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Aristide Panotis

Les Pacificateurs

[ Le Pape Paul VI et le Patriarche Athenagoras I ]. Athenes 1974

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LA PREMIÈRE LETTRE DU PAPE AU PATRIACHE

 

Dans les deux enveloppes; extérieure et intérieure, le document porte les  titres  du  destinataire: «À Sa  Sainteté  le  patriarche Athénagoras archevêque de Constantinople et patriarche œcumenique»187.

Ce document historique est conçu comme suit:

«Nous venons de recevoir avec joie les vœux et les félicitations que vous nous avez fait envoyer par S.E. Monseigneur Maximos, métropolite de Sardes, en réponse à la lettre écrite en notre nom, dès notre élection, par Son Éminence le cardinal Augustin Bea. Nous voudrions vous  dire que les sentiments exprimés dans cette lettre ont trouvé en notre cœur une résonance profonde. La charge que le Seigneur nous a confiée, en tant que successeur, sur ce siège, du coryphée des Apôtres, nous rend anxieux de tout ce qui regarde l’union des chrétiens et de tout ce qui peut contribuer à rétablir entre eux la parfaite concorde:

»Confiant le passé à la misécicorde de Dieu, écoutons le  conseil de l’Apôtre: ‘oubliant tout ce qui est derrière, je suis tout entier tendu vers ce qui est devant pour essayer de le saisir comme j’ai été saisi par lui’. Nous avons été saisis par Lui par le don de l’Évangile du salut, par le don du même baptême, du même sacerdoce, célébrant la même Eucharistie, l’unique sacrifice de l’unique Seigneur de l’Église.

»Que cette célébration nous donne d’avoir toujours plus en nous les ‘sentiments qui sont dans le Christ Jesus’ et de pénétrer profondément dans la signification et les exigences de sa prière à son Père: ‘qu’ils soient un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient consommés dans l’unité’. Que le Seigneur ouvre nos cœurs aux inspirations de son Esprit et nous guide vers Ia pleine réalisation de sa volonté.

»Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, la charité du Père et la communion de l’Ésprit Saint soient avec vous.   Paulus P.P. VI».

La lettre dupape fut transmise au Phanar par le cardinal Bea 188 à la même epoque ou, a Rhodes, se tenait la Deuxième Conférence Panorthodoxe, et elle fut lue au Synode189.

Le Saint-Synode la renvoya à la Commission des questions panchrétiennes, compétente en la matière, et aux métropolites qui avaient pris part à la Deuxième Conférence Panorthodoxe, pour l’étudier avec l’attention voulue et pour présenter un projet de réponse. Entretemps, le patriarche fait savoir au cardinal Bea qu’il a bien reçu la lettre de son très cher et très affectionné frère dans le Christ, le pape Paul VI, et que la rééénse suivrait190.

La lettre autographe du pape Paul n’était pas un document de pure forme. C’était quelque chose qui ne s’était pas produit depuis des siècles et qui, très justement, fut considéré comme une ‘lettre de paix’, se rapportant à son élection et à son accession au siège pontifical, écrite également dans le but de formuler de bonnes pensées pour l’unité. Ce fait seul suffit pour faire d’elle un événement exceptionnel. En dépit de l’absence de toute formule d’interpellation et de toute clausule, son caractère de véritable message, sa teneur générale  et quelques vives allusions aux thèses de Rome, font que le document conserve toute sa valeur. Dans les documents historiques, ce ne sont pas les formes épistolaires qui ont de l’importance, mais le ton et le contenu, qui permettent d’aller encore plus loin dans la réponse. L’observation de vaines  formes n’aurait été qu’inertie:  c’est pourquoi il fut donné encore plus d’importance au contenu, étant donné qu’il allait s’agir de formuler des pensées d’ordre général sur la responsabilité qui pèse sur les Églises au sujet de l’unité et de la réconciliation; et cela d’autant plus que; dans la lettre  pontificale,  sont reconnues et la parenté de fond de la foi et l’identité de la constitution hiérarchique des deux Églises et la communion de vie dans un même baptême et dans une même Eucharistie.

LA PREMIÈRE LETTRE DU PATRIARCHE AU PAPE

La réponse est adressée au pape le 22 novembre 1963; des copies en sont envoyées à toutes les Églises orthodoxes. Le texte de cette lettre historique du patriarche est rédigé en ces termes:

«À Paul

le bienheureux et très saint pape de l’ancienne Rome

Salut dans le Seigneur

Nous avons reçu avec joie et amour la précieuse lettre datée de septembre de cette année, de Votre Sainteté bien-aimée et si estimée et nous l’avons lue tant en privé qu’en séance de notre Saint-Synode; en rendant grâce à notre commun Dieu Sauveur.

»C’est de tout cœur qu’en son temps nous avons envoyé à Votre Sainteté nos fraternelles félicitations et nos vœux très cordiaux pour son élection et son intronisation, par la bonté et la grâce de  Dieu, sur le  siège célèbre de l’ancienne Rome. Aujourd’hui nous nous réjouissons tout particulièrement d’avoir appris par votre lettre le profond écho que rencontre de nos jours la prière de l’auteur et du consommateur de la foi, le Christ notre Dieu, prière pour l’unité de ceux qui croiront en Lui, ainsi que l’exhortation de l’Apôtre à oublier tout ce qui est derrière; d’avoir appris aussi le désir fervent  de V. S. de voir se réaliser pleinement la sainte volonté du Seigneur pour l’unité.

»Nous aussi, à qui le Seigneur a enseigné de nous considérer les uns les autres comme de la même famille, ainsi qu’il convient aux membres de Son Saint Corps qui est l’Église, nous qui, en vertu de la relation mutuelle propre aux membres, n’avons qu’un seul Seigneur et Sauveur, à la grâce de qui nous communions dans les sacrements, nous estimons ne pouvoir rien nous offrir de plus précieux les uns aux autres que l’offrande de la communion dans la charité qui, selon l’Apôtre, ‘excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout’ (1e Cor. 13,7), communion autrefois ferme dans le lien de la paix de nos saintes Églises et qui, maintenant, se renouvelle par la grâce du Seigneur ‘a la louange de sa gloire’ (Éph. 1, 12).

»Ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu dans les Églises des Saints (1e Cor. 4, 1 et 14, 33), regardons du haut de la charité, d’un cœur contrit et d’un œil simple, la volonté du Seigneur et plaçons-nous, nous-mêmes, les uns les autres et plaçons également notre vie à Son service pour trouver grâce et pour que vienne sur la face de la terre le règne de Dieu.

»Dans ces sentiments et cette espérance, et en Vous remerciant chaleureusement de ce contact, nous souhaitons de nouveau à Votre Sainteté d’être toujours en bonne santé et de présider glorieusement et le plus longtemps possible à la sainte Église de  l’ancienne Rome,  dans la bénédiction et la grâce de notre Seigneur, auquel appartienrient la gloire et la puissance avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

»De Votre Sainteté vénérée et tant estimée le frère bien-aimé dans le Christ

Athénagoras de Constantinople»

Cette lettre  de réponse, digne de la Tradition œcuménique du Siège de Constantinople, de même que les décisions de la Deuxième Conférence Panorthodoxe ont ouvert la voie historique sur laquelle avancent les deux grands primats, d’une marche pleine de sens de reponsabilité et d’esprit de décision.

Durant l’échange de cette importante correspondance, se tient à Rhodes, du 26 au 29 septembre, la Deuxième Conférence Panorthodoxe, sous la présidence du métropolite  Meliton, d’Héliopolis191. Des représentants de toutes les Églises autocéphales orthodoxes, sauf de celle de Grèce, prennent part aux séances. Vingt évêques, deux archimandrites et plusieurs conseillers laïcs de l2 Églises.  La délégation du Patriarcat œcuménique est constituée des métropolites Meliton, comme président, Iacovos, de Philadelphie, et Chrysostomos, de Myra, comme secrétaire général.

Le métropolite Meliton, président de la Conférence, fait remarquer, dès, le début des travaux, que cette rencontre des orthodoxes s’effectue dans le cadre du dialogue ordinaire entre eux, avec pour but d’adopter une attitude commune de l’Orthodoxie à l’égard de toutes les Églises chrétiennes, jusqu’à l’union complète de tous.

Le sujet fondamental débattu par les membres de la Conférence était ‘le rétablissement des relations entre l’Église orthodoxe et l’Église de Rome sur des bases positives’. ‘La charité doit aboutir à être comme un régulateur de la vie et de l’action, ainsi qu’il convient a des Églises au service du Christ’. ‘C’est une expérience vécue de l’Orthodoxie que de maintenir l’unité dans la foi et dans la piété’, et de faire usage de liberté dans le Christ pour tout ce qui est ‘plus extérieur et moins substantiel’192.

Après deux jours de séances et de réunions particulières, deux résolutions sont adoptées à l’unanimité.

La première prévoit que chaque Église orthodoxe est sans engagement libre d’envoyer ou non des observateurs au IIe Concile du Vatican, car la plupart des Églises croyaient que l’envoi d’observateurs ne constituait pas une manière d’entamer des relations. La seconde résolution, lourde de conséquences, était l’adoption de la proposition du Patriarcat, sur l’initiative personnelle d’Athénagoras, de proposer à la vénérable Église catholique romaine de  commencer un  dialogue  entre les  deux Églises ‘επί ίσοις όροις’, ‘sur un pied d’égalité’.  

 Le message de la Conférence fonde ces résolutions sur la volonté du Christ pour l’union de tous, sur les trésors communs de l’Église indivise et sur l’attente que, en collaboration avec Rome, va être édifié en commun, et dans la charité, ‘l’unité de tous’. Il se termine par la constatation que les fruits des travaux sont ‘des fruits de cohésion, de compréhension et d’amour, conduisant à la réconciliation et à l’unité. Notre Église orthodoxe a déjà avancé dans cette œuvre, féconde et efficace, et elle ouvre maintenant la voie sacrée de la rencontre dans le Christ et du dialogue ecclésial’.

Les décisions de la Deuxième Conférence Panorthodoxe expriment un nouveau langage, bien différent de celui que l’Orient utilisait pendant les 500 ans de la domination ottomane. La décision de ne pas envoyer d’observateurs  n’implique pas un refus de contacts, mais signifie que le contact entre les deux Églises doit se faire sur un autre plan; non pas sur le plan extérieur et accessoire, sur lequel agissent d’ordinaire les observateurs.

En effet, au lieu d’observateurs, l’Orthodoxie propose quelque chose de plus grand, de plus précieux: la parole pour qu’il y ait un dialogue, une rencontre entre frères égaux, la réflexion fructueuse, la prière. Le dialogue ‘sur un pied d’égalite’ fera mûrir le sentiment de la fraternité dans le Christ, pour rechercher les meilleurs procédés de renouveau afin de promouvoir sans relâche les relations fraternelles.

Ces décisions ont eu un grand retentissement universel: dans les milieux ecclésiatiques et théologiques, comme aussi dans des revues, elles furent commentées favorablement. Du côté catholique, le rév. père Duprey a écrit que la Conférence a enregistré trois succés: premièrement, elle a ouvert

la juste perspective pour l’unité; en second lieu, l’unité interne des orthodoxes a été renforcée par l’unanimité des voix; et, troisièmement, elle est le fait du Patriarcat œcumenique. Par son audace faite de prudence, par son initiative pleine de sagesse et par sa dextérité, le Patriarcat a rendu possibles la convocation de la Conférence et l’adoption de telles décisions193,

La semence de la nouvelle formule: dialogue ‘sur un pied d’égalité’ est jetée. La Divine Providence a créé entretemps-par des transformations fulgurantes d’un climat qui subsistait depuis des siècles- les conditions propices a une nouvelle germination féconde dans les relations entre Rome et l’Orthodoxie.

Le premier fruit de la formule ‘sur un pied d’égalité’ c’est la Rencontre historique et sacrée de Jérusalem.

Quand le pape Paul signait sa première lettre du 20 septembre au patriarche Athénagoras, dans sa pensée et dans son cœur était en gestation encore un événement, qui allait devenir l’occasion d’un premier contact direct avec l’Orient et ses représentants. Dans son carnet de notes personnelles, à la date du 2l septembre, jour de la fête de saint Mathieu l’évangéliste et Apôtre, il exprime pour la première fois sa décision de se rendre en pèlerinage en Terre Sainte.94

 

 

LES PRÉPARATIFS DE LA RENCONTRE DE JÉRUSALEM

 La matin du 4 décembre, prenaient fin les travaux de la 2ème sesion du IIe Concile du Vatican. Après la cérémonie et la  lecture de la constitution de Sacra Liturgia et du décret De  Instrumentis communicationis socialis, leur vote par les pères conciliaires et leur  confirmation, le pape prononça un discours extrêmement important, à la fin duquel il dit: «Et maintenant, permettez-Nous un dernier mot pour vous communiquer un projet qui mûrissait depuis quelque temps dans Notre esprit et que Nous nous sommes décidé à rendre public aujourd’hui, devant une assemblée si solennelle (...). Nous voulonr, en effet, nous rendre en Palestine, si Dieu nous y aide, au cours du prochain mois de janvier,  pour honorer personnellement -sur les lieux saints où le Christ a vécu, est mort, est ressuscité, est monté au ciel- les premiers mystères de notre salut, l’Incarnation et la Rédemption (...). Nous nous y rendrons, avec beaucoup d’humilité, rapidement, en signe de prière, de pénitence et de rénovation (...), pour implorer la miséricorde divine en faveur de la paix parmi les hommes (...), pour supplier le Seigneur Christ pour le salut de toute l’humanité».

Cette annonce réjouit tous les hommes qui désirent sincèrement la réconciliation et la pacification. C’est la première fois depuis 1808 qu’un pape voyageait hors d’Italie. Cependant, ce pèlerinage ouvrait aussi une perspective historique.

Le patriarche Athénagoras attendait depuis longtemps cette heure. Il la préparait dans la pensée de tous ses visiteurs de l’Occident et de l’Orient. À peine apprend-il la décision qu’il la qualifie d’«inspirée de Dieu», et, par l’entremise d’un de ses représentants, il déclare: «Si le pape nous annonce officiellement sa décision, nous nous y intéresserons très vivement».

Le jour de la fête de saint Nicolas, le patriarche assiste à la Liturgie, en l’église historique de Saint-Nicolas à Gibali,  près du Phanar. Devant une foule très dense de fidèles, il commente l’importance du pèlerinage du pape et il ajoute que, «si tous les chefs des saintes Églises du Christ de l’Orient et de l’Occident se rencontraient dans la sainte ville de Sion d’un commun accord, pendant cette visite de Sa Sainteté le pape, ce serait là une œuvre de la Divine Providence, afin que, à genoux, avec contrition d’esprit et de cœur et par des prières ferventes, ils ouvrent, dans un esprit d’unité, une voie commune et bénie pour la gloire du Christ et la restauration de tous dans l’union finale»196.

Ce vœu du patriarche fut transmis au Vatican par la Presse. Avec le consentement du pape, le cardinal Bea écrit au patriarche, le 9 décembre, pour le renseigner plus particulièrement, sur les intentions qui animent Paul VI dans ce pèlerinage. Il envoie aussi son collaborateur et sous-secrétaire du Secrétariat, le rév. père Pierre Duprey, pour qu’il donne de vive voix toutes les informations nécessaires et rapporte à Rome les voeux et les desirs du patriarche. «C’est dans ces sentiments de confiante collaboration et d’échanges rcciproques, que je redis à Votre Sainteté mon profond et religieux respect et ma fraternelle affection dans le Seigneur», conclut la lettre du cardinal. Le 10 décembre, le père Pierre Duprey est reçu au Phanar par le patriarche en une longue audience, où le premier lui fait part du pragramme complet du déplacement du pape: Il résulta de ces entretiens que, en raison du caractère de pèlerinage et de la courte durée, du voyage, il n’y avait pas de possibilité d’une reunion de tous les chefs d’Églises. Une Rencontre serait souhaitable, pour commencer, entre le pape et le patriarche, puis, séparément, entre les deux primats et les représentants de toutes les Églises existant à Jérusalem.

C’est sur ce plan que, finalement, se cristallisèrent toutes les discussions entre le Vatican et le Phanar au sujet de la Rencontre, et c’est au sujet de ce programme que le patriarche demanda l’opinion fraternelle de toutes les Églises orthodoxes197.

Le père Duprey, après avoir réalise les contacts nécessaires avec le patriarche Bénédictos, de Jérusalem, et les autres représentants dès Églises chrétiennes de la Terre Sainte, retourna à Rome le l3 décembre, porteur des propositions du patriarche Athénagoras. Le Vatican fit connaître son consentement, et le Synode patriarcal, après avoir entendu les points de vue du patriarche Bénédictos, transmis au Phanar par ses délégués, le métropolite  Vassilios, du  Jourdain,  et le skévophylax Germanos, prit toutes les dispositions, afin que «tout ce qui concerne la Rencontre se fasse dans la  réciprocité  des  honneurs et des  égards  et  dans  l’égalité. des manifestations, et, bien entendu, tout en mettant en relief la place de Sa Béatitude le patriarche de Jérusalem, dans la juridiction duquel aura lieu la Rencontre»198. Des Comités  Synodaux  étudièrent la question du voyage, duProtocole et de ses incidences.

L’annonce d’une Rencontre probable des deux chefs eut unretentissement mondial. Cet événement fut qualifié par des chefs d’Églises et d’État, par la presse et la Radio et par des milliers d’hommes, comme le plus important des derniers siècles dans l’histoire du christianisme. D’autre part, les déclarations favorables du patriarche Théodose d’Antioche († 1970), du patriarche Alexis de Moscou († l970), de l’archevêque Macarios de Chypre et les télégrammes envoyés par les patriarches de Serbie et de Roumanie et par d’autres milieux orthodoxes, furent des actes de soutien positifs pour le Patriarcat œcuménique.

À l’occasion de Noël, les deux chefs échangent des vœux cordiaux; ce sont les premiers vœux depuis des siècles199.

Le pape, dans son message radiodiffusé de Noël 1963, réitère sa décision de se rendre en pèlerin en Palestine. D’autre part, le patriarche, dans son encyclique, fait remarquer que c’est la faiblesse de l’homme qui a été la cause de la scission entre l’Orient et l’Occident. L’Église orthodoxe, dit-il, n’a jamais cessé de poursuivre le bien de la paix ecclésiastique et, dernièrement, a intensifié ses efforts sincères, parmi lesquels on doit noter: «Notre Rencontre que nous désirons avec le très Saint Père le pape de Rome, Paul VI, sur la terre de Jérusalem, qui a été sanctifiée par le sang précieux du Christ»200.

