérience œcuménique en devient le
secrétaire: c’est un prêtre et professeur hollandais, le Mgr. Jean
Willebrands, qui a déjà servi comme secrétaire général de la Conférence
catholique romaine pour les questions œcuméniques, et que les milieux
ecclésiastiques orthodoxes et protestants estimaient beaucoup pour sa
collaboration sincère dans les efforts de rapprochement.
Le 16
avril, le pape Jean XXIII montre son amour pour la tradition liturgique
orthodoxe par un geste encore jamais vu au cours des siècles précédents:
il confère l’ordination épiscopale a l’illustre professeur de
droit canon oriental et membre du clergé melchite, Acace Coussa; le
pape y est assisté de deux autres prélats et l’ordination se déroule
dans la fameuse chapelle Sixtine, avec une magnificence toute byzantine.
Le pape célèbre la Sainte Liturgie de St. Jean Chrysostome, revêtu
des habits sacerdotaux et ornements d’évêque orthodoxe; sur sa tête,
il porte la tiare papale, tout comme le patriarche d’Alexandrie; il
tient a la main une crosse pastorale surmontée, cette fois, d’une
croix.
LA
PREMIÈRE DÉLÉGATION OFFICIELLE DU VATICAN
Les
travaux préparatoires de Vatican II imposaient le devoir de bien éclaircir
les points de vue «unionistes» de part et d’autre. Par ordre du
pape, une visite officielle a lieu le 20 juin au Phanar et une Légation
constituée de Mgr. Jacques Testa, recteur de l’académie ecclésiastique
de Rome, et du père Alphonse Rhaas, recteur de l’institut oriental de
Rome, accompagnés de l’internonce à Ankara, Mgr. François Lardone,
se rend au Patriarcat. Elle y est reçue avec de grands honneurs. La légation
transmet au patriarche les vœux du pape Jean XXIII et fournit les
renseignements relatifs aux préparatifs du Concile; elle déclare qu’à
Rome on apprécie grandement l’intérêt porté par le patriarche œcuménique
au Concile. En reponse, le patriarche souligne «la volonté que l’on
constate de toutes parts dans le monde chrétien, largement disposé en
faveur de la collaboration et de l’unité» et il exprime le désir «d’être
renseigné à fond sur tout ce qui concerne le Concile». Mais, comme
les représentants du pape ne pouvaient pas tout connaître de l’évolution
des événements à Rome, ils disent au patriarche qu’il aurait tous
les renseignements voulus lorsque l’ordre serait donné par le pape au
cardinal Cicogniani à cet effet. Après l’audience chez le
patriarche, les délégués s’entretinrent avec, le Comité ad hoc,
constitué des métropolites Chrysostomos, de Néo-Césarée; Méliton,
d’Imbros et Ténédos139; et Chrysostomos, de Myra, avec,
comme secrétaire, le secrétaire en chef du
Patriarcat, Siméon. Dans l’après-midi, une représentation
patriarcale, composée des membres du Comité, rendit la visite au siège
de la légation pontificale, où elle fut reçue avec de grands honneurs
également. Le lendemain, une nouvelle rencontre entre le patriarche, la
légation pontificale et le Comité des métropolites a eu lieu à l’école
théologique de Halki.
Cette
visite fut un événement considérable. Elle constituait une ouverture
en vue de contacts officiels et d’une entente plus large, car elle
visait également à lever les divergences existantes, et cela en toute
sincérité et dans l’amour.
Au début
du mois de juillet 1961, le cardinal A. Bea opère une refonte du
travail de son Secrétariat: ‘celui-ci a pour but d’attirer
l’attention tant des comités préparatoires de Vatican II que du
monde catholique romain sur les problèmes et les désirs des Églises
chrétiennes séparées’. Se référant en particulier aux orthodoxes,
il précise que ‘Sa Sainteté le patriarche de Constantinople
Athénagoras a déclaré à plusieurs reprises et à de nombreuses
personnes qui lui ont rendu visite qu’il était disposé à visiter
Rome. Il y sera reçu avec joie. Pourtant, il n’est point exclu de
trouver auparavant une manière directe de contact avec le patriarche’140.
Le
Patriarcat, dès le début du XXe siècle, avait conscience du fait que
l’Église orthodoxe, en tant qu’organisme vivant, se doit de dépasser
l’état statique, qui la ferait ressembler à un fossile de musée;
elle se doit de discerner entre ce qui est essentiel et ce qui peut être
modifié dans sa Tradition et de s’exprimer en des formes et visages
intelligibles a l’homme contemporain, ainsi que le faisaient précisément
les Pères à toutes les périodes de l’histoire. La notion de
l’Orthodoxie n’est pas liée aux façons d’exprimer la vérité à
chaque époque, mais se rattache à la substance de la vérité, tout
comme cette dernière apparaît aux âmes, pour entretenir avec elles un
lien organique et ésotérique141.
C’est
cette position réaliste qui conduit les orthodoxes à s’efforcer, à
plusieurs reprises, de 1923 à 1948, à organiser des Rencontres.
Pourtant, les difficultés refrènent parfois ces bonnes dispositions.
Ces difficultés du reste, ont leur source, dans la plupart des cas,
dans une réserve artificielle sous laquelle était dissimulée tantôt
une lâcheté pour «l’aujourd’hui»,tantôt une phobie, à l’égard
des responsabilités du «lendemain», toutes deux étrangères aux
conceptions de l’Orthodoxie.
En dépit
des hésitations, le patriarche Athénagoras et ses collaborateurs osent
se mettre à l’avant-garde. Quel navire hésite à prendre le large en
raison de l’éventuel danger de tempête et d’orage?
LA
PREMIÈRE CONFÉRENCE PANORTHODOXE
On
continue à s’entendre au sujet de la convocation d’une Conférence
Panorthodoxe, après les débuts de 1952; puis, sont survenus les événements
de 1955. Mais, en octobre 1959, le patriarche reprend les contacts et,
finalement, du 24 septembre au 1er octobre 1961, est convoquée, dans
l’île de Rhodes, la Première Conférence Panorthodoxe. Y prennent
part 61 représentants des 12 Églises autocéphales orthodoxes, parmi
lesquels 33 évêques, 12 prêtres et l6 théologiens laïcs. Trente
observateurs de toutes les Églises et Confessions suivent les travaux
de la Conférence, sur invitation du Patriarcat œcuménique. Le président
de la Conférence, métropolite Chrysostomos, de Philippes et Neapolis142,
dans son discours inaugural, déclare: «C’est la même charité et le
même amour que j’exprime dans le Christ, également envers les chers
représentants des Églises d’Orient et envers ceux qui proviennent de
celles d’Occident, avec lesquels ces liens étroits sont le présage
de contacts encore plus resserrés»143.
Outre
le métropolite Chrysostomos, la délégation du Patriarcat œcuménique
comprend les métropolites Maximos de Sardes, Méliton d’Imbros et Ténédos,
Chrysostomos de Myra, ainsi que le grand économe Georges Anastassiadès,
le grand protonotaire Émmanuel Photiadès et le professeur Basile
Anagnostopoulos. Les observateurs catholiques romains, venus à titre
officieux, sont: l’archimandrite Christophe Dumont, et les pères
Pierre Duprey, Antoine Wenger, Athanase Van Ruyven, Emmanuel
Jungelaussen, Joseph Minihan, Elpidios Stéphanou, Jean Marangos, ainsi
qu’un jésuite américain.
Une
commission de neuf membres, présidée par le métropolite de Poldavie,
Mgr. Justin, s’est occupée de la question des rapports entre
l’Orthodoxie et Rome et l’a formulée de façon à la fois positive
et constructive, en tenant compte des décisions déjà prises en 1930,
au Mont-Athos, par la Commission Panorthodoxe d’alors. Le texte arrêté
à Rhodes recommande «l’étude des points positifs et négatifs qui
existent entre les deux Églises»; il préconise de ‘cultiver les
rapports dans un esprit de charité selon le Christ, compte tenu
notamment des points prévus dans l’encyclique patriarcale de 1920’144.Cette
façon correcte de formuler la décision, n’était pas seulement le
fait d’une rectitude de jugement, mais aussi celui de la conviction
calme et réfléchie de l’Orthodoxie, qui prévoyait que les relations
avec Rome devaient passer par une période d’étude et de charité
selon l’esprit du Christ’, puisqu’il s’agit indubitablement et
sans détours d’une Église-Soeur.
La
Première Conference Panorthodoxe était donc la révélation en une
seule âme de l’unité orthodoxe et l’expression unanime de la
vision de la rénovation et de l’unité de l’Orthodoxie. La liste
des sujets dont il fut décidé qu’ils constitueraient le noyau du
futur ordre du jour du Grand Concile145, et ce en dépit
de ses lacunes qui seront comblées plus tard, constitue une
justification de l’Orthodoxie aux yeux de l’humanité; elle montre
qu’il existe une conscience des temps; elle manifeste de quelle manière
l’esprit des Pères a été revivifié, comment on a trouvé le simple
langage commun du dialogue fraternel et comment, enfin, au dessus de
toutes les conceptions divergentes-subjectives ou d’importance locale
-c’est l’Orthodoxie qui «s’élève»146.
Les
impressions des observateurs catholiques romains ont été
extraordinaires: le père Christophe Dumont, le 10 octobre, en fait part
au patriarche personnellement et le père Pierre Duprey, en deux
articles très documentés sur le Mouvement Panorthodoxe depuis 1923, en
publie un long compte-rendu147.
Entre-temps,
l’internonce, Mgr. Fr. Lardone, dès son retour de Rome, rend visite
au patriarche. Il est porteur ‘des salutations fraternelles du
pape’, lequel ‘avec un très grand intérêt désirait être informé
de l’évolution des affaires intérieures de l’Orthodoxie’. Le
patriarche rendit les voeux. Et, quelques jours après, profitant du
passage par Rome de l’archimandrite roumain, André Scrima, il fit un
geste empreint de simplicité fraternelle et de cordialité: il envoya
au Vatican des ‘gateaux d’Istanbul’. Le pape, tout aussi
simplement et avec autant de cordialité que le patriarche, lui fit
parvenir en retour trois médailles de son 80ème anniversaire. Dans cet
humble èchange de gestes d’amitié; on peut voir toute la sainte
simplicité de ces deux primats, capables de passer des ‘plus petites
choses aux plus grandes’.
Dans le
monde orthodoxe, l’estime déférente pour le pape Jean XXIII accroît
sans cesse. Une autre personnalité, également sainte et d’envergure,
le théologien russe, Cassien, évêque de Catane († l965), déclarait
à Strasbourg: «Le pape Jean XXIII a vu ce que les autres n’avaient
pas vu, et de plus, il a vu plus qu’il croyait qu’il allait voir: il
a vu l’unité chrétienne et l’immense effort que notre foi doit déployer
dans sa marche vers elle».
D’autre
part, dans le monde catholique romain, la figure du patriarche Athénagoras
suscite toujours plus de respect et d’admiration. Cela est prouvé par
deux événements, fin 1961: d’abord une visite, non point officielle,
mais historique; ensuite une lettre officielle et extrêmement intéressante,
avec la réponse qui y est donnée.
En
effet, pour la deuxième fois en deux ans, un cardinal visite le Phanar.