Le lendemain de la fête de Noël, le patriarche écrit sa deuxième lettre au pape. Il lui annonce la décision synodale d’envoyer à Rome les métropolites Méliton, d’Héliopolis, et Athénagoras, de Thyatira, pour lui transmettre son salut fraternel et «les pensées et les vœux d’ici, au sujet de la Rencontre; en même temps, ils sont autorisés à élaborer en commun et fraternellement, avec Ses représentants du même rang, ce qui a trait à cette Rencontre sacrée dans le Seigneur, désirée de part et d’autre et qui aura lieu avec la faveur Divine»201.

Le vendredi, 27 décembre, arrive à Rome seul le métropolite Athénagoras, de Thyatira. Le métropolite Méliton n’a pas été autorisé à sortir de Turquie. Le lendemain matin, le métropolite Athénagoras est reçu en audience privée par le pape Paul VI. Le délégué du patriarche, dans son allocution, dit, entre autres: «Conscient de la signification historique de ce moment important, je suis saisi d’une profonde émotion. En effet, après tant de siècles de silence, l’Occident latin et l’Qrient grec veulent se rencontrer, dans des sentiments réciproques de respect et d’amour, dictés par l’Évangile et par les cœurs chrétiens. Ils ont décidé d’échanger des vues et un salut fraternel et, si possible, de s’attacher par un dialogue pour la paix du monde et le rétablissement des saintes Églises de Dieu (...). Il apparaît, Sainteté, que, sur l’inspiration Divine, vous gravissez, avec le patriarche, la montagne du Seigneur. Votre Sainteté la gravit d’un côté et le patriarche œcumenique, de l’autre côté (...). Saint Pierre et saint André étaient frères. Pendant des siècles, ils ne s’entretenaient plus. Mais voici que maintenant ils expriment le désir réciproque et le vœu de s’entretenir et de se rencontrer. Et ce vœu est un commandement du Maître commun et c’est l’appel nostalgique des chrétiens; puisse le Seigneur accorder plein succès à cette Rencontre apostolique, pour la gloire de l’Église et l’encouragement des croyants (...)202.

Après quoi, le métropolite de Thyatira remit au pape la lettre patriarcale dont nous venons de donner un extrait.

Le pape; très ému, répondit au premier délégué officiel du patriarche et du Saint-Synode du Patriarcat; il s’entretint avec lui et il lui offrit, tant pour lui-même que pour le métropolite Méliton,  empêché, des croix pectorales très précieuses en souvenir de cette Rencontre historique.

Après l’audience, le métropolite de Thyatira eut une rencontre de travail avec les personnalités du Secrétariat des Affaires exéerieures et du Secrétariat pour l’unité, en vue du libellé et de la signature des protocoles respectifs, un pour les Rencontres du pape et des patriarches orthodoxes de Constantinople et de Jérusalem, et un, spécial, pour la réception du pape et du patriarche de Constantinople.

Ces deux premiers documents officiels sont rédigés selon le principe de la pleine  réciprocité et ‘sur un pied  d’égalité’,  et sont signés par l’archevêque Angelo Dell’Acqua († 1972), pour l’Église de Rome, et par le métropolite Athénagoras, de Thyatira, pour l’Église de Constantinople, le lundi, 30 décembre 1963.

Ce même jour, le pape adresse au patriarche un télégramme203 de reconnaissance pour l’envoi du métropolite, ce qu’il considère comme ‘une marque de votre chrétienne charité et le gage d’une prochaine Rencontre’. Et il lui écrit sa seconde lettre importante qu’il commence ainsi: «Frère bien-aimé dans le Christ».

Dans ce texte, le pape remercie le patriarche de sa lettre et des paroles délicates prononcées par le métropolite de Thyatira. Et il ajoute:

«(...) Ce fut une joie particulière pour nous de constater qu’un commun désir de Rencontre avait fait disparaître les obstacles qui auraient pu naître sur les modalités et les détails, tant il est vrai que là où domine l’Esprit de Dieu et Sa  charité, il devient  possible d’aplanir toutes les difficultés (...)»204.

Après le départ du métropolite Athénagoras, le bureau de presse du Vatican fit paraître un communiqué sur le caractère de cette visite. Et le métropolite annonça aux journalistes l’heureux résultat des pourparlers en vue de la Rencontre subséquente entre le pape et le patriarche a Jérusalem.

L’année 1963 se termine sur des préparatifs fébriles au Vatican et au Phanar.

l964

Et voilà qu’un nouveau jour se lève. Le 4 janvier, le pape Paul VI, accompagné de sa suite, prend son départ officiel de Rome, en avion pour Jérusalem. Il survole la Grèce, Chypre, la Turquie, le Liban, la Syrie et il adresse ses vœux aux chefs et aux peuples de ces pays. À l3 h. l3, il atterrit sur l’aéroport d’Amman. Les autorités civiles et ecclésiastiques, avec le roi de Jordanie en tête, lui font un accueil chaleureux; sont également présents les représentants du patriarche Bénédictos de Jérusalem. À 17 h., le pape arrive dans la Ville Sainte et, sous les ovations de la foule, il se dirige vers l’église du  Saint Sépulcre, pour y célébrer la sainte  Messe devant la chapelle même du Saint Sépulcre. Après quoi, il monte au Golgotha pour s’y prosterner: Son émotion est a son comble. Il se penche, les larmes aux yeux, et embrasse la fente du rocher qui reçut la Vraie Croix du Christ. Il y reste à genoux pendant un moment. À peine relevé, il aperçoit le gardien grec du Golgotha, le moine Daniel; il s’approche de lui et il le serre fortement dans ses bras ouverts, l’embrasse et le fixe dans les yeux, comme s’il voulait lui dire: «Je vous rends grâces, ô Grecs, qui avez gardé à travers les siècles le Lieu le plus adoré du monde». Après avoir Jeté un dernier regard sur la Croix du Golgotha, avec l’icone du Christ peinte dessus, il dit à voix basse: «Puisse ce pèlerinage devenir une offrande pour la paix du monde»205.

Le patriarche Athénagoras, de son côté, quitte Istanbul le même jour, en avion, presque officieusement, accompagné de sa suite, aux premières heures de l’après-midi. Un premier arrêt à Rhodes, l’île des dernières rencontres Panorthodoxes et Interchrétiennes.  On le reçoit très chaleureusement. Pendant les vêpres solennelles, célébrées dans l’église de l’Annonciation, il expose, devant le clergé et le peuple, ses premières reflexions sur cette Rencontre  qui se réalise 526 ans après celle de Ferrare, faite dans des circonstances difficiles et pas du tout officiellement, entre le pape Eugene IV et le patriarche Joseph II, le 8 mars 1438 et dans  des conditions totalement différentes.

«La Rencontre, a dit le patriarche, n’est pas un simple contact entre deux responsables. Elle a un grand but: celui de retrouver le Christ, présent ‘parmi des gens réunis’ et non ‘séparés’ (...). Nous avons compris le sens de ce moment et nous avons répondu, tant de la Rome ancienne que de la nouvelle, interprétant le sentiment et le désir du ‘Plerôme’ des Églises d’Orient et d’Occident (...)». Et le patriarche d’ajouter: «Nous nous rendons dans la Ville Sainte pour écrire le message de la nouvelle ère, dans cette Ville où fut écrite l’histoire de l’univers, dans le déroulement de laquelle se trouve le monde entier,  encore plus loin  que les  confins de l’Église, jusque là où s’étendent la force, l’influence et la civilisation du christianisme».

Le lendemain matin, dimanche 5 janvier, le patriarche part de Rhodes pour la Ville Sainte de Jérusalem. À l’aéroport d’Amman, le roi Hussein et le patriarche Bénédictos de Jérusalem, en tête des délégations, l’accueillent avec les honneurs d’un chef d’État. Le peuple et les personnalités officielles acclament chaleureusement le patriarche. Peu après son arrivée, le patriarche et sa suite partent en voiture pour la Ville Sainte qui, entourée de ses anciennes murailles, de ses clochers, de ses coupoles et minarets, du torrent des Cèdres, du mont des Oliviers, de toute la poésie de l’Évangile, accueille aujourd’hui le primat de l’Orthodoxie, comme elle a accueilli hier le primat du Catholicisme.

LE RENCONTRE SACRÉE DE JÉRUSALEM

Le patriarche Athénagoras se recueille devant le Saint Sépulcre et le Golgotha. Les cloches de la basilique du Saint Sépulcre le saluent joyeusement. Il monte au siège du Patriarcat grec. Le patriarche Bénédictos lui adresse une allocution, à laquelle il repond, en exaltant la grande œuvre de l’Ordre Orthodoxe du Saint Sépulcre pour la garde des  Saints Lieux de pèlerinage.

Après cette réception, les deux patriarches se rendent à la maison patriarcale, près du lieu dit: Viri Galilaei, sur le mont des Oliviers.

Depuis le temps d’Alexandre le Grand jusqu’à nos jours, bien des événements historiques se sont déroulés sur le mont des Oliviers et en ont fait un mont de paix et d’amour. C’est ici que, en 332 av. J.- C., le grand prêtre juif, Jaddon, vêtu de ses plus beaux ornements sacerdotaux, est venu, à la tête de prêtres et de lévites, à la rencontre d’Alexandre le Grand. Ici, le Seigneur, comme d’un ‘lieu de rendez-vous’ avec ses disciples, prophétise la fin de Jérusalem,206 marche aux rameaux vers la Ville pour y faire Son entrée triomphale, revient pour y subir ‘Sa Passion volontaire’207. Ici, a lieu l’Ascension et, ici, la Tradition situe l’emplacement du futur Jugement Dernier. Sur le mont des Oliviers, le patriarche Sophronios de Jérusalem rencontre en 638 le kalife Omar Ibn  El-Hattab, pour la  signature de l’ahtinameh, l’accord pour les privilèges des chrétiens.

Et c’est ici précisément, sur le mont des Oliviers, qu’ont lieu entre le 4 et le 6 janvier 1964, deux Rencontres successives: l’une du pape Paul VI avec le patriarche Bénédictos de Jérusalem, et l’autre entre le pape et le patriarche œcumenique, toutes deux d’une grande portée historique208.

Assez tard, dans la soirée du dimanche 5 janvier 1964, le pape était retourné à la résidence de la délégation apostolique, sur les pentes du mont des Oliviers, après sa tournée d’une journée entière en Israël, pour la visite des autres Lieux Saints, qui se trouvent sur territoire israelien. À 21 heures, le président d’Israël, M. Zalman Shazar, le salue devant la porte Mandel-Baum.

Devant la résidence  du pape et celle du patriarche, situées à quelques minutes l’une de l’autre, toutes les mesures sont prises pour maintenir l’ordre et faciliter le passage des voitures des autorités.

A 2l h. 30, les voitures du patriarche et de sa suite ont traversé le jardin et elles se sont arrêtées devant l’entrée du bâtiment  catholique. Des dizaines de journalistes et de photographes les cernent, tandis que la foule applaudit. Le doyen du Sacré Collège des cardinaux, Eugène Tisserant, accompagné des cardinaux Amleto Cicogniani et Gustavo Testa, et entouré par des archevêques, des évêques et prélats de la Curie, sort à la Rencontre du ‘premier évêque’ d’Orient, le patriarche Athénagoras. L’émotion est à son comble. Le cardinal Tisserant, sans aucun Protocole, accourt ouvrir la porte de la voiture. Il salue le patriarche et échange avec lui l’accolade. Les autres cardinaux et prélats font de même. Après quoi, la suite pontificale se met en marche, suivie du patriarche avec sa suite: les métropolites Iacovos, de Derkos; Chrysostomos, de Néo-Césarée ; Méliton, d’Héliopolis; Hiéronymos, de Rodopolis; Athénagoras, de Thyatira ; Chrysostomos, de Myra ; l’archimandrite Siméon, secrétaire en chef du Saint-Synode ; l’archimandrite Jean, l’exarque du Saint Sépulcre, le second des diacres patriarcaux Évanghélos et le professeur Emmanuel Photiadès, du Phanar. À cette suite du patriarche, se joignirent les archevêques Eugénios, de Crète ; Iacovos, d’Amérique ; Ézéchiel, d’Australie; les métropolites Callinicos, de Verria et Spyridion, de Rhodes, l’archimandrite roumain Skrima et d’autres personnalités ecclésiastiques, théologiques et diplomatiques.

Le patriarche, portant son ‘voile’ et ses engolpia, sans bâton pastoral, traverse, imposant, le couloir. Au même moment, le pape Paul descend l’escalier intérieur des appartements.

La Rencontre a lieu juste au bas de l’escalier. Aucun embarras, des deux côtés. Les larmes aux yeux, ils ouvrent spontanément les bras, ils s’embrassent dans le Christ, ils se tiennent fortement serrés l’un l’autre. Quelques secondes passent, pleines d’intense émotion. L’assistance pleure de joie et tressaille devant ce moment historique que tant de générations de chrétiens attendaient.

Après un court échange de salutations et de vœux, les primats des Églises d’Orient et d’Occident se tenant par la main avancent ensemble dans le couloir qui conduit à la salle des réceptions officielles. À la place d’honneur, deux trônes identiques sont dressés. Le pape prend place dans celui de gauche, cédant courtoisement celui de droite au patriarche.

Les deux chefs restent seuls, au début, comme prévu. Pendant les quatorze minutes de leur entretien particulier, effectivement ‘le silence des siècles a été délié et un nouveau point de départ a été inauguré pour une nouvelle ère chrétienne’209. Ils étaient assis l’un à côté de l’autre.

Le pape Paul, avec beaucoup de dilection et d’humilité, a exprimé son allégresse pour ce moment historique et sa confiance en Dieu pour l’avenir des bonnes relations entre les deux Églises-sœurs. Il a relevé que les événements déplorables du passé ne devaient plus, à l’avenir, entraver la marche vers l’unité, puisque l’Église a le devoir de procéder,  avec amour, vers la paix et la vérité du Christ.

Ensuite, le pape exprime son désir et sa décision non seulement de faire en sorte pour que soit écarté désormais tout ce qui pourrait engendrer des malentendus et des mécontentements dans les rélations des deux Églises, mais encore de veiller à ce que soit accompli tout effort possible, dans un esprit de compréhension réciproque et de coopération, pour promouvoir des sentiments d’amitié et de fraternité entre les deux Églises210.

Le patriarche Athénagoras remercie alors le pape pour ses réflexions et ses décisions. Ensuite, il affïrme son accord pour la réalisation progressive d’un programme, en commun. «Pendant des siècles, dit-il, les cœurs de tous les hommes de bonne volonté ont souhaité cet instant. Le malheur de la division du christianisme, avec l’isolement et les haines qui s’ensuivirent, discréditent l’œuvre de l’Église  auprès de tous les peuples de la terre. À l’époque où nous vivons, l’Esprit Saint a rendu la volonté du Seigneur: ‘que Ses disciples deviennent un comme Il les a laissés’, une nécessité vitale pour la conscience  ecclésiale du monde. Nos sièges historiques, de l’ancienne et de la nouvelle Rome, doivent donner le témoignage de la charité et de la paix à tout l’univers».

Le pape et le patriarche appelèrent ensuite dans la salle les membres des leurs suites, pour les présentations.

Après quoi, le patriarche Athènagoras lut son allocution officielle devant le pape Paul VI, en grec, suivie tout de suite par la lecture de la traduction en français par le secrétaire en chef, Siméon.  L’allocution du patriarche se réfère, au début, a l’événement joyeux de la Rencontre, sur les lieux-mêmes où a été entendue la voix du Christ qui prêchait «l’Évangile de la réconciliation» et priait ‘pour le maintien dans la vérité et l’unité de ceux qui allaient croire en Lui’. Considérant cette Rencontre, le patriarche ajoute: «inous souhaitons que les bonnes intentions qui, en ces derniers temps, se sont manifestées à profusion de part et d’autre», «cette étreinte d’âmes, deviennent le prélude d’une communion d’intentions et d’une plus complète soumission à la volonté sainte de Dieu (...)».

Et le patriarche de enntinuer: «Depuis des siécles, le monde chrétien vit dans la nuit de la séparation: ses yeux se sont fatigués de regarder dans les ténèbres. Puisse notre Rencontre être l’aube d’un jour lumineux et béni, où les générations futures des chrétiens,  communiant au même calice du Saint Corps et du Précieux Sang du Seigneur, loueront et glorifieront, dans l’amour, la paix  et l’unité, l’unique Seigneur et Sauveur du monde (...)»211.

Ce point précis de l’allocution patriarcale fit une impression particulière sur le pape, qui souligna la chose, en dehors du Protocole, juste après la lecture du texte; le pape fit un geste symbolique; il offrit au patriarche un calice en or avec sa patène. Ce vase sacré n’est pas un souvenir ordinaire212; c’est le symbole visible de la communion dans le Corps et dans le Sang du Christ. Le patriarche reçut le présent avec émotion et surprise, en raison de sa signification et, depuis ce moment-là, il n’a jamais cessé de le considérer comme un signe précurseur de la marche des deux Églises vers leur union finale. Ensuite, le pape offrit des médailles d’argent aux membres de la suite patriarcale213.

Cette première Rencontre historique à caractère  sacré, prit fin, par la récitation de la prière dominicale, un «Notre Père» en grec et en latin; par l’accolade échangée entre les deux primats et le salut des membres de leurs suites venus s’incliner devant eux. Le pape reconduisit le patriarche jusqu’à la sortie et les cardinaux  l’accompagnèrent jusqu’à la voiture  patriarcale.

Le lendemain, le pape Paul VI rendit la visite du patriarche Athénagoras, dans la maison patriarcale de Jérusalem,  Viri Galilaei sur le mont des Oliviers.

Le lundi 6 janvier, fête de l’Épiphanie, le pape se rendit, des 7 h., a Béthléem, pour y célèbrer la sainte Messe dans la grotte de la Nativité, sur l’autel de l’Adoration des Rois Mages. À 9 h. 50, il retourna à Jérusalem et il se dirigea vers la résidence patriarcale. Il était accompagné des cardinaux Tisserant, Cicogniani et Testa, des archevêques Dell’Acqua et Zanini, du secrétaire du Secrétariat pour l’unité Mgr. Jean Willebrands, du sous-secrétaire rév. Pierre Duprey et de sa suite.

À l’entrée, le patriarche Athénagoras accueille le pape à bras ouverts. Ils se sentent comme de vieilles connaissances. Ils se donnent le baiser de la paix dans le Christ et, se tenant la main, ils avancent vers la salle de réception, où deux trônes identiques les attendent.