Ce fut du 26 au 28 novembre. Et il s’agissait du cardinal archevêque
François Koenig de Vienne, primat de l’Église d’Autriche. On lui réserva
une réception grandiose. Pendant le repas, il y eut, au sujet de
Vatican II, de longs entretiens entre le cardinal et le patriarche
entouré des prélats du Saint-Synode. On constata avec émotion le
respect témoigné par le cardinal pour le Patriarcat et l’on fut ravi
par sa clarté, sa sincerité, son courage, mais aussi par son très
large esprit chrétien.
LA
PREMIÈRE CORRESPONDANCE ENTRE LE VATICAN ET LE PHANAR
D’autre
part, le cardinal Augustin Bea, président du Secrétariat pour l’unité
des chrétiens, écrit une première lettre officielle au patriarche Athénagoras,
inaugurant ainsi les relations déjà historiques entre le Saint-Siège
et le centre sacré de l’Orthodoxie, sur in plan officiel de communion
directe.
Dans ce
texte du 6 décembre 1961, le cardinal, à l’occasion de l’envoi des
medailles du 80ème anniversaire du pape, dit qu’elles constituent une
preuve tangible «de la reconnaissance du saint Père» envers le
patriarche. Et il poursuit: «Depuis longtemps, je suis avec le plus
grand intérêt les efforts de Votre Sainteté en vue de l’unité chrétienne,
efforts dont un exemple remarquable fut la conférence de Rhodes148».
La réponse
vient par une lettre du métropolite Maximos de Sardes, datée du 21 décembre
1961: il s’y exprime l’émotion du patriarche pour les sentiments
fraternels du pape, ‘qui aime l’unité chrétienne et qui travaille
pour elle’. «Que le Seigneur Dieu bénisse les efforts des chefs ecclésiastiques,
faits dans la charité et dans l’esprit du Christ, en vue
d’accomplir le commandement du Seigneur: ‘que tous soient
un’»149. Les jugements bienveillants du cardinal
pour la Première Conference Panorthodoxe ont été appreciés a leur
juste valeur: Enfin, le métropolite saisit cette occasion pour féliciter
le cardinal Bea de l’œuvre que, de son poste, il accomplit avec tant
de zèle au Vatican.
Le 25 décembre,
par le motu proprio «Humanae Salutis», est annoncée
officiellement la convocation du IIe Concile du Vatican, pour
l962:
Une
phrase brûlante de St. Augustin remonte sur les lèvres du pape,
lors de
la Semaine de l’unité, à Rome, devant des milliers de pèlerins
,
ecclésiastiques,
religieux ou simples fidèles, au sujet des orthodoxes. «Les
orthodoxes, dit le pape, sont nos frères, bon gré mal gré. Ils ne le
seraient plus que s’ils cessaient de dire ‘Notre Père’»150.
Le 23
janvier, un prêtre catholique romain vient au Phanar pour une seconde
visite en cinq ans. C’est Maurice Villain, qui, pour la première
fois, suggère ‘l’intercommunion’, du Calice commun, qui a
toujours été la grande vision du patriarche depuis plusieurs années151.
Entre
le 14 et le 20 février, le secrétaire du Secrétariat pour l’unité,
Mgr. Jean Willebrands, effectue au Phanar un voyage ‘œcuménique et
digne d’attention’. Le lendemain de son arrivée, il est reçu par
le patriarche en audience privée. Devant les membres de la Commission
pour les questions Panchrétiennes, il développe les travaux préparatoires
de Vatican II, son programme et ses perspectives. ‘Les conversations
ont débuté sous de bons auspices et se font sous le signe de la plus
grande loyauté et de la plus grande franchise’. Le patriarche entoure
constamment l’envoyé officiel du Vatican d’affectueusse confiance.
Et le distingué visiteur repart ‘très ému de la réception et de
l’hospitalité de la grande église’, édifiée dans ‘une
ville inséparable de notre commun patrimoine chrétien’. ‘Tout le
monde s’est félicité avec moi de ce voyage si œcuménique à tant
d’égards’ écrira-t-il152. Le cardinal Bea, dans une
lettre personnelle au patriarche, exalte son amour et son esprit libéral.
‘J’aime à y voir une preuve du travail constructif que nous
essayons de réaliser ensemble pour la recherche de l’unité (...)
dans cette même direction que la sagesse de votre Sainteté a voulu déjà
donner’153. Le patriarche répondit très affectueusement
aux lettres de tous les deux154. Par une nouvelle lettre155,
Mgr. Jean Willebrands annonce le 18 avril son arrivée prochaine au
Phanar et fait part de la nouvelle que ‘le cardinal’ Bea’sera
consacré évêque par le Saint Père le jeudi-saint des chrétiens
d’Occident’.
À
Paques, c’est l’échange de messages télégraphiques très
chaleureux entre Mgr. Maximos, métropolite de Sardes, président de la
Commission pour les questions Panchrétiennes, du Phanar, et le président
du Secrétariat pour l’unité, de Rome, le cardinal Bea. Des visites
de Pâques également sont échangées entre les représentants du
Patriarcat et l’internonce, Mgr. Fr. Lardone.
Entre-temps,
les déclarations sur l’unité se multiplient des deux côtés. Le
patriarche Athénagoras, s’adressant a des journalistes grecs, met
l’accent, d’une part, sur l’importance capitale que revêt
l’unité extérieure réalisée pendant la Première Conference
Panorthodoxe entre les Églises orthodoxes, et, d’autre part, sur le
fait que ces Églises vont de l’avant ensemble pour déblayer le
terrain, ce qui est comme une première étape pour la réunification de
tous les chrétiens. «Nous continuons les contacts avec l’Eglise
catholique romaine pour réaliser l"unité’157. Le
cardinal Bea souligne dans la revue Vita : «Il ne faut pas nous
faire d’illusions; les difficultés sont grandes. Nous devons pourtant
considérer les choses sous l’angle de la foi qui soulève les
montagnes (...). La déchristianisation des peuples est la raison
principale pour intensifier nos efforts afin d’unir les
chrétiens»158. Un théologien catholique illustre, Mgr.
Jean Daniélou159, dit, de son côté : «Aussi
bien le monde latin que le monde byzantin, avec leurs intérêts
particuliers, ont disparu depuis longtemps. Le dogme est presque commun,
la tradition aussi ; les sacrements sont communs, comme aussi les
adversaires d’aujourd’hui. Il faut que les divers préjugés, que
les siècles passés ont accumulés, soient anéantis avec le temps.
Dans une première étape, je vois la préparation psychologique»160.
Le
contenu ‘unioniste’ du IIe Concile du Vatican a donné à plus
d’un l’occasion d’émettre des conjectures diverses qui ne
facilitaient guère l’envoi d’observateurs de la part des autres Églises,
et, en particulier, des Églises orthodoxes. C’est pour cela que le
cardinal Bea relève encore une fois, dans ses déclarations à la
presse: «Le prochain Concile n’est pas un Concile l’union. Les
temps ne sont pas mûrs, ni de la part des catholiques, ni des
non-catholiques. Cependant, le Concile contribuera indirectement a
l’union chrétienne, en éclairant et en améliorant l’atmosphère
entre les diverses confessions, en dissipant les préjugés et en
donnant à l’œuvre œcuménique un nouvel essort et de nouvelles
directives». Ces déclarations sont vraiment prophétiques.
Jean
Willebrands effectue, le 1er juin, une nouvelle visite de courte durée
au Phanar. Il discute des travaux préconciliaires et de la question des
observateurs. ‘Ces contacts réiterés, avec la bénédiction du
Seigneur, aident à la cause de l’unité chrétienne’161.
Pour manifester encore une fois ses sentiments, le patriarche envoie,
par l’intermédiaire de son visiteur, au pape Jean XXIII un petit
souvenir, qui provoqua de nouveau sa profonde reconnaissance162
et dont le cardinal Bea accuse reception.
INVITATION
D’OBSERVATEURS AU CONCILE DU VATICAN
Vers la
fin de juillet, le patriarche reçoit la lettre officielle du Cardinal
Bea163, avec l’invitation pour l’envoi d’observateurs
à Vatican II,. La forme de l’invitation produit une excellente
impression au Phanar; tout autre était celle de l’invitation
transmise pour le Premier Concile du Vatican, en 1870, qui avait provoqué
tant de réactions. Mgr. Bea dit notamment: «Nous espérons et
prions Notre Seigneur pour que l’intervention des observateurs soit
une contribution efficace à une connaissance et à une estime toujours
plus grandes entre tous ceux qui portent le nom de chrétien et sont
unis spirituellement dans l’Eucharistie». L’invitation a été
l’objet de longues discussions au Phanar en raison des diverses
questions qu’elle posait et des réponses qui ont résulté de la
correspondance officielle avec les autres Églises orthodoxes. Ainsi,
pendant la durée de deux mois et davantage, s’entremêlaient les
explications autorisées du Patriarcat et l’obstruction, faite de
suspicion; de personnages irresponsables164.
- Le 29
septembre est marqué par un triste événement. L’archevêque Jacques
Testa meurt. Le pape est ainsi privé de son fidèle collaborateur et le
partiarche, d’un fervent ami.
Mais
l’ouverture des travaux de Vatican II approche. Cependant, l’entente
entre les Églises orthodoxes ne progresse pas. Le patriarche envoie
l’évêque de Méloès, Émilianos, pour expliquer verbalement au
cardinal Bea l’attitude négative des orthodoxes. Le cardinal, à son
tour, informe le pape au sujet de la position de ces derniers, ce qui
l’attriste profondément: il voit encore une fois sa bonne foi mise à
l’épreuve, mais il ne se décourage pas; et c’est dans cet esprit
d’espérance qu’est rédigée la lettre de réponse du cardinal Bea
au patriarche: «Mais nous comprenons les difficultés dans lesquelles
les Églises orthodoxes se trouvent, et nous ne cesserons pas de faire
tout le possible pour continuer avec elles des rapports fraternels. Bien
que nos Églises ne soient pas encore préparées pour traiter d’union
complète, tout de même les contacts et la collaboration fraternelle
dans des choses qui ne touchent pas immédiatement les questions disputées
entre elles, aideront sans doute beaucoup à créer des rapports
toujours plus étroits»165.
LE
IIe CONCILE DU VATICAN
Le 11
octobre, le IIe Concile du Vatican inaugure ses travaux par des
manifestations grandioses. Le pape, ‘au visage serein et joyeux’,
fait son entrée à pied dans la basilique de Saint-Pierre, à la tête
d’un cortège de 2.498 prélats, tous vêtus de blanc, et proclame
I’ouverture du Concile. Les ovations des fidèles, clergé et laics,
s’élèvent dans le ciel, tandis que les applaudissements remplissent
l’immense coupole.
En ces
moments solennels pour l’Église de Rome, le Patriarcat œcuménique
marque sa présence par un document officiel de salutations et d’espérances,
sans toutefois réussir à voiler sa propre amertume. Le communiqué
issu à cette occasion par le Secrétariat du Saint-Synode dit
notamment: «Le Patriarcat œcuménique, ainsi que les autres Églises
orthodoxes, formulent des voeux pour la réussite, dans le véritable
esprit du Christ, des travaux dudit Concile que l’Orthodoxie tout entière
suivra avec un intérêt profond et avec toute l’attention qu’il mérite.
Les Églises orthodoxes nourrissent l’espoir que des horizons plus
larges d’esprit chrétien et de compréhension s’ouvriront qui créeront
dans un proche avenir des conditions propices à des contacts utiles et
à des dialogues féconds dans l’Esprit du Seigneur et dans la charité
fraternelle, en faveur de l’unité de tous les chrétiens, pour
laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a prié»166.