Là, ils s’entretiennent seuls pendant dix minutes. Leur conversation est encore plus cordiale que lors de la première Rencontre. Ils parlent en français, en toute sincérité et compréhension, des difficultés que les siècles ont accumulées sur l’Église et de leur devoir de les ‘effacer de la mémoire’ du clergé et du peuple des Églises d’Orient et d’Occident. Le patriarche insiste tout particulièrement sur la collaboration; et le pape, sur la nécessité de saisir les points de contact entre le Catholicisme et l’Orthodoxie. Ainsi, les entretiens que les Protocoles, dans leur réserve naturelle, prévoyaient dans un climat de simple courtoisie, ont abouti à etablir un dialogue honnête et sincère, et de vérité dans un esprit de dilection de la part des deux interlocuteurs.

Après quoi, les membres des deux suites sont invités à passer dans la salle.

Le pape lit avec émotion une allocution, en latin, au patriarche. Pour commencer, il dit sa profonde joie, ‘en cette heure vraiment historique’ et il exprime sa reconnaissance au patriarche, parce que, depuis l’époque du pape Jean XXIII, il s’est attaché avec persévérance à la réalisation de cet événement, que feu le pape désirait tant, mais que la mort ne lui a pas permis de réaliser.

«Sans doute, d’un côté comme de l’autre, les voies qui mènent à l’union peuvent être longues et semées de difficultés. Mais les deux chemins convergent l’un vers l’autre et aboutissent aux sources de l’Évangile: n’est-ce pas d’un bon augure que cette Rencontre d’aujourd’hui se réalise sur cette terre où le Christ a fondé son Église et versé Son Sang pour elle? C’est en tout cas une manifestation éloquente de la volonté profonde qui, grâce à Dieu, anime de plus en plus tous les chrétiens dignes de ce nom: celle de travailler à surmonter les désunions, à abattre les barrières; la volonté de s’engager résolument dans la voie qui mène à la réconciliation.

» Les divergences d’ordre doctrinal, liturgique, disciplinaire, devront être examinées, en temps et lieu, dans un esprit de fidélité à la vérité et de compréhension dans la charité. Ce qui peut et doit progresser dès maintenant, c’est cette charité fraternelle, ‘ingénieuse à trouver de nouvelles manières de se manifester; une charité qui, tirant les leçons du passé, soit prête à pardonner, incline à croire plus volontiers au bien qu’au mal, soucieuse avant tout de se conformer au divin Maître et de se laisser attirer et transformer par Lui.

» De cette charité, que soient le symbole et l’exemple, le baiser de paix que le Seigneur nous a permis d’échanger sur cette terre bénie, et la prière que Jésus-Christ nous a apprise et que nous allons réciter ensemble tout à l’heure (...)»214.

Après cette allocution, le patriarche remercia le pape; puis, les deux primats donnèrent lecture alternativement, en grec et en latin, de passages du chapitre 17 de l’évangile de saint Jean. Tout le monde  était bouleversé d’émotion. L’actuel cardinal Willebrands tient le Nouveau Testament, avec les deux textes: le pape et le patriarche y lisent les passages respectifs. L’assistance a le frisson. Mgr. Testa ne peut plus contenir ses larmes, ainsi que plusieurs prélats présents à cette scène unique:  de tels moments ne sauraient être décrits, ils s’inscrivent dans l’éternité.

Après la lecture ainsi faite de l’évangile, tout le monde récite avec beaucoup de dévotion, en grec et en latin, le ‘Notre Père’. À la fin, le pape demande au patriarche avec  une  affectueuse  courtoisie:  «Sainteté, ne voudriez-vous pas que nous bénissions ensemble le monde?» -«Bien volontiers!», répond le patriarche. Et tous deux donnent la bénédiction aux assistants. C’est la première fois qu’ils font ce geste sacré en commun: fruit de leur fraternité et de leur communion dans la charité.

Enfin, le  patriarche offre au pape  l’insigne distinctif de la dignité des «hierarques»  en  Orient,  un  précieux  engolpion,  médaillon  pectoral, représentant le Christ comme Maître2l5. Les Grecs qui assistent à cette petite cérémonie s’écrient, spontanément: «Sainteté,  passez l’engolpion vous-même autour de la tête de Sa Sainteté le pape».  Cette demande est traduite au pape, qui, les larmes aux yeux, enlève sa stola; le patriarche, avec des mains tremblantes, lui passe l’engolpion au cou. Tout le monde alors de crier: «axios! axios!» (dignus es), ce qui surprend la cour pontificale, qui, pour la première fois, entendait ce cri liturgique, de rigueur dans l’ordination sacerdotale en Orient.

Cet «axios» était la reconnaissance la plus officielle de l’unité dans le sacerdoce de l’Église Universelle. Le pape Paul VI vient d’être reconnu par les assistants, clergé et laïcs d’Orient, spontanément et en pleine connaissance de cause,  comme  coparticipant à leur corps hiérarchique. Le pape gardera cet engolpion sur sa poitrine jusqu’à son retour à Rome. Et, chaque fois qu’il se rencontrera ultérieurement avec le patriarche, il le portera.

Ensuite, le patriarche offre au pape la croix  d’or du Millénaire du Mont-Athos, pièce d’un art très fin; et, aux membres de sa suite, d’autres souvenirs du même Millénaire. Après avoir encore échangé des propos de grande cordialité réciproque et de remerciements, ils s’avancent sur la petite loggia de la demeure patriarcale, pour bénir les foules qui les acclament et qui sont pressées dans les environs immédiats. Ils bénissent à nouveau ensemble la foule, ils se donnent le baiser de paix fraternel dans le Christ devant le peuple et ils se séparent ensuite.

Après la Rencontre, un communiqué officiel conjoint fut publié, qui disait entre autres: «Cette Rencontre ne peut être considérée que comme un geste fraternel, inspiré par la charité du Christ; qui laissa à ses disciples le commandement suprême de s’aimer les uns les autres, de pardonner les offenses jusqu’à soixante dix fois sept fois et d’être unis entre eux.

»Les deux pèlerins, les yeux fixés sur le Christ, exemplaire et auteur, avec le Père, de l’unité et de la paix, prient Dieu que cette Rencontre soit le signe et le prélude des choses à venir pour la gloire de Dieu et l’illumination de son peuple fidèle. Après tant de siècles de silence, ils se sont maintenant rencontrés dans le désir de réaliser la volonté du Seigneur et de proclamer l’antique vérité de son Évangile confié à l’Église.

Ces sentiments communs sont manifestés a tous les membres des hiérarchies respectives et à tous les fidèles (...)»216.

À 16 heures, le pape Paul VI s’envola de l’aéroport d’Amman pour Rome. Le métropolite Meliton d’Héliopolis, l’archevêque Iacovos d’Amerique, les métropolites Athénagoras, de Thyatira et Chrysostomos, de Myra, ainsi que le secrétaire en chef Siméon, le reconduisirent.

Il arriva a Ciampino a 18 h. 21, et au Vatican, à 21 h. Il fut reçu avec de grandes manifestations de joie.

Des milliers de Romains avaient, en effet, envahi la place de Saint-Pierre. Le pape fait son apparition à la fenêtre de ses appartements privés pour les benir. Mais, auparavant, il leur adresse un salut qu’il conclut comme suit:

«(...) Ce soir, je me contenterai de vous dire que j’ai eu, ce matin, le grand bonheur d’embrasser, après de longs siècles, le patriarche œcuménique de Constantinople et d’échanger avec lui des paroles de paix, de fraternité, de désir au sujet de l’union, de la concorde, de l’honneur à rendre au Christ et du service que réclame le bien de la famille humaine tout entière. Nous espérons que ces débuts porteront de bons fruits, que la semence germera et viendra à maturité»217.

Par trois fois, la foule interrompit ces paroles avec des applaudissements enthousiastes.

Après la bénédiction au peuple, à 21 h., le pape se rend à la salle du consistoire, où se trouvent réunis les membres du Sacré Collège des cardinaux résidant à Rome, pour le saluer. Le cardinal Tisserant prononce une allocution en leur nom, et le pape leur expose ses impressions de son pèlerinage en Terre Sainte. Tout de suite, il oriente sa conversation sur sa Rencontre avec le patriarche et leur dit: «Le patriarche œcuménique de Constantinople Athénagora est venu a ma Rencontre accompagné de onze métropolites, et il a voulu m’embrasser, comme on embrasse un frère ; il a voulu me serrer la main et me conduire avec lui, la main dans la main, au salon, danc lequel on devait prononcer quelques mots, comme pour dire: nous devons, oui; nous devons nous entendre, nous devons faire la paix, faire voir au monde que nous sommes des frères revenus l’un vers l’autre. Et le patriarche ajoutait ce matin: ‘Dites-moi ce que nous  devons faire, dites-moi ce que nous devons  faire’. Nous nous  trouvons donc devant cette proposition, devant cette question, qui devient pour nous un sujet de réflexion (...)»218.

De son côté, le patriarche déclarait aux représentants de la presse: «Après tant de siècles, nous nous sommes trouvés l’un à côté de l’autre, les larmes aux yeux, seuls devant le même Dieu, le même Jésus-Christ, la même sainte Vierge, les mêmes martyrs, et ayant une confiance réciproque et inexplicable. Le pape Paul VI est une âme sainte, envoyé par Dieu pour réaliser la fraternité entre les chrétiens et tous les hommes (...)219. L’événement de la Rencontre est d’une grande portée historique. J’ai la conscience tranquille devant Dieu. Orthodoxie, signifie liberté, et les hommes libres marchent de l’avant, marchent sans trahir leur foi et leurs idéaux. Ceux qui se trouvent enfermés dans les tranchées ont peur, parce qu’ils ne croient point à leur force»220.

Lorsque, à peine revenu au Phanar, il trouve le télégramme du pape,221 lui exprimant son impression profonde de cette Rencontre, le patriarche lui repond: «Ayant conservé pour toujours dans notre cœur, comme un trésor précieux, la figure lumineuse de ‘Votre Sainteté très chère et bien-aimée après notre Rencontre sacrée en Jérusalem, nous venons de rentrer à notre siège hier soir, 9 janvier, comblé de satisfaction religieuse et d’allégresse spirituelle (...). Nous souhaitons de tout cœur que, du Saint Sépulcre, une voix divine dise toujours le bien à nos cœurs, nous conduise et nous fortifie, ainsi que tout le monde chrétien, en vue de la réalisation de la volonté de son divin fondateur»222.

Quelques jours après leur Rencontre, le patriarche envoie, avec le métropolite Athénagoras de Thyatira, qui devait passer par Rome, trois bouteilles de anâma, du vin pour la sainte Messe, que distillent les moines de Patmos, pour que le pape l’utilise dans ses Messes privées. Le pape exprime par lettre sa reoonnaissance. Il considère cet envoi comme une nouvelle preuve de charité empressée, «un geste touchant, qui veut symboliser, malgré les divergences, la permanence de l’unique sacrifice du Christ, et la participation au même sacerdoce et aux mêmes sacrements»223.

À l’occasion de la Semaine de prières pour l’unité, le pape; dans son exhortation apostolique224 parla du patriarche: «Nous avons échangé avec lui une sainte salutation et un baiser fraternel, comme font les disciples du Seigneur». Et, devant le corps diplomatique près le Saint-Siège, le 25 janvier, il remarquait225: «De toutes les émotions que nous avons ressenties au cours de ce voyage, la plus grande a été celle de la Rencontre avec le patriarche de Constantinople. Lorsque nous priâmes à ses côtés, lorsque nous échangeâmes avec lui le baiser de paix, nous avions conscience de renouer, par dessus les siècles, les anneaux d’une chaîne qui n’aurait jamais dû se rompre, conscience aussi d’accomplir le premier pas dans la voie d’une réconciliation à laquelle aspirent ardemment tous les chrétiens dignes de ce nom. C’est une voie encore longue, elle aussi, c’est bien certain: on ne fait pas disparaître, en quelques heures, des préjugés et des malentendus de siècles entiers. Mais cette Rencontre, opérée justement après tant de siècles, annonce la bonne nouvelle de la mise en route pour l’union. L’unité des chrétiens, c’est l’unité du monde».

La Rencontre sacrée de Jérusalem des 5 et 6 janvier 1964 constitue le grand événenient de notre époque226.

Vers la fin du mois de février, le patriarche tombe malade. Le pape lui manifeste alors tout l’intérêt fraternel qu’il porte au prompt rétablissement de la santé du patriarche227.

En rentrant de Halki au Phanar, le 19 avril, le patriarche, remis, télégraphie au Saint Père: «Je remercie de tout cœur pour le chaleureux intérêt fraternel de Votre Sainteté vénérée et je suis heureux de me sentir moi-même si proche de votre belle dilection. Je pense vivement et continuellement au jour de notre Rencontre dans la sainte Jérusalem, souhaitant que se réalise aussi l’au-revoir»228

Pourtant, le retentissement mondial de la Rencontre de Jérusalem et, surtout, la très grande importance de cet ècho pour l’autoritè du Patriarcat œcumenique, suscita des réactions à Ankara, en raison de la crise survenue dans les relations gréco-turques. À partir de la mi-mars, une atmosphère très lourde pèse sur le Phanar ainsi cerné.229 C’est précisément à ce moment difficile que le pape Paul VI envoie une délégation, composée de l’archevêque Joseph Martin de Rouen, de Mgr. Jean Willebrands et du père Duprey. Du 20 au 23 avril, ils rendent visite au patriarche et lui remettent une lettre du pape. Il y est dit: «Par cette visite, nous voudrions renouveler le baiser de paix échangé sur le mont des Oliviers et vous dire de nouveau combien votre personne, votre clergé et tous vos fidèles sont présents à notre prière. Nous serions aussi heureux si cette visite était l’occasion de renforcer les liens déjà noues et de voir comment ils pourraient se resserrer davantage».230 C’est durant les conversations qui se déroulèrent alors que fut notifiée confidentiellement au patriarche l’intention du pape de rendre à la Métropole de Patras la relique de l’Apôtre saint André. Le patriarche remercia le pape: «Nous avons la joie par cette lettre fraternelle d’exprimer à Votre Sainteté nos chaleureux remerciements tout d’abord pour cette manifestation de ses dispositions chrétiennes  qui témoignent aussi avec évidence de l’importance qu’ elle attache à notre Rencontre sur le mont des Oliviers et dans la ville sainte, et à la nouvelle période pleine de grâce divine qui s’ouvrit alors dans l’histoire des relations des deux Églises, et ensuite pour sa disposition empressée à renforcer et promouvoir le lien sacré de paix et de charité qui fut ainsi inauguré entre nous et votre Sainteté».23l

L’opinion internationale interpréta cette visite comme un appui et un avertissement de Rome.232 Cependant, au début de juin, du 1er au 5, l’intérêt de Rome se manifeste par une autre visite, celle d’une personnalité catholique du Moyen-Orient, le patriarche Maximos IV Saigh, des Melchites.233

 

LE RETOUR DU CHEF DE SAIN ANDRÉ À PATRAS

Le 20 juin, le cardinal Bea annonce au patriarche que le pape PauI VI, le soir du 23 de ce même mois, annoncera la restitution de la précieuse relique du Chef de l’Apôtre André, après 502 ans, à la Métropole de Patras: «J’espère que ce geste, par lequel le Saint Père répond en toute charité, en complet désintéressement et en totale sincérité à la confiance des chrétiens de Patras, contribuera à approfondir et à étendre la nouvelle atmosphère créée par la sainte Rencontre de Jérusalem dans les relations entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes234. Se référant a cet événement, le patriarche répond qu’il a suscité l’allégresse dans toute l’Orthodoxie et ajoute ses remerciements fraternels235.

C’est le 26 septembre 1964 que la vénérable relique est solennellement remise au métropolite Constantinos de Patras par le cardinal Bea, les évêques Jean Willebrands et Jacques Martin, les pères Pierre Duprey, Giovannelli, Raes, Smith, et les professeurs Giuseppe Schiro et Agostino Pertusi236.

C’est avec grande joie que le patriarche apprend l’élévation à l’episcopat de Mgr. Jean Willebrands et, le jour de sa consécration par le pape lui-même, le 28 juin, il lui envoie un télégramme, par lequel «il le félicite et souhaite que le bon Dieu donne pleinement Sa grâce a (son) œuvre et mission»237.

Après la décision de la Deuxième Conférence Panorthodoxe, l’envoi de la part des Églises orthodoxes d’observateurs à la 3ème session du IIe Concile du Vatican est considéré comme une question concernant chacune d’elles séparément.

 

OBSERVATEURS AU CONCILE DU VATICAN

Le Secrétariat pour l’unité envoie alors des invitations à toutes les Églises orthodoxes238. Le Patriarcat œcuménique, après décision synodale, communique à Rome l’envoi de trois observateurs239. Cependant, au début, deux d’entre eux seulement furent envoyés240;  l’archimandrite Pantéléimon Rodopoulos241 et l’archiprêtre Jean Romanides242. À Rome, ils furent accueillis avec beaucoup de joie243. Le premier fut placé, en signe d’honneur, à la tête des 75 observateurs de toutes les Églises chrétiennes et c’est même lui qui prononça en leur nom l’allocution au pape, pendant l’audience officielle du 30 septembre, dans la chapelle Sixtine244. Le second, en raison de ses engagements de professeur aux États-Unis, dut repartir au bout d’un mois et fut remplacé par l’archimandrite Maximos Ayiorgoussis. Le troisiènie, l’archimandrite André Scrima, était le délégué personnel du patriarche, dès la 2ème session245.

La 3ème session de Vatican II commença le 14 septembre et termina ses travaux le 21 novembre, après avoir vote la constitution dogmatique Lumen Gentium et les décrets  pour  l’œcuménisme  Unitatis  Redintegratio et, pour les Églises catholiques d’Oriant, Orientalium Ecclesiarum. L’adoption finale du décret pour l’œcumenisme, par 2137 voix contre 11 seulement, provoqua la surprise même des plus optimistes, étant donné que des questions dont, il y avait encore dix ans, la discussion n’était pas permise, firent l’objet de décisions conciliaires: la prière en commun avec des chrétiens  d’Églises  differentes,  la  connaissance  fraternelle  réciproque, l’enseignement et le dialogue œcuméniques, la collaboration culturelle et sociale et l’intercommunion des saints Sacrements avec les orthodoxes, dans certaines circonstances246.