Ce même
jour pourtant, le Patriarcat de Moscou envoie, indépendamment de toute
commune décision, comme observateurs, l’archimandrite Vladimir167
et l’archiprêtre et professeur Vitali Βorovoï.
Le pape
Jean XXIII reçoit en audience officielle ces observateurs, lc samedi 13
octobre. Dans son allocution, le cardinal Bea fait remarquer que «cette
connaissance directe constitue un premier pas vers le rapprochement et
le rétablissement des liens d’amitié qui precedent l’union». Le
pape Jean XXIII, de son côté, débute précisément par le point qui
lui tient tellement à coeur: l’absence d’observateurs
des Églises orthodoxes. ;À l’instant historique de
l’ouverture du Concile «Notre regard circulait (...) à peine
s’arrêta-t-il sur votre groupe, sur chacun de vous, que
nous avions ressenti un grand soulagement de votre présence (...).
Quant à nous, lisez dans notre cœur, car peut-être y trouverez-vous
plus que dans nos paroles (...)». Dans la suite de son allocution, le
pape se réfère aux années de son séjour en Orient. «C’était pour
nous vingt années heureuses et fécondes, pendant lesquelles Nous avons
connu des personnalités vénérables et une jeunesse généreuse (...).
Jamais, autant que nous avons pu nous en rendre compte, nous n’avons
enfreint les principes, jamais nous n’avons réagi contre la charité
fraternelle (...)». Avant de quitter la salle de l’audience, le pape
s’entretint avec les observateurs, créant une atmosphère de
familiarité. Les observateurs du Patriarcat de Moscou déclarèrent,
après cette audience: «Le pape nous a fait la même impression que
nous avions déjà eue de lui, c’est à dire une impression
profonde. Sa bénédiction fut vraiment celle d’un primat».
Deux
jours après, le cardinal Bea, donne une réception en l’honneur de
tous les observateurs et, dans son allocution, il les appelle ‘des frères
dans le Christ’. Il y exprime aussi sa tristesse pour l’absence des
autres Églises orthodoxes.
Le vide
que laissent les observateurs qualifiés de toutes les Églises
orthodoxes était difficile à combler. Alors, le Secrétariat invite
comme son ‘hôte’, outre la representation du Patriarcat de Moscou,
mais aussi pour avoir une opinion orthodoxe authentique, l’évêque
russe Cassien, recteur de l’institut théologique orthodoxe de
Saint-Serge, à Paris, qui, lui, relève du Patriarcat œcuménique. Sa
présence, toute symbolique, est satisfaisante168.
Le
patriarche est informé des Actesl69 de la première période
du Concile par une lettre du cardinal Bea170 et, le 22 décembre,
dans son message de Noël, Athénagoras insiste sur la nécessité de
l’unité.
L’année
1962 est scellée par une déclaration officielle et publique, contenue
dans le message patriarcal de Noël. Entre autres, le patriarche Athénagoras
dit: «Nous considérons le Concile du Vatican de la vénérable Église
catholique romaine comme une manifestation de la Divine Providence: a
cette Église, nous avons exprimé toute notre estime, tandis que nous
espérons que, dans un proche avenir, nous aurons enfin des
circonstances beaucoup plus positives et plus appropriées pour une
compréhension mutuelle et pour des contacts théologiques plus
fructueux».
1963
Les
progrès dans les relations entre Rome et le Phanar imposent la nécessité
d’une meilleure organisation du Secrétariat romain pour l’unité.
Aux fonctions de sous-secrétaire et chef du département pour
l’Orient chrétien, est appelée une personnalité de l’école théologique
de Sainte-Anne de Jérusalem, le père Pierre Duprey, un homme très aimé
des orthodoxes, grecs et arabes. Il appartient à la congrégation
missionnaire des Pères Blancs, et connait très bien les personnes et
les situations en Grèce -où il a fait ses études- et dans le Moyen
Orient. Le 15 janvier, il est affecté au Secrétariat et, depuis, il
devient le collaborateur direct du cardinal Bea auquel il suggère des
initiatives historiques.
Le 1er
avril, le cardinal Bea, avec le secrétaire Jean Willebrands, se rendent
à assister à des manifestations œcuméniques; ils y rencontrent
l’archevêque orthodoxe Iacovos d’Amerique. Au début du mois de
mai, ce dernier voit à Boston le cardinal Cushing. Ainsi, l’esprit
nouveau qui caractérise les relations des deux centres sacrés -le
Vatican des catholiques romains et le Phanar des orthodoxes- se répand
de plus en plus officiellement dans le nouveau monde.
Pendant
les journées de Paques des occidentaux171, le pape présente
encore plus de signes de fatigue; déjà une maladie grave affecte son
organisme.
C’est
à la fête de l’Ascension, le 23 mai, que le pape fait, devant les
Romains, sa dernière apparition à la fenêtre historique du palais
apostolique. À partir du 28 mai, son état va s’aggravant.
Cette
triste nouvelle se répand partout dans le vaste monde, mais elle est
aussi l’occasion de manifester à Sa Sainteté la sympathie profonde
et l’anxiété de toute l’humanité, de tous les chrétiens et des
non-chrétiens, qui admirent la sainte simplicité de l’homme.
Dans
ces moments pleins d’amertume de la marche vers la mort, le cardinal
Cicogniani relève un télégramme, qui donne au pape la joie ultime de
sa vie, par la reconnaissance qui y est faite de ses efforts persévérants
pour l’union. C’est le télégramme de sympathie du patriarche Athénagoras,
le premier et, hélas! le dernier texte officiel mis directement sous
les yeux du grand pape qui s’en allait. «Unis en esprit et dans
l’amour de Notre Seigneur, avec votre vénérable et bien aimée
Sainteté, Nous avons toujours été, par le cœur et par la pensée,
auprès d’Elle, pendant tous les grands moments de ses efforts sacrés
pour que l’esprit du Christ prévale en ce monde. Tout patriculièrement
uni dans la prière, pendant l’actuelle épreuve de votre Sainteté,
notre cher frère, nous prions avec ferveur le Seigneur pour le rétablissement
complet de Sa précieuse santé pour le bien de la chrétienté tout
entière»172.
Le
surlendemain, le cardinal Cicognani, au nom du pape, répond que Jean
XXIII a été profondément touché par ces vœux et qu’ Il le charge
d’ «interpréter Sa vive gratitude et confier offrande soi-même pour
paix entre les hommes et unité des chrétiens»173.
LA
MORT DU PAPE JEAN XXIII
Deux
jours après, le lundi, 3 juin à 20h. 49, Jean XXIII, ‘le pape de la
paix et de la bonté’, rendait son âme au Seigneur, en toute sérénité.
La douloureuse nouvelle s’en répandit dans le monde entier. Jamais,
peut-être, la mort d’un pape ne causa autant de peine chez autant
d’hommes que la mort du pape Jean XXIII.
Le
lendemain, le patriarche fait l’éloge du pape défunt devant les
membres du Saint-Synode. Par l’entremise de l’agence France-Presse,
il fait une déclaration officielle, dans laquelle il résume de façon
succinte les relations entre le Vatican et le Phanar et met justement en
valeur la grande contribution de Jean XXIII. La déclaration disait:
«Dès
l’élection et l’intronisation de Sa Sainteté le pape Jean XXIII au
siège de l’ancienne Rome, nous avons éprouvé l’agréable
sentiment que, dans l’avenir, les relations entre le Patriarcat œcuménique
et le Vatican prendraient une évolution considérable, laissant présager
un rapprochement et une collaboration, surtout dans le domaine moral et
social, entre l’Orient et l’Occident, dans l’esprit du Christ,
collaboration dont la réalisation allait avoir lieu dans un avenir
point trop éloigné».
»En
effet, en la personne du défunt vénérable chef de notre sœur l’Église
catholique romaine, nous avions entrevu l’artisan inspiré et capable
de s’élever à la hauteur des circonstances et de viser aux points de
la doctrine du Christ et de la tradition apostolique qui existent et qui
sont communs aux deux Églises, l’Église orthodoxe et l’Église
catholique romaine.
»Comme
chef inspiré de l’Église, le pape défunt, en dépit de la brièveté
du temps où il a exercé ses très hautes fonctions, a tracé une
nouvelle voie dans son Église, conduisant au dialogue œcuménique, qui
est, pour l’Église; le prélude de la réalisation de la prière
sacerdotale du Christ.
»D’inspiration
élevée, et osant innover en vue du rapprochement des Églises du
Christ, le défunt pape a prouvé, par la convocation du IIe Concile du
Vatican, que l’Église catholique est pénétrée de l’amour et de
la paix dans le Christ à l’égard de l’Église orthodoxe et
apostolique, ainsi qu’envers les autres Églises.
»En
cet instant solennel, nous adressons au Seigneur Dieuune prière
fervente pour le repos de l’âme dudéfunt chef de l’Église
catholique romaine, là où règne la lumière duvisage duChrist».
Le 5
juin, le patriarche et le Saint-Synode expriment au Vatican leurs condoléances
dans un télégramme signé du secrétaire patriarcal:
«Sa
Sainteté le patriarche œcuménique Athénagoras et le Saint-Synode
ayant appris avec profonde douleur la nouvelle du décès de Sa Sainteté
le pape Jean, digne chef de la vénérable Église catholique romaine,
m’ont chargé de transmettre à Votre Éminence leur profonde
sympathie et leurs chaleureuses condoléances et prient le Seigneur
d’accorder le repos éternel à l’âme du premier hiérarque».
Le
vicaire du siège de Rome, cardinal Aloisi Masella, camerlingue de la
sainte Église de Rome, répondit aux condoléances du patriarche et du
Saint-Synode ainsi:
«Nous
vous prions de bien vouloir transmettre au vénéré patriarche œcuménique
et au Saint-Synode nos plus vifs remarciements pour leur sympathie et
leur prière. Que la vie de Jean XXIII offerte pour la paix et l’unité
chrétienne obtienne réalisation prière de notre unique Seigneur ‘Ut
unum sint’174.
Une délégation
patriarcale, composée des métropolites Chrysostomos, de Néo-Cesarée;
Émilianos, de Séleucie, et du secrétaire en chef Siméon,
assista au requiem. célébré en l’église du Saint-Esprit à
Pangalti d’Istanbul175. Le lendemain, le patriarche en
personne, et sans aucun Protocole, se rendit a la délégation
apostolique de Pangalti. L’archevêque Mgr. François Lardone et son
clergé entourèrent le patriarche de grands honneurs.
L’élection
du nouveau primat de l’Église de Rome a été l’objet d’un très
vif intérêt pour la cause de l’œcuménisme. Le Patriarcat et, en
particulier, le patriarche Athénagoras, attendaient, avec discrétion
et dans la prière, l’élection de l’homme le meilleur qui allait
succéder au pape ami de l’Orthodoxie. À aucun moment au
Phanar, on ne se préoccupa des rumeurs et des bruits gratuits qui
circulaient, parce qu’on savait bien que, dans la chapelle Sixtine, on
entre ‘papabile’ et l’on en ressort diacre». D’ailleurs, à ce
moment-là, le patriarche effectuait son voyage en Grèce, pour les fêtes
du Millénaire du Mont-Athos176.