La décision courageuse de la Deuxième Conference Panorthodoxe, qui avait sorti les deux Églises de l’isolement,  après la nouvelle réalité des événements de Jérusalem, avait besoin d’être complétée pour aller de l’avant. La question est alors soumise par le Patriarcat œcuménique au jugement de toutes les Églises orthodoxes. Et c’est ainsi qu’a été décidée la Troisième Conférence Panorthodoxe.

LA TROISIÈME CONFÉRENCE PANORTHODOXE

Cette nouvelle Conférence devait faire du dialogue une affaire de tous, en étudier l’étendue et la méthodologie, le contenu et la progression, et, plus particulièrement, le climat et les conditions dans lesquelles il doit se développer247. Elle commence ses travaux le 1er et les achève le 15 novembre; sous la présidence du métropolite Méliton. Y prennent part 29 évêques, 5 prêtres et 17 théologiens laïcs, en tout 51 représentants des l4 Églises autocéphales ou autonomes de l’Orthodoxie. Y sont invités aussi des observateurs catholiques romains.  Le père Dejaifve représente le Secrétariat pour l’unité, tandis que les divers centres scientifiques et les revues sont représentés par les pères Christophe Dumont, Olivier Rousseau, Antoine Wenger, Maurice Villain, Aristide Brunello, Kauffman et Castro.

Dans son allocution, le métropolite Méliton qualifia la Conférence

de ‘Conférence pour l’unité chrétienne’ et, après avoir salué les délégués et les assistants, il termina ses voeux par un salut «au premier honoris causa entre égaux, le très saint évêque et pape de l’ancienne Rome, Paul VI, et, avec lui, en dilection, aux vénérables pères conciliaires du IIe Concile du Vatican» ainsi qu’ aux chefs des autres Églises chrétiennes.

ENTRETIENS ENTRE LE PAPE ET LES DÉLÉGUÉS

Après les autres allocutions, on lut différents messages. En premier lieu, on donna lecture d’un message «fraternel» du pape à la Conférence, message qui fit une profonde impression. En raison de son importance, il fut considéré comme une sorte de «ratification écrite de la Rencontre sacrée de Jérusalem». Et, effectivement, ce message est la conclusion théologique de cette rencontre, qui en transmet l’esprit, en partant des deux primats, au corps épiscopal des Églises de l’Orient et de l’Occident et les fait tous communier de la nouvelle réalité. Ce texte comporte, en substance, les points suivants: a) qu’il importe à la conscience ecclésiale, en Orient et en Occident, que l’on retrouve les voies justes, qui conduiront à la plus fidèle application  des  desseins de  Dieu  pour  l’époque  contemporaine; b) que l’esprit commun de «collégialité» exprimé dans les deux rencontres sacrées du Vatican et de Rhodes, quand il est animé par la charité et le culte commun du Seigneur unique, montre combien est toujours vivant le Corps du Christ; c) que la responsabilité du sacerdoce commun impose une interdépendance de structure spirituelle; d) que l’hommage commun rendu à la sainte Vierge et la charité commune qui découle de la sainte Eucharistie, créent une unité interne248.

Les membres de la Conférence se rendent compte de la grave importance du message du pape et expriment alors le désir que leur réponse ne soit pas une simple formule protocolaire, mais qu’elle corresponde vraiment à tous les points signalés dans le texte, c’est-à-dire a la notion de fraternité, de collégialité249, d’hommage commun rendu à la Sainte Vierge250, etc. Leur réponse est approuvée par vote sur le fond et la forme, ainsi que sur le libellé du texte. Elle souligne a) que l’Orient, unanimement et sincèrement, apprécie la communion de  charité et de paix «dans le même et unique Seigneur» que l’Occident lui présente; b) que la conscience ecclésiale désire «jouir du bien de la fraternité dans le Christ»; c) qu’il faut «En persévérant dans la prière et en se rendant honneur les uns aux autres, suivre la voie des conseils de Dieu, dans l’attente de l’accomplissement de la volonté de Notre Seigneur Jésus-Christ pour son Église parce qu’ ‘Il est fidèle pour l’éternité’»251.

C’est ainsi que commence le dialogue de l’amour entre le pape et la totalité de l’Église orthodoxe, avant la décision finale de la Conférence de Rhodes.

Au cours des cinq jours de discussions, qui traitèrent du dialogue avec Rome, on constata un accord quant à la nécessité et au fond du dialogue, mais il y avait trois points de vue différents quant à la date de son annonce et à son contenu. La responsabilité de la fusion de conciliation de différents points de vue fut confiée à une commission, qui prit une décision prudente, correspondant à la réalité telle que toutes les Églises orthodoxes la vivent.

Selon cette décision unanime, l’Orthodoxie désire un dialogue «sur un pied d’égalité» et qui soit parfaitement préparé; elle invite toutes les Églises locales à instaurer le dialogue de la charité et les ‘relations fraternelles avec l’Église catholique romaine’, afin de neutraliser graduellement les difficultés existantes. En outre, en vue de mieux servir cette ‘cause sacrée’, les sujets du dialogue doivent être étudiés par toutes les Églises orthodoxes et celles-ci doivent échanger les conclusions de leur étude, ainsi que tout autre renseignement y relatif. Il y est dit enfin que tout ce qui aura été décidé soit communique à Rome et aux autres Églises, ‘selon ce qui a été convenu252. Ce dernier point fut éclairci par le métropolite Méliton, au cours d’une conférence de presse  «Il est clair, déclara-t-il, que toutes les informations sur les travaux de la Conférence seront transmises à Rome par le Patriarcat œcuménique». À une autre occasion, comme on lui demandait quel est le sens de la décision au sujet des relations avec Rome, il répondit: «Nous commencerons par nous exercer à la charité. Le dialogue a besoin ‘d’étude. La charité n’a pas besoin d’étude. Elle a besoin de  pratique,  d’initiative, de générosité,  d’esprit  de sacrifice. ...  Les schismes sont parvenus à leur point culminant irrémédiablement et les ponts ont été coupes lorsque la charité a totalement fait défaut. Nous ne pouvons pas rétablir une unité chrétienne, si nous ne nous mettons pas à l’ecole de la charité, si nous n’aimons pas. Et nous souhaitons que cette étape du développement de relations fraternelles soit pleine de gestes réciproques, d’égards, d’honneurs et d’amour, de sorte qu’un climat propice soit créé, dans lequel nous élaborerons le dialogue théologique ecclésiastique»253

On trouve une nouvelle preuve de l’estime du pape dans l’envoi au patriarche de l’anneau épiscopal ayant appartenu au pape Jean XXIII. Dans la lettre d’envoi, le pape faisait mention de l’’affectueux attachement’ entre le patriarche Athénagoras et le pape de vénérée mémoire, «auquel est dû, pour une si grande part, le vaste mouvement œcuménique, qui traverse si heureusement aujourd’hui l’Église catholique»254.

Vers la fin novembre, des théologiens d’autorité internationale se réunissent et étudient la proposition du pape Paul VI, pour l’institution d’un ‘centre interchrétien d’études sur l’histoire de la divine économie’ à Jérusalem. On y décide la fondation de l’institut œcuménique d’études théologiques supérieures et on lui donne son premier conseil académique.

Le patriarche Athénagoras, dans son message de Noël, se réfère aux décisions de la IIIe Conférence Panorthodoxe au sujet de Rome: «Nous reprenons le dialogue, écrit-il, qui a été interrompu depuis des siècles. Nous le faisons promouvoir sûrement et avec prudence, mais aussi avec un progrès substantiel (...). L’Orthodoxie se conforme au commandement de son Seigneur et devient un facteur d’unité et de paix, par ses décisions solides et mesurées, qui conduiront à la détente et consolideront les relations  fraternelles»255.

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À l’occasion du premier anniversaire de la Rencontre sacrée de Jérusalem, le pape et le patriarche échangent des messages chaleureux. Le pape souhaite que le nouvel an soit fertile en relations fraternelles, et le patriarche fait des voeux pour «la réalisation du desir commun  d’un ‘au revoir’»256.

 

COMMUNICATION À ROME DES DÉCISIONS PANORTHODOXES

Le Patriarcat œcuménique communique à Rome les décisions de la IIIe Conférence Panorthodoxe par une délégation patriarcale, le 15 février. Les métropolites Méliton, d’Heliopolis, et Chrysostomos, de Myra, se rendent alors au Vatican; ils y sont très cordialement reçus par le pape Paul VI, avec tous les honneurs que prévoit le protocole: Ils échangent avec lui le baiser de la charité dans le Christ et ont l’honneur de s’entretenir en particulier avec lui, en la présence du seul évêque Jean Willebrands, pendant une demi-heure. Ils le mettent au courant des décisions de la Conférence. Le pape les écouta avec beaucoup d’attention et, après avoir répété qu’il conserverait pendant toute sa vie le doux souvenir de la Rencontre de Jérusalem, «si importante pour l’évolution des relations entre les deux Églises», il montra sa joie pour l’unité et l’unanimité avec lesquelles les Églises orthodoxes avaient pris ces décisions, comme aussi il manifesta son estime au sujet de ce qui avait été decidé. «Je ferai tout ce qui dépend de moi, déclara-t-il, pour promouvoir le but sacré du développement des relations fraternelles».

Après l’audience privée, eut lieu l’audience officielle, en présence d’autres personnalités. Le métropolite Méliton, dans son allocution au pape, dit alors : «(...) Selon l’ordre ecclésiastique, nous nous présentons d’abord devant Votre Sainteté, le souverain évêque de l’ancienne Rome, et nous vous transmettons le baiser dans le Seigneur de votre frère d’Orient, l’évêque de Constantinople, la nouvelle Rome. Nous  avons l’honneur de vous remettre ses lettres patriarcales fraternelles (...).

»(...) Notre Orient orthodoxe visant à retablir l’ancienne unité, la beauté et la gloire de l’Église, n’a jamais cessé de prier pour l’union de tous (...) a décidé, en principe, le dialogue avec (le Vatican) sur un pied d’égalité (...) Il établit un programme en vue de promouvoir cette sainte cause et d’en poursuivre la réalisation et la réussite progressivement et sur des bases sûres. Il a été décidé que la première étape serait la préparation générale par la création de circonstances favorables et par l’étude des divers sujets de ce dialogue du côté orthodoxe (...)257.

Dans  sa  réponse,  le  pape souligna la valeur de cette rencontre «(...) La première parole qui monte a nos lèvres en cet instant, c’est l’exclamation de l’auteur inspiré: Haec dies quam fecit Dominus, exultemus et laetemur in ea! (Ps 117, 24). Oui, vraiment, ce jour, c’est le Seigneur qui l’a fait: que tout soit à l’action de grâce et a la joie!

»Avec vous, nous bénissons Dieu pour la rencontre de ce jour, car elle constitue déjà, à elle seule, un événement profondément heureux. Et l’on pourra dire, dans l’avenir: ici ont pris fin des siècles d’histoire, ici a commencé une nouvelle étape dans les relations entre l’Église catholique et l’Orient orthodoxe. Instant singulièrement solennel que celui-ci! (...)».

Et, commentant les décisions. de la IIIe Conférence Panorthodoxe, le pape Paul VI ajoutait: «Nous sommes heureux de la sagesse et du réalisme des grandes lignes du programme que vous venez d’esquisser. Il faut, par des contacts plus nombreux et plus fraternels, refaire progressivement ce que les temps d’isolement avaient défait, et recréer, à tous les niveaux de la vie de nos Églises, une atmosphère qui permettra d’entamer, le moment venu, un fécond dialogue théologique».

Ensuite le métropolite Méliton présenta au pape la lettre du patriarche, disant notamment: «Notre très sainte Église orthodoxe orientale, exprimant très puissamment ce désir et cette disposition sacrés dans les conférences panorthodoxes successives qui se sont tenues avant et après cette Rencontre, a résolu -et proclamé cette résolution- de s’empresser d’entamer et d’entretenir des relations fraternelles avec la vénérable Église de l’ancienne Rome, à laquelle vous présidez, et cela en vue de promouvoir l’esprit de l’unité dans le~ Christ»258. Puis, eut lieu l’échange des présents et, après le baiser de paix, la délégation patriarcale se retira avec les honneurs d’usage, des appartements pontificaux, et rendit des visites protocolaires aux cardinaux Cicogniani, secrétaire du Secrétariat d’État du Vatican, et Bea, président du Secrétariat pour l’unité des chrétiens. Au Secrétariat, eut lieu une réunion de délibération avec la participation de l’évêque Mgr. Willebrands et du père Duprey, pendant laquelle furent communiqués les documents de la IIIe Conférence Panorthodoxe. Lors des entretiens qui s’ensuivirent, le cardinal Bea exprima l’identité des vues du Vatican sur le fond et sur la méthode à suivre pour le développement des relations entre les deux Églises, ainsi que son propre désir de visiter le Patriarcat œcuménique.

La délégation patriarcale, restée à Rome jusqu’au matin du l7 février, reçut dans sa résidence les visites des cardinaux et elle se rendit ensuite au tombeau du pape Jean XXIII, où fut chantée une messe; elle rendit également visite à l’Institut des études orientales et au doyen du Collège der cardinaux, le cardinal Eugène Tisserant.

À Rome, on apprécia beaucoup l’envoi des deux métropolites. Du côté du pape et des cardinaux, on souligna le désir ardent et sincère de voir évoluer par étapes, fermement et décisivement, les relations entre les deux Églises, avant d’entamer le dialogue theologique259.

LE CARDINAL BEA AU PHANAR

Le 3 avril, une délégation du pape, conduite par le cardinal Bea, rend visite au Phanar. Y participent l’évêque Jean Willebrands et les pères Pierre Duprey et Etienne Smidt. Ils sont reçus très cordialement et avec tous les honneurs par le patriarche Athénagoras, le Saint-Synode et la cour patriarcale.

La visite débute par un entretien privé entre le patriarche et le cardinal. Tous deux expriment le désir de développer des relations par étapes, et la joie pour les derniers contacts officiels. Après quoi, a lieu la présentations des métropolites et de la suite du cardinal. L’audience officielle s’ouvre, par une allocution du cardinal Bea, qui fait mention de ‘la joie dans l’éternité pour l’âme bienheureuse du pape Jean’ pour ces instants, et aussi de la joie du patriarche qui, ‘pendant de nombreuses années, a parlé et peiné, prié et souffert, pour faire hâter l’heure désirée’ (...). «Le dialogue de charité, dit-il entre autres, que nous voulons continuer par notre présence ne se limite pas seulement au seul échange de visites et au baiser de paix. Son premier fruit, le plus concret et palpable, est notre commune décision de préparer, chacun au sein de sa propre Église, tout ce que requiert l’unité et ainsi de collaborer avec ardeur pour réaliser cette unité complète (...). Le dialogue de la charité commence déjà à réaliser l’unité  (...)»260

Dans sa réponse, le patriarcbe se réfère alors aux sentiments  avec lesquels ilaccepte ‘le joyeux message de la fraternelle réponse’ de la part de l’Occident. Il souligne la grandeur de l’événement qui «offre aux chrétiens et au monde le saint témoignage de la pleine coïncidence dans le Christ des Églises orthodoxe et catholique dans le but de rétablir leur unité, fidèles à la vérité et à la charité, avec crainte de Dieu, ferveur et prudence, méthodiquement et dans l’ordre.

»Pourquoi le cacher? Si nous tournons nos regards en arrière, nous apercevons avec effroi un «hier» encore tout proche, lourd d’oppositions le méfiance, qui nous tenait étrangers les uns aux autres, et d’antagonismes, dont l’éloignement réciproque et le schisme étaiant le trait caractéristique produit et nourri par l’absence de la charité (...).

»Aujourd’hui, tant en Occident qu’en Orient, on prend des décisions et on fait des gestes de charité et d’édification mutuelle qui, il y a peu de temps, auraient paru inconcevables (...).

» Certes, nous ne méconnaissons ni la multitude ni la gravité des problèmes qui se posent devant nous. Mais le rétablissement de la charité en supprimant l’isolement et en comblant les distances, nous permet de reconsidérer les différences dans une lumière entièrement nouvelle. En nous gardant les uns près des autres, nous chercherons la meilleure voie vers un lendemain qui nous promette la réparation du passé et la restauration de l’antique beauté de l’Église une et indivise(...)»261.

Après quoi, le cardinal remet au patriarche la lettre personnelle du pape Paul VI, dans laquelle on lit entre autres: « (...) L’heureuse harmonie qu’il est facile de relever entre les décisions de la Conférence de Rhodes et celles du Concile du Vatican n’est-elle pas un nouveau signe de l’action de l’Esprit Saint? Signe qui nous remplit d’espérance, car nous croyons que cette œuvre qu’il suscite et commence, il saura, par les voies mystérieuses qui sont les siennes, la mener à son terme dans une fidélité toujours plus exigeante et pure à notre seul Maître le Christ qui est notre voie, notre vérité, notre vie.

La réalisation de ce commun programme de fraternité et de collaboration progressivement retrouvées à tous les niveaux de la vie de nos Églises et sur tous les plans de leur activité, fera l’objet de nos efforts. Ni la longueur du chemin à parcourir, ni les difficultés prévues et imprévues qui l’encombrent ne pourront noua arrêter car notre détermination est fondée sur l’espérance qui ne peut décevoir (...)»262.

Après la lecture de la lettre du pape, faite par le père Duprey, a lieu l’échange des présents. La croix d’or du pape Jean XXIII de pieuse mémoire est offerte au patriarche; à trois des métropolites du Saint-Synode, on remet des croix pectorales; à d’autres, des diptyques en argent représentant les fêtes du Seigneur et, aux membres de la cour patriarcale, des médailles. Au cardinal, fut offerte une aiguière en or et, a sa suite, des chandeliers en argent. Le lendemain 3 avril, le patriarche et les métropolites du Saint-Synode suivent la sainte Liturgie dans la cathédrale patriarcale. Le cardinal y assiste avec sa suite. Pour l’accueillir, les cloches sonnent joyeusement. C’est la première fois, depuia le XIIIe siècle qu’un cardinal assiste à une grand-messe ou «synaxe», au siège de la «grande église». Le patriarche descend de son trône, le reçoit devant l’Iconostase et le fait monter sur le solium d’honneur d’où il pourra suivre toute la sainte Liturgie. Puis, le patriarche et le cardinal, en quittant l’église, passent. au milieu de la foule des fidèles, qui avait envahi les locaux du Patriarcat et les acclamait; ils montent l’escalier de la résidence patriarcale, et donnent la bénédiction au clergé et au peuple.

Dans le bureau du patriarcbe, celui-ci, dans une adresse au cardinal, le prie d’exprimer au pape ses sentiments fraternels.