Alors
qu’à Rome commençaient les reunions177 du Conclave, le
patriarche arrivait à la Sainte Montagne et, dans l’église
principale, le protâton historique, en compagnie de vénérables
prélats, de prêtres et de pères, il priait devant la célèbre icone
de la Sainte Vierge, icone dite de Axion esti, «pour la stabilité
des saintes Églises de Dieu et pour l’union de tous». Et le peuple,
nous-mêmes qui y assistions, nous pensions que, si le service de
l’union n’est pas conforme aux supplications ‘pour l’union’,
alors c’est la Parabole des deux fils, employée par le Seigneur, qui
deviendra notre accusatrice178.
L’ÉLECTION
DU PAPE PAUL VI
Et voilà
que le jour du vendredi 21 juin arrive. Le cinquième scrutin est terminé
à 11h. 22 et donne le résultat désiré des 2/3.
Au siège
de Rome, praeposita caritatis, est élu l’archevêque de Milan,
cardinal Jean-Baptiste Montini, qui prend le nom de Paul VI.
Le
patriarche apprend la joyeuse nouvelle à 16h., au moment où il se
rend, en compagnie de l’archevêque Chrysostomos, d’Athènes, à
l’inauguration de l’exposition d’hagiographie byzantine des frères
Josaphat, toujours sur le Mont-Athos: II est très heureux de l’élection
et il en discute. Le lendemain, lors de l’arrivée des invités aux
festivités-religieux et abbés des ordres religieux catholiques
romains, parmi lesquels se trouve aussi le père Christophe Dumont -le
patriarche leur demande des déetails au sujet de l’élection et leur
avis sur la personnalité du nouveau pape, dont lui-même s’était,
d’ailleurs, depuis longtemps fait une excellente opinion. Le
patriarche éprouve une satisfaction toute patriculière quand il
apprend que le pape Paul VI, dans son premier message urbi et orbi, a
exprimé son intention de continuer, «de toutes ses forces, la grande
œuvre que le pape Jean XXIII avait entreprise et promue avec tant
d’espérances et sous d’aussi bons auspices, à savoir la réalisation
du vœu ‘qu’ils soient un’».
À la
fin des festivités du Millénaire, le patriarche reste encore quelques
jours au Mont-Athos avec les primats des autres Églises orthodoxes et,
dans des entretiens particuliers, il discute longuement de la question
œcuménique; il écoute leurs points de vue et il constate qu’ils
sont identiques à la ligne tracée par le Patriarcat œcuménique.
Ces
contacts cordiaux et les pensées qui les accompagnaient ont été, avec
les faits qui s’ensuivirent, à l’origine de la convocation la deuxième
Conférence Panorthodoxe.
L’annonce
officielle de l’élection du pape Paul VI est faite par la lettre du
cardinal Bea au patriarche œcuménique, dont voici le texte: «À
la suite de l’élection faite par les cardinaux réunis en conclave
selon les prescriptions de la sainte Église romaine, le cardinal
Jean-Baptiste Montini, archevêque métropolitain de Milan, a été
designé pour succéder a Sa Sainteté le pape Jean XXIII de glorieuse mémoire.
Il a décidé de prendre le nom de Paul VI. Je suis heureux d’avoir été
chargé par le Saint Père de faire part à Votre Sainteté, patriarche
œcuménique et archevêque de Constantinople, et, par vous, à toute
votre Église, de ce joyeux événement de la sainte Église romaine.
Que l’Esprit Saint daigne inspirer les cœurs et guider les efforts de
tous ceux qui travaillent à l’édification du peuple saint de Dieu,
vers la réalisation de la prière de notre unique Seigneur ut unum
sint: Daignez agréer, Sainteté, l’expression de mes sentiments
respectueux et fraternels dans le Seigneur Jésus»179.
Mais la
lettre du cardinal Bea arriva au Phanar les premiers jours de juillet,
alors que le patriarche se trouvait à Athènes et il lui fut
malheureusement impossible d’en prendre connaissance à ce moment-là.
Ainsi, aucune réponse n’a pu parvenir au Vatican de la part d’Athénagoras
pour le sacre du nouveau pape180, et le Patriarcat œcuménique
n’y a pas été représenté. La seule instance orthodoxe qui ait été
présente au sacre, c’est le Patriarcat de Moscou. À la suite
de cela, et, comme Moscou avait envoyé une délégation à la
première session du Concile de Vatican II, ainsi qu’aux funerailles
du pape Jean XXIII, le nouveau pape envoya à Moscou une délégation,
composée de l’archevêque François Charrière et de
l’archimandrite père Christophe Dumont, pour assister aux fêtes
du jubilé épiscopal du patriarche Alexis»>181.
Le 3
juillet l963, a lieu une séance historique du Saint-Synode de l’Église
de Grèce, sous la présidence d’honneur du patriarche œcuménique
Athénagoras: cela arrivait pour la première fois depuis la
constitution de l’Église de Grèce en Église autocephale (1850). La
séance dura une heure et demie; le patriarche y apporta, avec une émotion
manifeste, le témoignage œcuménique contemporain de l’Orthodoxie.
Du 8
juillet au 8 août, le patriarche effectue une tournée apostolique dans
les diocèses ecclésiastiques situés sur le territoire du Royaume de
Grèce mais qui relèvent directement du Patriarcat du Phanar: le Dodécanese,
la Créte, l’Épire, la Macédoine et la Thrace. Après 32 ans
d’absence, il visite les lieux de sa naissance et, à Corfou, ceux de
son premier apostolat.