Dans l’après-midi, le cardinal se rend a l’école théologique de Halki, où il est reçu avec de grandes démonstrations par les professeurs et les séminaristes. L’évêque André, de Claudiopolis, le salue dans l’église de la Sainte Trinité, comme «l’ange  avant-coureur d’un  printemps de communion des deux Églises». Le cardinal, à son tour, développe, dans sa réponse, le programme de vie de tous ceux qui se sont consacrés au  Christ et à Son Église. « (...). L’œuvre puissante de l’Esprit-Saint, dit le cardinal, inspire aux chrétiens un sentiment profond de regret pour les divisions, de repentir, de métanoia, de nostalgie de l’unité dans le Christ (...)».

Après son allocution, le cardinal se prosterne devant l’autel de l’église, puis il visite l’école avec sa fameuse bibliothèque; il dit de l’école, qu’elle était ‘très précieuse non seulement pour l’Orthodoxie, mais aussi  pour le monde chrétien tout entier’.

Le soir, une délégation patriarcale, composée des métropolites Chrysostomos,  de  Néocésarée; Méliton, d’Héliopolis, et  Chrysostomos,  de Myra, rend la visite au cardinal.

Avant de partir pour Rome, la délégation du pape visite en pèlerinage le lundi 4 avril l’église historique de la  «Sagesse  Divine», aujourd’hui Musée de Sainte-Sophie263. À 9 h.30, suivi par: le métropolite Chrysostomos, de Myra, l’évêque Jean Willebrands, les pères Pierre Duprey et Étienne Smidt, les archimandrites Gabriel Prémétidès et André Scrima, les théologiens N. Harisiadès, Basile Moustakis et l’auteur de ces lignes, le cardinal Bea traverse les portes dites ‘royales’ de Sainte-Sophie, avance jusque là où se trouvait l’autel et prie en silence. C’est à cet endroit précis, 911 ans au paravant, que le cardinal Humbert avait déposé le document de la scission de l’unité de l’Église, pourtant une, du Christ. Le cardinal Bea y prie symboliquement, en réparation de cette action là, qui continue encore, psychologiquement, d’entretenir l’atmosphère de dissension. La presse mondiale interpréta ce geste comme une manifestation du désir de Rome de désapprouver les faits malheureux de l’an 1054 et d’ouvrir une époque nouvelle264.

La mission du cardinal Bea et de sa suite fut très appréciée au Phanar. Elle avait été effectuée dans un esprit d’égalité et de réciprocité. La Commission synodale souligna, dans son rapport, que «l’importance du fait réside dans l’événement heureux du début du dialogue de charité»265 Le patriarche Athénagoras  lui-même  considéra, dans sa lettre au pape du 13 juin, 266 cette visite comme une nouvelle occasion «pour une communication et un contact plus immédiats de nos Églises et leur collaboration en vue du plein rétablissement de leur communion fraternelle.

»(...) Nous sommes parvenus à un heureux point d’accord quant à la manière de progresser dans le développement des relations fraternelles par le dialogue de la charité du Christ pour confronter nos communs problèmes concernant la question capitale et sacrée de l’unité (...).

»Nous nous proposons inébranlablement, fidèles à la volonté divine, de préparer avec Votre Sainteté les conditions préalables nécessaires à l’obtention d’une bonne fin, en surmontant les difficultés et, par des démarches concrètes et des œuvres d’amour et d’édification; en reconstruisant ainsi l’unité d’autrefois (...)267.

En outre, deux visites inattendues, l’une au Vatican et l’autre au Phanar, rapprochèrent encore davantage les deux centres ecclésiastiques et leurs primats.

Le cardinal François König, archevêque de Vienne, avait invité au symposium  œcuménique de l’organisation «Pro Oriente» le Vatican et le Phanar, en demandant qu’ils envoient deux interprètes, qualifiés et très pénétrés du sujet, pour parler, devant un auditoire d’élite et pour l’éclairer sur la rencontre de l’Église d’Orient avec celle d’Occident. Le Vatican y dépêcha l’évêque Jean Willebrands et le Phanar, le métropolite Méliton. Les conférences eurent lieu dans la grande aula de l’université de Vienne. Le métropolite Méliton parla, le 18 juin, de la belle et longue tradition du Patriarcat œcuménique en ce qui concerne le dialogue de l’amour, dans un climat sain d’œcuménisme. «La position des Églises entre elles a changé, ajoute-t-il. Un mouvement important a été effectué. Nous ne nous trouvons plus l’un face à l’autre, mais l’un à côté de l’autre»268. Et l’évêque Jean Willebrands montre le 19 juin l’immense et sincère tournant, opéré par Rome au sujet de l’œcuménisme. «Tout ce qui a été fait n’est qu’un ‘simple commencement’. Bien vite; nous allons  être stupéfaits par les nouveaux pas en avant, pleins de courage et bien étudiés, sur le chemin de la réconciliation. Ils sont. tellement nombreux, les éléments qui unissent les catholiques et les orthodoxes (...)269.

 

LE MÉTROPOLITE MÉLITON AU VATICAN

Après Vienne, le métropolite Méliton se rend à Rome, porteur d’une lettre du patriarche au pape. Il est reçu officiellement au Vatican, le lundi 5 juillet, à 11 h. du matin. Il a un entretien de 25 minutes avec Paul VI, à qui il fait part du contenu de la lettre patriarcale et, en particulier, du passage relatif à la ‘coïncidence des points de vue, en ce qui concerne la manière de cultiver les relations fraternelles’ et ‘la reconstitution, de l’unité ancienne par des décisions concrètes et des œuvres de charité et d’édification270.

Le pape exprima, en réponse, son émotion et sa satisfaction pour le contenu de la lettre et pour tout ce que le métropolite lui avait dit.

Après l’audience privée, le métropolite Méliton, en présence de l’évêque Willebrands, des membres de la cour et du diacre Bartholomée, offrit au pape de la part du patriarche une icone sacrée des saints frères et Apôtres Pierre le coryphée et André le protoclète. L’icone, d’art byzantin, œuvre du moine du Mont-Athos Mélétios, voulait être un souvenir de la Rencontre de Jérusalem. Le pape, après avoir remercié, voulut alors prier devant l’icone pour le patriarche. Ensemble, avec le métropolite, ils récitèrent le «Pater» et c’est ainsi que prit fin l’audience.

Avant de quitter Rome, lors d’une entrevue avec l’évêque Jean Willebrands et le p. Duprey, le métropolite Méliton demanda: «Comment est-ce que le pape pense clôturer le IIe Concile du Vatican?» Comme ils répondirent ne rien savoir de concret, il dit : «Je pense qu’il doit le clôturer par un acte de réconciliation». Et, pour préciser sa pensée, le métropolite ajouta: «Levons les anathèmes de 1054, de part et d’autre!» Considérant cette proposition comme extrêmement importante, ses interlocuteurs lui demandèrent la permission de la soumettre au pape. Et c’est avec enthousiasme que le pape l’accepta; peu de temps après, l’étude de la question était à l’ordre du jour.

Quelques jours après, le pape écrivait au patriarche pour le remercier «de la surprise agréable» de cette visite et lui dire son émotion pour l’icone merveilleuse qui exprime parfaitement le sens profond de la Rencontre et du baiser échangé à Jérusalem, «sous la lumière du regard du Christ. Cette icone est tout un programme, aussi nous avons voulu en confier la garde à notre Secrétariat pour l’unité des chrétiens.

»Ce programme, la lettre que Votre Sainteté nous a fait parvenir, l’exprime en termes heureux et choisis et nous tenons à vous en exprimer notre gratitudes»271.

Du 16 au 18 juillet, l’évêque Jean Willebrands et le p. Pierre Duprey vont au Phanar pour faire part au patriarche des travaux de la 4ème session du IIe Concile du Vatican, et pour rendre la visite du métropolite Méliton. Ils y sont reçus par le patriarche avec beaucoup d’honneurs et ils s’entretiennent avec lui et les membres du Synode272.

Leurs entretiens ont permis de constater le désir commun pour un acte de réparation, capable d’être apprécié par les fidèles des deux Églises273.

Le patriarche exprime ses remerciements au cardinal Bea, pour cette délégation et envoie par elle un présent au pape.

Le pape remercie le patriarche pour l’envoi, qu’il considère comme une manifestation des sentiments de charité qui les unissent. «Nous rendons grâce au Seigneur, avec une joie profonde, dit-il,  de ce qu’il permet à cette charité de s’approfondir et de s’épanouir, réalisant ainsi progressivement cette prière de votre sainte Liturgie: ‘Aimons-nous les uns les autres afin que d’un même cœur nous puissions confesser le Père, le Fils et le Saint Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible’»274.

Au début de septembre, le pape reçoit en audience privée le métropolite Chrysostomos de Myra. Ils discutent de l’évolution de la question, portant sur la levée des anathèmes et, surtout, des problèmes qui ont surgi lors des premières enquêtes et recherches. Le pape dit que «la réalité historique en ce qui concerne la séparation ne peut être ignorée d’aucun des deux côtés. Il est pourtant possible d’affronter positivement certaines de ses particularités historiques et canoniques, en vue de corriger ce qui a été fait alors et de rétablir les situations». Le pape Paul VI exprime plus particulièrement le souhait «que soient éclaircis de la part de l’Église de Constantinople les points de vue et les désirs déjà existants, mais que soient aussi étudiées les incidences au sein de l’Orthodoxie». C’est que la condition préalable des actes de charité est qu’ils ne soient pas mal interprétés ni soupçonnés, sans prise de responsabilité, d’être des pièges pour dominer autrui et troubler l’unité de l’Orthodoxie.

La 4ème session du IIe Concile du Vatican commence le 14 septembre. Le Patriarcat œcuménique y envoie comme observateurs le métropolite Émilianos de Calabre, l’archimandrite Maximos Ayiorgoussis276, auxquels est adjoint l’archimandrite André Scrima en qualité de délégué personnel du patriarche.

À l’occasion de l’ouverture de la quatrième session du IIe Concile du Vatican, le patriarche avait télégraphié le 11 septembre au pape: «Nous adressons à Votre bien aimée vénérable Sainteté nos félicitations fraternelles et nos souhaits pour une clôture de ses travaux heureuse et grandiose au profit de toute l’Église de notre Seigneur Jésus Christ»".

Le pape remercie le 14 et le cardinal Bea fait connaître par la suite l’impression causée par le message patriarcal:

«(...) Les applaudissements des Pères après la lecture du télégramme envoyé par Votre Sainteté au Saint-Père à l’occasion de l’ouverture de la quatrième session ont manifesté combien ces sentiments étaient partagés par les évêques réunis autour du tombeau du saint Pierre»278.

Les études et examens historiques préliminaires pour la levée des anathèmes prirent fin au début du mois d’octobre. À cette époque, le pape se trouve à New-York, au siège des Nations Unies et il y rencontre l’archevêque Iacovos d’Amérique, avec lequel il s’entretient de la question du rapprochement des deux Églises279.

 

LES PRÉPARATIFS POUR LA LEVÉE DES ANATHÈMES

À son retour de l’O.N.U., le pape étudie les conclusions et donne l’ordre de faire progresser la question. Le cardinal Bea transmet au patriarche, par l’intermédiaire de l’archimandrite André Scrima, l’essentiel des conclusions et, par lettre, il propose l’institution d’une commission mixte composée de quatre catholiques romains et de quatre orthodoxes, qui se réunira au Phanar au mois de novembre280. La proposition est acceptée au Patriarcat, dont l’accord est communiqué à Rome par télégramme. «Immédiatement après la réponse favorable et dans la plus grande discrétion, commença au Vatican la préparation de la rencontre»28l. Au Phanar, on institue une sous-commission pour étudier du côté orthodoxe les conditions historiques des anathèmes de 1054 et la délimitation du contexte canonique, dans lequel devrait se réaliser leur levée282. Tous les membres, par des exposés très étudiés, acceptèrent unanimement la nécessité de la levée, mais ils n’étaient pas d’accord sur la manière et

le moment de sa réalisation. Le métropolite Méliton, en se servant des textes des anathèmes du XIe s. et de l’appel dramatique de Pierre d’Antioche283, montra que les anathèmes étaient dépourvus de mobiles théologiques et d’importance réelle, parce que, d’une part, les ‘raisons théologiques’ du cardinal Humbert étaient imaginaires et que, d’autre part, le ‘contre-anathème’ de Michel Cérulaire ne se référait point à des arguments théologiques, mais etait simplement la condamnation de la ‘bulle’ de l’anathème. Par conséquent, la levée des anathèmes ne sera qu’un acte réparatoire de charité, qui écartera de la mémoire de l’Église le «signe» irritant de la haine et de la division, signe desormais inutile. Le mémoire historique et canonique, contenant toutes les opinions, fut soumis à la grande Commision du dialogue avec l’Église catholique romaine, laquelle Commission284 rédigea alors les considérants de la décision, sous forme de rapport pour le Saint-Synode.  Dans ces considérants,  il est reconnu que: a) la levée des anathèmes n’abolit pas les divergences existantes, ni ne rétablit la communion; b) les événements du XIe siècle ont été la conséquence plutôt de divergences personnelles et de manque d’amour dans le Christ; c) les Églises qui ont jeté les anathèmes sont les seules compétentes pour la réparation, selon le principe qui dit: «celui qui a ‘lié’ l’anathème est aussi ,compétent pour le ‘delier’».

Lors de la session extraordinaire du Saint-Synode du 6 novembre, il est donné lecture du rapport de la Commission et du contre-rapport du métropolite Maximos de Sardes; par 8 voix contre 2, le Saint-Synode approuve la levée des anathèmes et le processus qui doit suivre285.

Cette décision synodale, très importante et impressionnante, a transpiré dans la presse internationale, le l2 novembre, et donna lieu à des impressions erronées286. Le cardinal Bea envoie alors, avec l’archimandrite André Scrima, une nouvelle lettre au patriarche et lui annonce l’arrivée prochaine des membres pontificaux à la Commission mixte, designes par le pape.

Mais il ajoute également: «Nous nous sommes mis aussitôt au travail, en toute discretion, pour préparer cette rencontre. Il me semble en effet de la plus grande importance dans les circonstances actuelles que cette réunion soit entourée de la plus grande discrétion pour ne pas donner occasion à amplifier les rumeurs inexactes qui circulent déjà dans la presse mondiale et qui sont de nature à rendre plus difficile l’accomplissement de la tâche délicate confiée à la Commission mixte»287.

Le Saint-Synode, dans sa séance du 16 novembre, étudie le plan d’action pour la levée des anathémes, la correspondance échangée à ce sujet avec les autres primats orthodoxes, et le rite à suivre dans la cérémonie de la levée.

Et, tandis qu’au Phanar on attendait les membres de la Commission romaine, voilà que parvient entre les mains du patriarche un texte magnifique du pape Paul, qui montre l’excellence de la ‘theologie du cœur’, dans la communion.

Après avoir remercié le patriarche de ses ‘ferventes prières pour la réussite du Concile’ Paul VI ajoute: «Nous voulons aussi demander à Votre Sainteté de nous continuer cette faveur afin que le Concile, s’achève sous la bénédiction de Dieu et que, les dispositions qui y ont été prises, étant mises courageusement et lucidement en œuvre, surtout en ce qui concerne la marche commune vers la pleine unitè de tous les chrétiens, il produise des fruits abondants pour la paix du monde et l’avènement du règne de Dieu.

»Nous saisissons aussi avec empressement cette occasion pour vous redire, vénérable et très aimé frère dans le Christ Jésus, toute l’affection que Nous Vous portons et qui, nous faisant ressentir personnellement vos joies comme vos peines, nous incline à vous donner l’assurance que vous pouvez compter trouver toujours auprès de nous un cœur ouvert et soucieux de vous manifester en toutes circonstances la réalité profonde de sa fraternité»288.

Qu’ils s’interrogent, donc, ceux qui sont en mesure de savoir, s’il existe un document pareil entre un pape de Rome et un patriarche de Constantinople, même avant le schisme!

Dans ce climat spirituel, commencent au Phanar, le lundi 22 novembre, les travaux de la Commission mixte. Du côté catholique romain, y prennent part l’évêque Mgr. Jean Willebrands, comme président, Mgr. Michele Maccarrone,  président du Comité pontifical des sciences historiques, le rev.p.A. Raes, S.J.  préfet de la bibliothèque vaticane, le rév.p. Don Alphonse Stickler, recteur magnifique de l’Athénée pontifical salésien, le rév.p.C.J. Dumont, OP, directeur du centre «Istina». Le rév.p. Pierre Duprey remplit les fonctions de secrétaire.

Du côté orthodoxe, y prennent part les métropolites Méliton d’ Héliopolis comme président, Chrysostomos de Myra, professeur de théologie dogmatique, l’archimandrite Gabriel, secrétaire en chef du Saint-Synode, l’archiprêtre Georges Anastassiadès, canoniste, et l’archidiacre  Evanghélos. L’archimandrite André Scrima et le diacre Paul, sous-secrétaire du Saint-Synode font fonction de secrétaires.

Après une courte prière, les deux co-présidents prennent la parole. Le métropolite Méliton salue la présence des envoyés de Rome et passe en revue les tâches de la Commission. Dans son allocution, il dit en substance 289: «(...) Nos Églises nous appellent à avancer dans notre œuvre avec la ferme résolution d’offrir le meilleur de nous-mêmes (...) en nous confiant  nous-mêmes  et les uns les autres au mystère de l’amour et de l’economie de Dieu (...).

«Nous nous rencontrons sur la voie du rétablissement de la charité (...). Depuis, cette voie a été élargie par des contacts et des gestes réciproques de bonne volonté (...). Nous nous efforçons de lever (...) les actes regrettables du passé (...) quiont contribué à la rupture (...). Puisque les événements de 1053-1054 ont eu lieu entre les sièges de Rome et de Constantinople (...), ceux qui sont en premier lieu concernés pour réparer cet état de choses sont l’Église catholique et l’Église de Constantinople (...). L’Acte de réparation dont nous allons entreprendre l’étude sera un acte d’amour (...). Par cet acte, on ne rétablit pas la pleine communion entre les deux Églises: il n’apporte aucune modification à l’état doctrinal, à l’ordre canonique existant (...). Il pose le symbole de l’amour et du rapprochement. Il devient le point de départ de la réparation d’autres torts historiques (...). Il apporte une contribution à la question générale de l’unité chrétienne, car il donne un exemple aux autres Églises chrétiennes (...) et contribue par une œuvre exemplaire à la paix des hommes (...)».

Dans sa réponse, Mgr. J. Willebrands exprime alors sa reconnaissance pour cette rencontre et pour l’expérience acquise grâce a ses travaux et il expose l’historique de la proposition de la levée des anathèmes.

Il souligne ensuite «(...) Les intentions de Sa Sainteté le pape ne sont pas d’essayer d’analyser et de déchiffrer tous les détails encore mystérieux de l’histoire mais d’assainir la situation (...) afin de: l.-parvenir à des relations nouvelles entre nos Églises; 2.-rendre le dialogue plus profond, plus ouvert, plus inspiré par le Saint Esprit; 3.-rendre la communion entre nos Églises plus fraternelle (...) plus ecclésiale; 4.-préparer les voies du Seigneur qui nous conduira à la plénitude de la sainte communion en Lui».  Il termine en disant qu’avant de quitter Rome il avait ‘parlé de manière confidentielle, à titre d’information, avec les observateurs des Églises orthodoxes’ le métropolite Émilianos, les archiprêtres Borovoy, de Moscou ; Milin et Kasic, de Serbie; Jean, de Bulgarie, ainsi qu’avec le Dr  Visser t’Hooft, du Conseil œcuménique des Églises290.

Au début de ses travaux,  la Commission s’occupa du projet d’une déclaration conjointe, mais, sur la proposition faite par les ortbodoxes. elle étudia aussi le rédaction de deux actes solennels séparés de levée des anathèmes, selon l’esprit de la déclaration conjointe291. Pendant les discussions «ils ne cherchèrent pas à savoir qui avait tort et qui avait raison», comme disait le pape Jean XXIII, de pieuse mémoire292, mais ils examinèrent  tous  les points de vue de la question, en esprit de liberté et de sincérité.

Ce n’est pas le procès qui a été fait d’une question historique; mais, comme les membres d’ une famille qui se retrouvent après de vieux et douloureux conflits, ils se sont mis d’accord pour jeter dans l’oubli les deux anathèmes, les enlever du milieu de l’Église comme des pierres de scandale, qui empêchent d’avancer vers une vie nouvelle293.

Les travaux de la Commission durèrent deux jours et se terminèrent par un communique officiel, publié dans la presse et qui soulignait, pour conclure: «les conclusions de ses études seront soumises à l’approbation des deux Églises»294.

Les conclusions de la Commission furent effectivement communiquées aux Églises orthodoxes et aux métropolites du Trône par une lettre patriarcale295.

Les membres  catholiques  romains de la Commission  retournèrent alors au Vatican le 24 et le 25 novembre.

Pendant ces mêmes jours, le pape reçoit en audience le métropolite Émilianos de Calabre  une de ses anciennes connaissances.  Il discute avec’ lui de la levée des anathèmes et lui demande son opinion au sujet du resserrement des relations entre les deux Églises. Le métropolite expose alors deux propositions personnelles. La première est de lever les obstacles psychologiques, et la seconde de désintoxiquer l’enseignement théologique de ses conceptions surannées.

Lorsque Rome eut approuvé les decisions de la Commission mixte, le père Pierre Duprey revint au Phanar, le 4 décembre, pour étudier, avec la Commission compétente du Patriarcat, les détails du programme de la levée des anathèmes.

Ce même jour, 4 décembre, dans l’imposante basilique de Saint-Paul-hors-les-murs, de Rome, a lieu un événement qui mérite d’être relevé. Sur le lieu même où le pape Jean XXIII avait annoncé, le 25 janvier 1959, la convocation du IIe Concile du Vatican, le pape, les pères conciliaires et les observateurs assistent à un office solennel de prière commune pour l’unité, comme une heureuse conclusion œcuménique des travaux du Concile296.  

Le communiqué officiel pour l’accord et la date de la levée des anathèmes est publié en même temps au Vatican et au Phanar, le 6 décembre.

Et voici qu’arrive la date historique du mardi 7 décembre297, qui est la fête d’un Père commun a l’Église d’Orient et à celle d’Occident, saint Ambroise, archevêque de Milan. C’est aussi le dernier jour des sessions du IIe Concile du Vatican.

 

LA DOUBLE CÉRÉMONIE DE LA LEVÉE DES ANATHÈMES

Le Saint-Siège et le Patriarcat œcuménique échangent deux délégations officielles, qui assisteront aux offices devant avoir lieu respectivement dans les deux cathedrales, celle de Saint-Pierre au Vatican et celle de Saint-Georges au Phanar. La délégation du pape est composée de S. Ém. le cardinal Laurence Shehan, archevêque de Baltimore, comme président, et elle a pour membres l’archevêque Enrico Nicodemo, de Bari, et Messeigneurs Michele Maccarrone, Christophe Dumont, les révérends Jean Long, Porter White et Ferdinando Sganbepera. La délégation patriarcale, présidée par le métropolite Méliton d’Héliopolis, est composée de l’archevêque Iacovos, d’Amérique, et des métropolites Athénagoras de Thyatira et Chrysostomos d’Autriche, de l’archimandrite Maximos Ayiorgoussis et du diacre Bartholomée Archontonis.

La délégation du pape arrive à Istanbul le 6 décembre a 19 h.30. Une députation patriarcale l’accueille à l’aéroport, et le patriarche la reçoit au Phanar, avec une grande cordialité.

Au matin du 7 décembre, le Saint-Synode  est convoqué pour une session extraordinaire. Le patriarche et les membres du Synode examinent ensemble la question et mettent leurs signatures au codex patriarcal, dans lequel est dressé l’acte de la levée des anathèmes, comme aussi la  copie qui sera remise solennellement au chef de la délégation pontificale. Cet acte est signe également par deux métropolites résidents. Après quoi, tout le monde descend à la cathédrale patriarcale pour la grand-Messe,  qui sera célébrée en présence du patriarche et des métropolites. La cathédrale et les cours du Patriarcat sont bondées d’ecclésiastiques et de fidèles. A 11h.10, arrive la délégation pontificale devant l’église, avec, à sa tête, le cardinal Shehan. Ses membres sont revêtus de leurs ornements d’apparat et sont conduits devant les ‘portes royales’, au solium. Le patriarche descend du trône et donne le baiser de paix au cardinal, à l’archevêque et à tous les membres de leur suite. Ensuite, on désigne au cardinal la place à côté du trône, le ‘parathronion’, et à l’archevêque une des stalles destinées aux princes.

Après la lecture de l’évangile, le secrétaire en chef du Saint-Synode, archimandrite Gabriel, monte à l’ambon et lit la déclaration commune du pape et du patriarche, par laquelle ils ‘declarent d’un commun accord’:

«a) Regretter les paroles offensantes, les reproches sans fondement et les gestes condamnables qui, de part et d’autre, ont marqué ou accompagné les tristes événements de cette époque ; .

b) regretter également et enlever de la mémoire et du milieu de l’Église les sentences d’excommunication qui les ont suivis, et dont le souvenir opère jusqu’a nos jours comme un obstacle au rapprochement dans la charité, et les vouer à l’oubli;

c) déplorer, enfin, les fâcheux précédents et les événements ultérieurs qui, sous l’influence de divers facteurs, parmi lesquels l’incompréhension et la méfiance mutuelles, ont finalement conduit à la rupture effective de la communion ecclésiastique.

» Ce geste de justice et de pardon , réciproque, le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras avec son Synode sont conscients qu’il ne peut suffire à mettre fin aux différends, anciens ou plus récents, qui subsistent entre l’Église catholique romaine et  l’Église orthodoxe et qui, par l’action de l’Esprit Saint, seront surmontés grâce à la purification des cœurs, au regret des torts historiques ainsi qu’à une volonté efficace de parvenir a une intelligence et à une expression commune de la foi apostolique et de ses exigences (...)

» (...) Ce geste, ils espèrent qu’il sera agréé de Dieu(...) et apprécié par le monde chrétien tout entier (...) comme l’expression d’une sincère volonté réciproque  pour la  réconciliation, et comme une invitation à poursuivre le dialogue, qui les amènera, Dieu aidant, à vivre de nouveau (...) dans la pleine communion de foi, de concorde fraternelle et de vie sacramentelle qui exista entre elles pendant le premier millénaire de la vie de l’Église»298.

À la fin de la Messe, le grand archidiacre et le sous-secrétaire du Saint-Synode apportent le codex patriarcal; le patriarche, vêtu de sa grande chape, lit à haute voix l’acte de la levée des anathèmes, qui dit, entre autres: «Notre humilité, avec les vénérables et très respectés métropolites, nos frères et nos concélébrants bien-aimés dans le Christ, ayant jugé le moment propice dans le Seigneur, réunis en Synode et en ayant débattu, ayant en outre pris connaissance des dispositions semblables de l’ancienne Rome, avons décidé d’enlever de la mémoire et du milieu de l’Église ledit anathème porte par le patriarche de Constantinople Michel Cérulaire en son Synode»299.

Il est difficile de décrire l’enthousiasme et les ovations de la foule qui avait rempli tout l’espace libre des cours environnant la cathédrale patriarcale, et la façon dont elle accueillit le  patriarche et le cardinal avec sa suite, ainsi que les métropolites, à la sortie de  cette cérémonie émouvante.

À midi, le patriarche offre un banquet, pendant  lequel,  lui-même et le cardinal, au cours des toasts, soulignent la grande portée de cet événement. Ensuite, a lieu dans le bureau patriarcal l’échange des remerciements et des présents. Le cardinal offre au patriarche, de la part du pape Paul VI, une image émaillée, œuvre d’art, représentant le «Lavement des pieds» comme symbole de la nouvelle époque. Le patriarche, à son tour, offre au cardinal un médaillon, très precieux ‘engolpion’, et, à la suite du cardinal, des croix en or du millénaire  du  Mont-Athos et des chandeliers en argent.

Enfin, le patriarche remet l’acte sur parchemin de la levée des ex-communications et salue la délégation pontificale qui, accompagnée des métropolites, quitte le Phanar avec tous les honneurs, pour aller visiter Sainte-Sophie et prier sur le lieu même où, jadis, fut accompli l’acte de Ia scission de l’Eglise.

Le soir, à l9h., le cardinal Shehan, Mgr. Nicodemo et leur suite, concélebraient la Messe en l’eglise du Saint-Esprit, dans le quartier de Harbiye et chantaient un «Τe Deum» solennel, exprimant la joie des catholiques romains et des orthodoxes, pour le grand événement. Le lendemain matin, les délégués catholiques rentraient à Rome et remettaient au pape l’acte de la levée et le salut personnel du patriarche Athénagoras.

Mais il est temps de voir ce qui s’était passé simultanément au Vatican.

Le métropolite Méliton, président de la délégation patriarcale, arrive le 7 décembre à Rome vers 4 h. du matin. À l’aéroport, des personnalités du Vatican sont là pour l’a cueillir.

À 8 h.30, la délégation patriarcale est conduite dans la basilique de Saint-Pierre, déjà remplie de personnalités officielles et d’une nombreuse assistance. À  l’entrée, le métropolite Méliton revêt sa chape. Accompagnés de l’évêque Willebrands, ils font leur entrée solennelle dans la basilique et prennent place à la droite du célèbre autel de la «confession», a côté des représentants des familles royales.

La cérémonie commence dans une ambiance de grandeur recueillie, digne du moment. Une procession de 2.399 membres du IIe Concile du Vatican, patriarches, cardinaux, archevêques et évêques, revêtus de leurs, ornements de grand apparat fait son entrée dans la basilique. En dernier, arrive le pape Paul VI, qui, revêtu de blanc; portant une mitre brodée d’or, et tenant à la main la crosse pastorale, avance, bénissant les foules, tandis que les chœurs chantent des hymnes. Puis, le pape monte sur le trône.

Après diverses prières, le secrétaire du Concile, archevêque Périclès Felici annonce :

«Très révérends pères! Poussés par un commun désir d’ôter tous les obstacles qui obstruent les chemins vers le dialogue, qui par la grâce protectrice de Dieu conduit à la réconciliation, le pape Paul VI et le patriarche de Constantinople  Athénagoras se sont mis d’accord sur la déclaration suivante, qui sera lue par S.E. Mgr. Jean Willebrands, évêque titulaire de Mavriani, secrétaire du Secrétariat pour l’unité chrétienne».

Des ovations enthousiastes et des applaudissements prolongés couvrent ces derniers mots. Ensuite, Mgr. Willebrands lit le texte français de la déclaration commune. De nouveaux applaudissements manifestent alors l’approbation générale des pères et des fidèles.

Après la grand-Messe, célébrée par le pape, comme président, et 24 concélébrants, le métropolite Méliton et les cardinaux Bea, Marella et König sont conduits près du trône du pape, situé sur le tombeau même de l’Apôtre saint  Pierre. Là, le cardinal Bea lit le Bref du pape pour la levée des anathèmes  en latin: ambulate in dilectione,  dans lequel on peut lire notamment:

«(...) Aussi, dans le désir d’aller plus avant dans la voie de l’amour fraternel, qui pourra nous conduire à la parfaite unité, et de supprimer les obstacles et les entraves, en présence des évêques rassemblés dans le Concile œcuménique Vatican II, nous  déclarons  regretter les paroles qui furent dites et les gestes qui furent posés en ce temps-là et que l’on ne peut pas approuver. En outre, nous voulons effacer du souvenir de l’Église la sentence d’excommunication alors portée et la retirer de son fonds et nous voulons qu’elle soit couverte et enfouie par l’oubli (...)»300.

Après la lecture, on conduit le métropolite Méliton devant le pape. Debout et très ému, le pape Paul VI remet entre les mains du métropolite Méliton l’acte de la levée de l’anathème, écrit sur parchemin, et échange avec lui une poignée de main et le baiser de paix dans le Christ. Une tempête d’applaudissements fait alors vibrer la basilique de Saint-Pierre, tempête joyeuse que les ondes de Radio-Vatican transmettent au monde entier.

Après la cérémonie, le pape reçoit la délégation patriarcale dans la salle dite des ornements du palais apostolique et, très ému, donne l’accolade cordialement à chacun de ses membres. Le métropolite Méliton prononce alors une allocution en français, dont voici l’essentiel:

«Voici, donc, ces deux sièges apostoliques, de l’ancienne et de la nouvelle Rome, dit le métropolite, qui, par des jugements que connaît le Seigneur, avaient lié le passé, délient le présent et ouvrent l’avenir, détruisant par une déclaration commune et un acte ecclésiastique réciproque, l’anathème émané d’eux, ce symbole du schisme, et élevant à sa place la charité, symbole de leurs retrouvailles (...).  Le présupposé fondamental de la solution progressive des différends, c’est-à-dire la charité fraternelle, n’en est  pas  moins  établi  officiellement  et  ecclésiastiquement, aujourd’hui, entre les deux premiers sièges de l’Occident et de l’Orient (...). Vous, le premier evêque de la chrétienté, et votre frère, le second par le rang, l’évêque de Constantinople, à la suite de l’événement sacré de ce jour, pour la première fois après de longs siècles, vous pourrez d’une seule bouche et d’un seul cœur vous tourner, cette année, vers les hommes qui, dans l’Église et hors de l’Église, attendent avec angoisse la bienveillance et la paix (...),»301.

Le pape, très ému, repondit en exprimant d’abord sa reconnaissance envers le patriarche qui, «par sa sagesse, son discernement, son amour et ses efforts inlassables, a fait de ce jour une réalité». Le pape Paul Vl fit ensuite ressortir l’importance et les heureuses conséquences de la levée des excommunications et, après avoir prié la délégation patriarcale de transmettre au patriarche  son salut dans le Christ, il salua ses membres et leur offrit des médailles commémoratives.

Dans l’après-midi, la délégation patriarcale rendit visite au cardinal Bea et, le soir, elle prit part au dîner officiel, que le Saint-Siège, représenté par le doyen du Sacré Collège des  cardinaux,  S.E.  Eugène  Tisserant, offrit en son honneur; y assistaient également des cardinaux et le métropolite Nicodème de Leningrad, les observateurs orthodoxes au Concile et des personnalités du Vatican.

Les mercredi et jeudi suivants, 8 et 9 décembre, les membres de la délégation patriarcale assistèrent, à des places d’honneur, à la clôture des travaux du IIe Concile du Vatican et firent des visites protocolaires au Vatican.

Avant de quitter Rome, le métropolite Méliton a tenu à s’incliner et à déposer des fleurs sur les tombes des papes Léon IX et Jean XXIII, dans la basilique vaticane; ce geste a beaucoup ému les cercles du Vatican et l’opinion publique italienne.

Dans le monde entier, les hommes de bonne volonté ont salué avec joie l’événement historique. Des commentaires et des articles ont été publiés dans la presse mondiale, transmis par les réseaux de radio-télévision, les revues ecclésiastiques internationales, etc.302.

Les deux primats donnent toute sa portée a l’événement, dans des textes qu’ils échangent immédiatement entre eux.

Le pape le considère comme un pas nouveau vers la voie de la réconciliation qui a son point de départ pendant les courts moments de la Rencontre sur le mont des Oliviers. «Le désir que Nous Vous exprimions dans notre première lettre de laisser le passé entre les mains de Dieu pour être tout entiers tendus vers la préparation d’un avenir meilleur, a trouvé une expression profonde dans notre commune déclaration du 7 décembre. Ensemble,  remercions-en Celui  de  qui vient tout don excellent  (Jc 1,17), et, à la veille des saintes fêtes de Noël, confions-Lui cet avenir, en Lui demandant qu’Il nous donne de la préparer et de l’édifier prudemment et sûrement dans Sa lumière qui est inséparablement vérité et amour»303.

Enfin, le pape exprime au patriarche le souhait d’une nouvelle Rencontre «à la première occasion qui se présentera».

De son côté, le patriarche met en relief l’importance de cet événement dans deux textes  dans une lettre de fête au pape et dans son message de Noël. Dans sa lettre au pape, il écrit que ‘la fête de Noël de cette année a été enrichie par des oeuvres de paix qui font naître en nous satisfaction et sérénité’. ‘Le Rédempteur qui est venu à nous (...) accroît parmi nous la charité et les gestes de réconciliation; Il bénit et fait s’épanouir la nouvelle période, si heureusement inaugurée par les relations entre les deux Églises304.