La
question de l’envoi d’observateurs a la 2ème session du IIe Concile
du Vatican revient au premier plan. Le cardinal Bea envoie le 8 juillet
une lettre ainsi conçue:
«Le
pape Paul a décidé que la seconde session du IIe Concile du Vatican
s’ouvrirait le 29 septembre. Au nom du Saint Père, j’ai
l’honneur, en ma qualité de président du Secrétariat pour l’unité
des chrétiens, de vous communiquer cette décision et de vous inviter a
envoyer deux ecclésiastiques ou théologiens de votre confiance, à
titre d’observateurs-délégues de votre Église à ce Concile. Chaque
Église orthodoxe autocéphale est invitée également a envoyer deux
observateurs-délégués.
»La
première session du Concile a montré que la position réelle de ces
observateurs-délégués a été tout autre chose que celle de simples
spectateurs. En effet, assistant à toutes les ‘assemblées générales
du Concile, ils ont pu, en outre, par le moyen de réunions organisées
chaque semaine avec les membres du Secrétariat, évêques et théologiens,
faire part de leurs réactions et de leurs points de vue sur les
sujets en discussion dans le Concile.
»De
plus, les observateurs-délégués avaient toute liberté pour prendre
un contact personnel avec les pères conciliaires, soit
individuellement; soit en groupe, lors de rencontres proposées très
souvent par les pères conciliaires eux-mêmes. Tout cela fut
l’occasion d’amorcer un authentique dialogue fraternel.
»Je
tiens à préciser a Votre Sainteté qu’un archevêque membre de notre
Secrétariat, accompagné du secrétaire Mgr. Willebrands, est prêt à
venir lui donner toutes les explications souhaitables à ce sujet et lui
confirmer l’invitation ci-dessus.
»Je
serais reconnaissant à Votre Sainteté de me dire dès que possible
quelle est la date qui lui conviendrait le mieux pour cette visite, de
préfèrence dans les tout premiers jours de septembre.
»Dans
son premier discours public du 22 juin, le pape Paul VI a exprime son
intention ‘de continuer de toutes ses forces la grande œuvre
entreprise et mise en route avec tant d’espérances et sous
d’heureux auspices par le pape Jean XXIII, dest-à-dire la réalisation
de cet unum sint (Jean, 17, 21), si attendue par tous’. Par son
invitation, le pape montre qu’il espère que la présence
d’observateurs sera une contribution efficace à un
accroissement de la compréhension et de l’estime entre ceux qui sont
baptisés dans le Christ et sont unis spirituellement dans
l’Eucharistie (...)»182.
Après
son retour de Grèce, le patriarche adresse au cardinal Bea sa réponse
à l’invitation de son ‘bien-aimé frère dans le Christ Paul
VI’,et fait connaître à Son Éminence amie que la Commission pour
les questions panchrétiennes étudie déjà la question (de cette
visite) et que sur l’essentiel de la lettre, le Patriarcat répondra
très prochainement. Le patriarche poursuit: «Nous souhaitons de tout cœur
de voir se multiplier les efforts tentés, d’un cœur pur et dans
l’esprit du Christ en vue du rapprochement et de la collaboration des
confessions chrétiennes (...)»183.
La
question de l’envoi d’observateurs fut discutée à la session du
Synode Patriarcal. Du côté des ‘conservateurs’, on conseille alors
de ne pas envoyer d’observateurs, parce que le temps manquait pour
s’entendre avec d’autres Églises orthodoxes, et on demande la
convocation d’une Conférence Panorthodoxe à Rhodes. Du côté ‘libéral’,
on interprète la convocation d’une telle Conférence comme une prise
de position négative et une aventure dangereuse avec incidences fâcheuses
sur l’autorité du Patriarcat.
À la
fin, la décision est prise de convoquer la Conférence, mais on ajourne
la question de l’attitude officielle qu’y prendrait le Patriarcat;
le patriarche propose donc par télégramme aux primats
orthodoxes: «une Conférence commune à Rhodes pour la première
décade de septembre»184.
Vers la
fin du mois d’ août, le patriarche peut lire avec satisfaction les déclarations
faites le l8 août par le pape Paul VI a l’abbaye grecque de
Grottaferrata, près de Rome; elles révèlent que la ligne de Jean
XXIII pour l’unité était fidèlement suivie.
Le pape
dit notamment aux moines qui, depuis des siècles, pratiquent le rite
byzantin-grec pour la Liturgie: «Que les barrières qui nous séparent
tombent; expliquons-nous les uns aux autres les parties des dogmes
communs qui font l’objet de dissensions, afin que notre foi devienne
commune et soit renforcée. Nous ne désirons ni absorber, ni dessécher
à mort l’ensemble florissant des Églises d’Orient (...). Prions,
donc, pour le rétablissement de l’unité entre les vrais chrétiens
et en patriculier avec les saintes Églises d’Orient»185.
Les félicitations
officielles de la «grande église» au pape Paul VI pour
son élection
sont transmises par la lettre du président de la Commission des
questions panchrétiennes186, le métropolite Maximos de
Sardes:
«(...)
L’avènement de Votre Sainteté tres vénérable sur le siège
apostolique de l’ancienne Rome en succession du bienheureux pape Jean
XXIII d’heureuse mémoire, qui a tant œuvré pour la promotion des
relations entre Églises et qui s’est montré digne de notre époque
et des circonstances, est sans aucun doute l’aboutissement et
l’expression des vues qui dominent aujourd’hui au Saint-Siège quant
a l’impulsion à donner au dialogue chrétien qui constitue la
condition préalable à la marche de l’homme tout entier et du chrétien
en patriculier vers la paix, le progrès, la dignité, vers tout
ce qui constitue donc son droit imprescriptible et sa mission sacrée
dans le monde (...)».
Ce
geste fraternel du Patriarcat eut un grand retentissement a Rome. Le
pape Paul VI répond aux félicitations patriarcales par un message
autographe du 20 septembre. C’est le premier document papal officiel
depuis le 7 mars 1584, date à laquelle le pape Grégoire XIII avait écrit
au patriarche Jérémie II, au sujet du calendrier.
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