Et, dans son message de Noël305 ilsouligne que «(...) aux déchirements de la terre correspond une unité céleste. Et, vers cette unité, cette paix et cette charité, les portes du monde sont déjà ouvertes (...). La nouvelle vie est en gestation, puisque l’Église a cessé de s’occuper seulement du passé (...). La déclaration commune avec la vénérable Église-soeur de Rome est un mystère et un acte de pacification et de réconciliation (...); nous n’omettrons point les actes de bonne volonté et d’action commune (...), pour continuer et promouvoir l’œuvre déjà commencée (...) ; les bras qui sont déjà tendus, en signe d’amitié, d’unité et de collaboration, s’étreindront encore plus étroitement dans des liens sincères et durables (...), jusqu’ à l’union de tous».

Avec le «renouvellement des attaches anciennes de la charité et de la paix de nos Pères» et le rejet des anathèmes de 1054, voulu par le Christ, l’ancienne et la nouvelle Rome, conduisant les Églises du Christ en Occident et en Orient, marchent déjà ensemble vers la communion complète «dans la charité et la vérité»306

1966

L’année 1966 debute par deux messages très cordiaux à l’occasion du 2ème anniversaire de la Rencontre de Jérusalem.

Lorsque les solennités pour la levée des excommunications furent achevées, le Patriarcat œcuménique  envoya le métropolite Méliton  auprès de toutes les Églises orthodoxes du Sud-Est européen et du Moyen-Orient.307 Il s’agissait de les informer officiellement au sujet de l’événement et d’échanger des vues avec elles, ce qui montre que «toutes les Églises orthodoxes ont une pleine conscience de la question œcuménique de notre temps».308    

C’est au cours de cette mission que le métropolite Méliton rend visite au pape de la part du patriarche.309 

Le 25 mars, le patriarche Athénagoras fête son 80ème anniversaire. Tous les chefs spirituels du monde et des centaines de milliers d’hommes saluent cet anniversaire. Le pape, par une lettre autographe, exprime sa joie et ses sentiments fraternels, en même temps que sa participation spirituelle à la fête de son ‘très cher frère’310. Le 3 avril, le métropolite Méliton remet à l’église du Protâton, au Mont-Athos, une lampe à huile311 précieuse, en hommage personnel du patriarche à l’icone de la Sainte Vierge, protectrice de l’Athos, icone connue sous le nom de Axion estin, pour cet anniversaire.

PROJET D’UNE CÉLÉBRATION COMMUNE DE PAQUES

Cependant, la fête de Paques de 1966 (10 avril) était célébrée le même jour, dans le monde chrétien tout entier. Cette célébration en commun fut pour la chrétienté une occasion de vivre à fond la joie du message pascal, m  s aussi de prendre conscience des désavantages d’une célébration séparée, les autres années. Dans sa lettre pascale au patriarche le 31 mars, le pape pose le problème. «(...) Notre joie cette année est plus grande encore car nous célébrons à la même date cette grande fête, témoignant ainsi plus clairement devant le monde de l’identité de notre foi en ce mystère central de notre religion (...).

Nous savons que cette joie est partagée par Votre Sainteté qui désire, elle aussi, que les chrétiens s’accordent sur la date de la célébration pascale. Votre  Église n’étudie-t-elle  pas cette question de la  date de Pâques qui est inscrite au programme du Prosynode Panorthodoxe? Elle est également étudiée par les Églises orientales non-chalcédoniennes et elle a été soulevée aussi au sein du Conseil œcuménique des Églises.

Votre Sainteté a appris que les évêques catholiques, réunis au Concile du Vatican, qui vient de s’achever, ont déclaré n’avoir aucune objection à ce que cette date soit fixée à un dimanche déterminé ; mais le Concile a exprimé le désir que rien ne fût fait, si ce n’est en accord avec les autres Églises chrétiennes (...)»3l2.

À ces pensées du pape, le patriarche repond tant par sa lettre pascale313 que par son message pascal à tous les chrétiens. «La célébration commune de la même Résurrection du même Christ unique doit constituer une réalité permanente dans l’Église».

Après Paques, le 13 avril, le pape, le patriarche et d’autres ecclésiastiques  éminents parlent de l’unité à la tèlévision italienne. Ils sont unanimes a conclure que le miracle de la Résurrection du Christ, qui est le fondement de l’unité et de la foi commune des chrétiens, a montré combien «à Dieu tout est possible de ce que les hommes considèrent comme impossible», comme l’est le problème de l’union des Églises.

À Bari, où dépuis 1087 ont été transportées les reliques de saint Nicolas, évêque de Myra de Lycie, l’archevêque Enrico  Nicodemo a cédé aux orthodoxes une chapelle, près de la tombe de ce saint si cher aux orthodoxes. C’est là que, le 5 mai, l’archimandrite d’alors  Gennadios Zervos célèbre la première Messe orthodoxe. Durant la cérémonie, on lit les souhaits du pape et le cardinal Paolo Giobbe prend la parole: «Ce qui nous sépare, dit-il, de nos frères d’Orient ce n’est pas un mur, mais un voile léger. Notre dévotion commune à la sainte Eucharistie et à la sainte Vierge nous conduit vers la reconnaissance mutuelle, en dépit de l’existence de ce voile»3l4.

 

LE RETOUR DU CHEF DE L’APÔTRE TITUS EN CRÈTE

Cependant, un nouvel acte de charité fraternelle de la part de l’Église de Rome envers l’Église de Crète, qui relève directement du Patriarcat œcuménique  depuis  des siècles,  est  le  retour de  la relique du Chef de saint Titus, disciple de saint Paul et premier évêque de l’île. Cette relique était gardée jusqu’en 824 dans l’ancienne église de Gortyni, dédiée au saint. Puis, en 981, on l’avait transportée à Candie (Hiraclion). Mais, à la suite de la conquête de l’île par les Turcs, on l’avait transférée en 1669 à l’église Saint-Marc de Venise.

C’est le pape Jean XXIII, alors qu’il était encore archevêque et patriarche de Venise, qui avait fourni des renseignements au métropolite Eugène de Crète; au sujet de la relique et lui en avait envoyé les premières photographies315. Quand les circonstances devinrent propices, des propositions pour le retour furent faites au Vatican et à Venise. Le pape Paul VI ayant donné son accord  au nouveau patriarche  de  Venise, le cardinal Giovanni Urbani, ce dernier annonça l’événement le 9 mars 1965. Et c’est avec émotion et enthousiasme que le clergé et le peuple de Crète apprirent la nouvelle du retour de la relique, après 296 années d’absence. La cérémonie a eu lieu un an après, le 15 mai 1966, parce qu’il fallut pour cela faire le reliquaire ad hoc. Le  coadjuteur  du  cardinal, l’évêque  Joseph Olivotti, l’archidiacre G. Scarpa, de Saint-Marc, et le père John Long, avec les métropolites orthodoxes Chrysostomos d’Autriche et Irénée de Kissamos, accompagnèrent la relique de Venise jusqu’en Crète. La cérémonie grandiose et historique eut lieu au port de Candie, en présence du métropolite d’alors et actuellement archevêque de Crète, du Saint-Synode de l’île, des représentants des Églises  orthodoxes et catholique  romaine  et  de milliers de fidèles. Le métropolite Eugène déposa la relique vénérable dans l’église dédiée au saint; elle y est, depuis, vénérée par les Crétois et tous les orthodoxes.316

Entre temps, d’autres événements viennent réchauffer le climat qui va toujours s’améliorant en ce qui concerne les relations entre les deux Églises. À la 18ème ‘assemblée du clergé et du laïcat’ de l’Archevêché d’Amérique, qui a eu lieu à Montreal, Canada, le 30 juin, le cardinal Paul Léger, archevêque de la ville, et maintenant missionnaire chez les lépreux d’Afrique, prend la parole au sujet de l’unité. D’autre part, lors d’une audience générale à Rome, le 6 juillet, le pape fait l’éloge de la ‘cérémonie pour la fête du saint Apôtre Pierre’, composée par le moine du Mont-Athos et hymnographe Ghérasimos Microyannanitis.317  Quelques jours après, le frère du pape, sénateur Louis Montini, rend visite au patriarche, au Phanar. Il y est reçu cordialement et le pape en remercie le patriarche.318

Un événement extraordinaire, aux prolongements panorthodoxes et interchrétiens, est  la fondation  a Chambésy, faubourg de Genève, du centre orthodoxe du Patriarcat œecuménique. Cette institution est inaugurée le 3 juillet, en présence des métropolites du siège œcuménique en Europe, d’autres personnalités orthodoxes, ecclésiastiques et théologiques, des donateurs et de dizaines d’invités319.

La Métropole de Salonique et la faculté de théologie de l’université de cette même ville, de leur côté, ont organisé des fêtes solennelles, du 22 au 26 octobre, en l’honneur des frères Cyrille et Méthode, natifs de Salonique, à l’occasion des 1100 ans de leur apostolat en Moravie et dans les régions du Nord. Aux solennités que, du côté de l’Église, préside le métropolite et archevêque Pantéleimon de Salonique, et, du côté des théologiens, le prof. Jean Anastassiou, prennent part des primats d’Églises orthodoxes et une représentation du Saint-Siège composée du rév. père Pierre Duprey et du professeur Ivan Vodopivec. Y sont également représentés l’institut oriental de Rome par le père Joseph Gill et les abbayes de Grottaferrata et de Chevetogne. La participation du Vatican aux solennités doit être particulièrement relevée, parce que c’est la première fois qu’un tel événement se produisait dans l’histoire de l’Église de  Grèce,  fut-ce même sur le territoire des «nouvelles contrées», relevant administrativement du Patriarcat œcuménique320.

Cependant, dans le cadre d’une mise au courant réciproque sur l’évolution des relations entre Rome et le Phanar, on doit aussi noter la visite que l’évêque Jean Willebrands et le père Duprey ont effectuée au Phanar du 30 novembre au 3 décembre.

Le premier anniversaire de la levée des excommunications fut salué par une déclaration du patriarche œcuménique, par l’échange de messages entre le patriarche et le pape et par un discours lors d’une cérémonie commémorative dans la cathédrale patriarcale. Dans sa déclaration, du 7 décembre 1966, le patriarche dit: «(...) Maintenant qu’un an est passé  nous pouvons discerner plus clairement et estimer plus pleinement la vérité suivante: alors que nous avions demandé peu du Seigneur, Celui-ci a répandu de grands dons sur son Église. Ensuite,  nous constations que l’Esprit Saint a dirigé nos pensées et notre plume, non selon la mesure des réserves humaines mais selon la mesure des dons du Christ; il a conduit nos pas bien au-delà de nos espérances, au-delà même de celles de la charité, vers une nouvelle et constructive perspective théologique quant au point de vue ecclésiologique différent des deux Églises, l’Église catholique  romaine et l’Église orthodoxe (...).

» Considérant les évolutions rapides et multiformes du monde contemporain, nous comprenons plus clairement le sens caché de la parole: ‘le royaume des cieux souffre violence’ (...).  L’homme moderne  et  le monde ne supportent plus le luxe de la division chrétienne (...). Ils ont besoin  d’une réponse  et elle est celle-ci:  l’urgente manifestation  de l’unique Christ par son unique Église (...)».32l

C’est dans le même esprit qu’est également formulé le télégramme du patriarche au pape.322

«(...) Unis dans le sacerdoce apostolique, la charité, la paix et le ministère du Christ (...), nous concélébrons aujourd’hui, par des prières d’action de grâces, le premier anniversaire de la mutuelle levée des anathèmes entre nos deux Églises (...). Nous regardons avec plus d’espoir dans le Seigneur vers les étapes suivantes et vers de nouveaux actes ecclésiastiques du même ordre par lesquels le dialogue de charité sera accompli et l’unité de l’Église édifiée (...)».

Le pape, dans  sa  reponse323, qualifie la  levée  des anathèmes de ‘ceremonie de réconciliation’ et souhaite que Celui qui est, qui était et qui vient, fasse que, le passé ayant été purifié par sa miséricorde, le présent et l’avenir se construisent dans une pleine fidélité à sa volonté  de nous voir unis dans une communion toujours plus profonde’. Enfin, dans son discours, le métropolite Chrysostomos de Myra, après avoir décrit les événements, en a défini la signification et analysé les perspectives, tant theoriques que pratiques324.

Vers la fin de 1966, il semble que, dans les cercles officiels du Vatican, on acquière progressivement une conscience plus nette des changements de la nouvelle époque, et cela d’après les lettres de quatre cardinaux au patriarche.

Le cardinal A.Ottaviani lui écrit qu’il suit ‘avec joie l’évolution des relations entre les deux Églises et qu’il prie Dieu de lui faire la grâce de le rencontrer un jour325.

Le cardinal Fr. Spellman lui rappelle leur vieille amitié et le rôle qu’il a joué auprès du pape Jean XXIII pour la création du nouveau climat326.

Le cardinal Léon Suenens lui affirme que ‘plusieurs fois, pendant le Concile, on a senti la présence’ du patriarche Athénagoras. «Nous avons l’impression  que le Saint-Esprit a déjà fait beaucoup et que l’heure de Dieu approche», ajoute-t-il327. Le cardinal Jean Colombo, successeur du pape au siège de Milan, lui fait part de ses constatations: ‘En vérité, dit-il, le froid de l’hiver est passé. Le Saint-Esprit, Esprit de charité et d’unité, est en train de préparer un nouveau printemps’. Et il continue, avec une pensée prophétique, évoquant les événements inattendus de 1967: ‘Ce n’est plus l’autorité des villes imperiales  qui  nous rapproche l’un de l’autre, mais le souffle de l’Esprit Saint qui,  maintenant,  nous pousse  beaucoup plus près328.

 

l967

Une des questions qui  restaient à régler  entre les  catholiques romains et les orthodoxes concernait la validité des mariages mixtes. Sur cette question, le pape décréta que le sacrement de mariage célébré par un prêtre orthodoxe dûment habilité à cet effet serait valide aux yeux de l’Église catholique et il communiqua l’acte y relatif au Patriarcat œcuménique et aux autres Églises orthodoxes329.

Le 27 février, le pape reçoit en audience privée l’archevêque Iacovos d’Amerique330.

Cependant, vers la mi-mars, le bruit courut que le patriarche devait se rendre à Rome33l. Quelques jours plus tard, une lettre du pape arrive au Phanar à l’occasion de Pâques; elle contient aussi une invitation faite au Patriarcat œcurnénique à participer aux festivités du 19ème anniversaire du martyre des saints Apôtres Pierre et Paul332. Le 30 mars, une légation de l’Église catholique d’Allemagne, rend visite au patriarche; elle est conduite par l’évêque Rudolf Graber.

À l’occasion de la publication de l’encyclique du pape Populorum Progressio, le patriarche félicite cordialement le pape333. Lors de la fête de Pâques des orthodoxes, le patriarche, dans son message, donne sa réponse ‘pour le progrès de l’Église’. Il y souligne qu’«il faut que, nous, primats de chacune des Églises prises séparément, ayant gravement pesé notre devoir et nos responsabilités, descendions de nos trônes, et, par une collaboration pastorale fraternelle, inaugurions la troisième période de l’Église, la période de la charité, dans un esprit de conciliation, d’unité, d’égalité et de coexistence, jusqu’à ce que nous nous rencontrions autour du saint Calice commun»334.

Les 5 et 6 mai, à Worcester (Massachusetts), des théologiens catholiques  romains et orthodoxes organisent une rencontre sous la présidence de l’archevêque Iacovos et de l’évêque Joseph Flanagan,  pour le début d’un dialogue335.

Le jour de ‘la Pentecôte, le 14 mai, le Secrétariat pour l’unité publie la première partie du «directoire», pour la mise en pratique du décret sur l’«œcuménisme» du IIe Concile du Vatican:

Lorsque le pape approuva le texte, lors de l’assemblée générale des membres du Secrétariat, le 28 avril, il parla encore du «grand patriarche Athénagoras», avec lequel il avait inauguré une amitié portant le sceau du respect, de l’enthousiasme et de la cordialite336. Ce «directoire œcuménique» s’inspire de la foi à savoir que tous devront prendre part au Mouvement pour l’unité, afin de renouveler l’esprit de vérité et de charité dans l’Église, sans créer d’obstacles sur la voie de la Divine Providence, ni s’opposer d’avance aux futures suggestions du Saint-Esprit. C’est pourquoi il recommande, avec infiniment de circonspection, et cela afin d’éviter la suspicion et les malentendus avec les orthodoxes, en particulier, non seulement la prière commune et «l’œcuménisme spirituel», mais aussi la «communion sacramentelle», dans un esprit de réciprocité officielle des autorités des deux Églises. En outre, il conseille d’honorer les prêtres orthodoxes de la même manière que les prêtres catholiques, et de leur accorder toutes facilités dans leur tâche sacerdotale et pastorale, en les aidant en ce qui concerne les établissements, les cimetières et les vases sacrés, là où les moyens manquent aiix prêtres orthodoxes; de même, dans les écoles et les autres institutions catholiques, d’aider les prêtres orthodoxes dans l’accomplissement correct de leur mission auprès des fidèles orthodoxes qui y font des études ou qui y sont hospitalisés337.

D’autre part, afin d’exprimer les sentiments de reconnaissance de l’Église de Crète envers celle de Rome, pour le retour de la relique de saint Titus, l’archevêque Eugène de Crète et le métropolite Philothée de Hiérapytna, se rendent au Vatican et à Venise, où ils sont reçus le 23 mai par le pape et le 28 mai par le patriarche de Venise, avec grande cordialité338.

Afin de satisfaire à la pieuse demande des chrétiens orthodoxes de Chio, l’Église de Venise fait encore un pas, en signe d’écho affectueux: le 10 juin, elle rend au métropolite Iacovos de Mytilène, vicaire du siège de Chio, une relique de saint Isidore, qui versa son sang à Chio en 250 ap. J.-C. et dont les reliques avaient été transportées à Venise en 1125339.

Le 2l juin, le pape reçoit en audience les étudiants en théologie de l’université «Aristote» de Salonique,  accompagnés de leurs professeurs, en pèlerinage à Rome. Le professeur Evanghélos Théodorou, doyen de la faculté, dans son allocution au pape, fait l’éloge des perspectives du Saint-Père, réalisées du reste peu de temps après. Le pape, dans sa bienvenue aux professeurs et aux étudiants; parla de la «communion de la charité entre les Églises locales»340.

 

COMMÉMORATION DU MARTYRE DES SAINTS PIERRE ET PAUL

De plus, une délégation du Patriarcat œcuménique vient participer à la «grande manifestation de foi» de l’Église de Rome, à l’occasion du l900ème anniversaire du martyre des saints Apôtres Pierre et Paul; elle est composée des métropolites Chrysostomos d’Autriche, Chrysostomos de Myra, de l’archimandrite Gennadios Zervos, et du second diacre au Patriarcat, Kallinicos34l. Cette présence fut une «nouvelle preuve concrète de la ligne inaugurée pour le resserrement des liens fraternels entre les deux Églises», suivant les paroles du métropolite d’Autriche. Le pape après avoir fait l’éloge du patriarche, développa le thème des obligations des Églises découlant du martyre des Apôtres.  Puis, dans son message342  au patriarche, envoyé le 4 juillet, le pape exprime, pour la première fois aussi nettement, le désir ardent: «que le baiser de paix qui a été échangé pendant la sainte Messe soit le signe précurseur de la concélébration, qui sera le fruit de l’unité complète»343.

Ce désir, le matin suivant, 5 juillet, prit la forme soudaine d’une décision inspirée de Dieu: le pape appelle le cardinal Angelo Dell’ Acqua et lui annonce son intention de visiter Istanbul et Éphèse, et illui donne l’ordre d’appeler tout de suite l’ambassadeur de Turquie auprès du Saint-Siège, le Dr. Jusuf Kadri Dicle, pour lui faire part de ce désir344. Les contacts avec Ankara aboutissent et, le 13 juillet, le rév. père Duprey arrive en visite extraordinaire à Istanbul, porteur d’un inessage du pape au patriarche.

Dans son message, Paul VI annonce qu’il

«a l’intention de se rendre à Istanbul pour y faire une visite fraternelle et officielle au patriarche Athénagoras:

»pour y renforcer les liens de foi, de charité, d’amitié qui l’unissent à lui, en souvenir de la Rencontre de Jérusalem et en reconnaissance pour l’envoi répété, fait par le même patriarche, de ses représentants, a Rome

»pour le prier de vouloir s’unir spirituellement à la célébration du centenaire des saints Apôtres Pierre et Paul (...).

»Il prie donc le patriarche Athénagoras de bien vouloir lui indiquer quelles sont à son avis les voies les meilleures pour atteindre loyalement un but si difficile mais très saint.

»Cette visite n’implique aucune décision, mais veut seulement être un signe du respect et de l’affection que l’évêque de Rome et chef de l’Église catholique nourrit envers le grand et vénéré patriarche (...).

»La visite est prévue pour l’après-midi~du 25 juillet»345.

Le samedi 15 juillet, respectivement après le Consistoire cardinalice au Vatican346 et la session du Saint-Synode au Phanar347, l’événement est annoncé officiellement. L’étonnante nouvelle se répand tout de suite dans le monde entier et suscite une profonde émotion dans toute l’humanité et, plus particulièrement, chez tous les chrétiens.

Le pape Paul VI vient en Orient, comme pèlerin, sur les lieux des Églises apostoliques et des Conciles œcumeniques;  il vient en visite au Patriarcat œcumenique, qui l’attendait depuis des siècles comme le frère aîné. Ce ne sont pas des affaires ecclésiastiques ou politiques de l’Occident qui l’amènent comme ce fut le cas de ses prédécesseurs;  Jean 1er (525), Agapet 1er (536), Vigile (548-555), Martin 1er (653)  et Constantin 1er (7l0). Ce qui l’a poussé, c’est le désir ardent de la préparation du ‘Calice commun’, en humilité et charité.

Le dimanche 16 juillet, le pape, parlant aux fidèles de Rome, qualifie sa visite au patriarche, comme une visite «d’espérance» en vue de la communion parfaite348. Ce même jour, le patriarche répond au message du pape, avec des sentiments de joie et de fraternelle attente348.

Il fallait que l’accueil fait au pape fût, du point de vue ecclésiastique, digne du «premier dans l’ordre» patriarche de l’Église, digne aussi des traditions de l’Orient orthodoxe. Deux Commissions, une synodale et l’autre chargée de préparer les cérémonies, en dressent les plans. Un nouvel «ordre des cérémonies religieuses» est rédigé qui réunit le Protocole et la cérémonie d’accueil du président d’une Église autocéphale, ainsi que le rituel réglant traditionnellement la «co-assistance» liturgique des patriarches  et  des membres de leurs Synodes350. Le programme du Patriarcat est inséré au programme général d’accueil des autorités turques par une Commision mixte de catholiques romains et d’orthodoxes.

 

LA RENCONTRE SACRÉE AU PHANAR

Et voilà, que le 25 juillet 1967 se lève. C’est un mardi.

Un «Boeing 707», orné avec les armes pontificales et l’inscription «saint-Paul» atterrit sur la piste de l’aéroport de Yesilköy (San-Stéfano), à 9 h. 55. Un détachement militaire grandiose entoure les Autorités afin de rendre les honneurs.

Le patriarche, avec une petite suite, attend hors du premier rang des officiels...; pourtant, c’est vers lui que tout le monde regarde, c’est lui que les centaines d’objectifs de l’actualité mondiale visent, afin de pouvoir rendre vivant et immortel le premier acte historique de  cette seconde Rencontre sacrée.

Le pape Paul VI descend de l’avion, salue les autorités, et, accompagné d’elles, se dirige vers le patriarche. Un instant, leurs regards se croisent; le pape s’arrête un moment, hésitant, et voici les deux hommes dans les bras l’un de l’autre.

Le silence est impressionnant. Tout remplis d’amour, les assistants éprouvent le besoin de se taire: le silence est inséparable des moments solennels. Ce sont les grands de l’Église qui s’entretiennent entre eux. Ils ont à annoncer quelque chose de grand, de bouleversant. Ils l’exprimeront mieux par leur silence. Et ce message dit: «Aimons-nous les uns les autres afin que, dans la concorde, nous confessions...».

Le second acte  historique se joue dans l’après-midi, vers l7 h., sous le «ciel  terrestre», à savoir la voûte suspendue dans le vide, de celle qui jadis fut la grande cathédrale de la chrétienté d’Orient, l’église de la «Sagesse Divine», aujourd’hui Musée de Sainte-Sophie.

Le pape contemple la spiritualité éblouissante du temple, et ses merveilleuses mosaïques, et il se sent transporté par un sentiment indescriptible d’exaltation. Dans cette bâtisse qui donne l’impression de posséder une âme, il en revit l’histoire qui dispense la vie. Il entend dans ses oreilles la concélébration impressionnante de ses prédécesseurs  avec les patriarches, dans ce même lieu vénérable, et il se sent poussé par un élan irrésistible à se jeter à genoux et à prier. Il le fait et avec quelle discrétion!

Il demande à l’officiel  qui l’accompagne: «Me permettez-vous de prier un instant?» Il s’agenouille et prie. Avec lui, prient tous les chrétiens,

catholiques romains  et orthodoxes,  qui  assistent à la  visite. Il  s’agit d’une scène, qu’aucune page de l’histoire passée ne peut désormais venir déformer, parce qu’elle marque le passage à l’époque nouvelle.

Quand il termine sa prière, le pape se lève et fait une déclaration remarquable: «Il faudrait que cette église redevienne ce qu’elle était». Il avait sans doute quelque droit de le dire,  puisque l’Église catholique romaine prête la cathédrale de Cologne pour le culte des musulmans Turcs d’Allemagne, pendant leurs fêtes religieuses officielles.

Le troisième acte historique se déroule le même jour a l8 h. l5 au Phanar. Le  Phanar, ce lieu vénérable qui, de siège du chef de l’Orthodoxie, est devenu le symbole d’un grand héritage pour les chrétiens orthodoxes de l’Orient et de l’Occident. Symbole de survie, de réalisme, de dynamisme, de noblesse, de réceptivité face aux signes des temps, d’interprétation des grands tournants de la vie, l’alliance entre tradition et progrès.

Le pape, portant l’engolpion que le patriarche lui avait offert à Jérusalem, arrive à l’entrée du Patriarcat. Les cloches sonnent joyeusement et les foules acclament et applaudissent. Paul VI est reçu par les métropolites Méliton de Chalcédoine, ex-d’Helioupolis et Iacovos de Derkos. Une procession composée d’archimandrites et de diacres, tous revêtus de leurs ornements en or, entoure le pape qui marche vers l’entrée de la cathédrale patriarcale de Saint-Georges. Le patriarche est là, qui l’attend, vêtu de son majestueux mandyas. Les larmes aux yeux, ils échangent le baiser de paix dans le Christ et, se soutenant par la main, ils avancent par la nef centrale, tandis qu’une chorale byzantine de 35 membres chante: «Voici! Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’habiter ensemble!»

Maintenant, les deux primats montent une petite estrade, sur laquelle se trouvent deux trônes semblables devant la ‘Belle’ porte sainte dans le chœur de l’église. C’est le lieu où ceux qui doivent célébrer la messe «prennent temps»,  comme on dit dans le langage liturgique. À la droite du pape, se trouvent le Saint-Synode et les métropolites «de passage». À gauche du patriarche, les cardinaux et les archevêques de la suite papale. Derrière leurs sièges,  ont pris place les ministres du culte faisant partie des cortèges du pape et du patriarche; devant eux, le peuple fidèle de l’Église: mille personnes en tout,  au moins, venues de la Ville, de l’étranger, sans parler des journalistes, des photographes, etc.

Après les tropaires d’invocation au Saint-Esprit, aux Apôtres Pierre et Paul et à la Théotokos, Mère de Dieu, des versets de la grande doxologie, ou Te Deum orthodoxe, sont chantés, suivis par les litanies récitées par les diacres. C’est la première fois depuis cinq cents ans et plus, que des lèvres des orthodoxes sort la prière: «Nous te prions encore pour Sa Sainteté le pape de Rome, Paul, et pour notre archevêque et patriarche, Athénagoras, afin que leurs pas se dirigent toujours dans la voie de toute bonne œuvre». Cette prière commune, dite dans un profond recueillement digne du moment historique, la première devant l’autel et le peuple, s’achève par une prière du patriarche et la récitation collective du «Notre Père». Ensuite, commencent les allocutions, qui sont un échange de pensées et de sentiments, un dialogue, une marche avec Jésus vers Emmaüs; c’est pourquoi nous présentons ici, ces discours sous forme de dialogue:

PAUL VI: «Très cher frère dans le Christ! Il y a un peu plus de trois ans, Dieu, dans son infinie bonté, nous donnait de nous rencontrer en cette Terre Sainte où le Christ a fondé son Église et versé Son Sang pour elle (...). Aujourd’hui, c’est le même amour du Christ et de son Église qui nous amène (...) pour échanger de nouveau le baiser de la charité fraternelle, là où nos pères dans la foi se sont rencontrés pour confesser d’un seul cœur la Trinité Sainte, indivisible et consubstantielle (...)».

ATHÉNAGORAS: «Sainteté  et  bien-aimé  frère  dans  le Christ! Gloire à Dieu, Auteur de toute merveille, qui nous a jugés dignes aujourd’ hui (...) de recevoir avec un amour sans bornes et un très grand honneur votre très chère et très vénérée Sainteté, venue apporter ici le baiser de la Rome ‘ancienne’ a sa sœur cadette (...)».

PAUL VI: «À la lumière de notre amour pour le Christ et de notre charite fraternelle, nous découvrons plus encore la profonde identité de notre foi, et les points sur lesquels nous divergeons encore ne doivent pas nous empêcher de percevoir cette unité profonde (...)».

ATHÉNAGORAS: «(Le Seigneur) nous a conduits d’étape en étape et nous a affrontés aux. signes douloureux de notre commune histoire. Il nous a ordonné d’enlever d’entre nous, (...) le rideau de séparation, (...). Obéissant à Ses paroles et à Sa volonté, nous tendons à l’union de tous, à la pleine communion de la charité et de la foi, réalisée dans la concélébration du commun Calice du Christ (...)».

PAUL VI: «La charité nous permet de mieux prendre conscience de la profondeur même de notre unité, en même temps qu’elle rend plus douloureuse l’impossibilité actuelle de voir cette unité s’épanouir en concélébration, et nous incite à tout mettre en œuvre pour hâter la venue de ce jour du Seigneur (...) (Les chefs des Églises et leur hiérarchie doivent mener les Églises sur la voie de la pleine communion). Ils doivent le faire en se reconnaissant et en se respectant (...) en prenant soin de la cohésion et de la croissance du peuple de Dieu et en évitant tout ce qui pourrait le disperser (...). La charité est le milieu vital nécessaire à l’épanouissement de la foi, et la communion dans la foi est la condition de la pleine manifestation de la charité s’exprimant dans la concélébration (...)».

ATHÉNAGORAS: «Édifions le Corps  du  Christ en réunissant  ce qui est divisé et en rassemblant de nouveau ce qui est dispersé. Réunissons ce qui est divisé par des gestes réciproques des Églises, là où c’est possible, en réaffirmant les points communs de la foi et des règles canoniques; menons ainsi le dialogue théologique vers le principe de la pleine communauté de ce qui est fondamental pour la foi, pour la liberté d’une pensée théologique et créatrice, inspirée des Pères communs, et  pour la diversité des usages locaux ainsi qu’ il a plu à l’Église depuis les origines. (...)».

PAUL VI: «Avec une ‘charité’ sans feinte ‘Nous vous  embrassons d’un saint baiser’».

ATHÉNAGORAS: «Béni soyez-vous,  frère, qui êtes venu au nom du Seigneur»!351

Après les allocutions, vient l’échange des présents. Le patriarche offre une étole du XVIe s., ornement sacré, brodé d’or, portant près de 70 figurations du Christ et des saints, «offrande de la pieuse dame Marie et de son époux, le prêtre Georges»352;il l’offre, ainsi que porte la dédicace, «en signe de ce que nous avons en commun le trésor du sacerdoce reçu des Apôtres»353.  Lorsque le patriarche eut revêtu le pape de l’ornement sacré, l’église retentit des acclamation rituelles: «Axios! Axios!» (Il en est digne).

Le pape, alors, remet au patriarche une image du peintre moderne Trento Longaretti,  représentant le Christ «en gloire», la Vierge et les Apôtres Pierre, André et Paul, «en souvenir de la Rencontre au siège du Patriarcat de Constantinople»354. Lepatriarche s’incline pieusement devant la sainte image. La cérémonie prend fin par la bénédiction apostolique des deux primats. Le pape dit en latin le dernier verset de la 2ème épître aux Corinthiens et le patriarche, en grec, les prières de conclusion de la sainte Liturgie. Tout de suite après, le chœur chantait le Ad multos annos pour le pape et patriarche. «Que le Seigneur conserve longtemps le très saint et bienheureux Père, pape de Rome, Paul VI. Seigneur, garde - le pour beaucoup d’années. Eis polla eti,  Despota.  Des acclamations et des applaudissements enthousiastes couvrent la fin des chants.

Le pape et le patriarche, quittant l’église, passent à travers la foule enthousiaste, qui remplit les cours du Patriarcat et rentrent à la demeure patriarcale. Du haut de l’escalier, ils donnent de nouveau la bénédiction au peuple et ils se retirent ensuite dans le bureau patriarcal.

Là, les deux primats s’entretiennent pendant quinze minutes (tandis que leurs suites restent dans le synodikon, la salle des réunions synodales).

Leur conversation porta sur la mise en œuvre des démarches jusqu’alors réalisées. Le pape pria tout specialement le patriarche de bien vouloir exprimer aux patriarches orthodoxes, chez lesquels ce dernier allait se rendre prochainement, ses sentiments profonds de fraternité et de dilection et sa volonté de faire tout ce qui dépendait de lui pour la réalisation de l’union. À la fin du dialogue, le patriarche présenta au pape -chose amusante pour l’histoire-«son courrier», qui portait l’intéressante inscription: «Sa Sainteté Paul VI, Patriarcat Grec, Phanar»!

Ensuite, ont été reçues les suites des deux primats. Le patriarche offre alors des croix pectorales en or, reproductions faites d’après les portes de Sainte-Sophie, aux cardinaux Eugène Tisserant, A. Cicogniani et A. Dell’Acqua, comme aussi aux évêques P.Brini, A.Casaroli, Jean Willebrands et au maître de la cour papale P.Nasali-Rocca. Des croix plus petites sont également offertes aux autres membres de la suite papale: les rév. pères Macchi, Duprey, Marcinkus,. A. Stefanizzi, le prof. F. Alessandrini et d’autres. Le pape, de son côté, remet aux métropolites synodaux un calice et une patène en argent à chacun et des médailles en or, frappées à cette occasion, représentant le pape et le patriarche s’embrassant, avec l’inscription: «Paulus et Athénagoras invicen diligentes». Les présents échangés sont caractéristiques de l’esprit liturgique et de la reconnaissance réciproque du sacerdoce et de la sainte Eucharistie, mais aussi du désir commun de la concélébration.

Après être resté au Phanar près de deux heures, le pape, accompagné jusqu’à la porte par le patriarche et les métropolites, part pour la résidence de la délégation apostolique à Pangalti. Ainsi, prend fin le troisième acte historique de cette journée.

Le quatrième acte se déroule à 2l h. l0, au siège de la nonciature apostolique et dans la cathédrale latine du Saint-Esprit.

Le patriarche, accompagné de métropolites et de dignitaires du Patriarcat, se rend à la residence latine de Pangalti, où résidait jadis le prédécesseur de Paul VI, le pape Jean XXIII, en tant que délégué apostolique sous le nom de Angelo Roncalli. Il y est reçu par les cardinaux et conduit chez le pape. Après un entretien privé de dix minutes dans le bureau Roncalli, les deux primats se rendent dans la même voiture à l’église du Saint-Esprit.

Ils y sont accueillis par des ovations et au son des cloches. II y a une telle assistance qu’ils avancent à grand-peine vers l’autel où le chœur de l’église soutenu par l’orgue, entonne  le  Christus vincit ;  après  les versets de prière pour le pape, on entend, en latin, un verset de prière pour  le  patriarche:  «Athénagorae archiepiscopo  Constantinopolitano et œcumenico patriarcha, vita, pax et felicitas perpetua». Les deux chefs d’Église se tiennent debout devant l’autel. Le pape porte l’engolpion de Jérusalem et l’étole byzantine reçue le jour même, tandis que le patriarche s’est passé la croix en or du pape Jean XXIII. La cérémonie commence par le chant Veni Creator Spiritus, une prière du pape au Saint-Esprit et se poursuit par la lecture de l’epître aux Éphesiens (3, 8-21) et celle de l’évangile selon saint Jean (14, 23-30), précédée du chant du Lavement des Pieds ubi caritas et suivie de prières d’intercession dont l’une, a l’intention des deux primats, en langue française. Ensuite, le pape récite la prière finale également en frangais356 et la cérémonie se termine  par le  ‘Bref’  Anno ineunte, lu en chaire par Mgr. Willebrands.

Dans ce ‘Bref’, le pape, après avoir rappelé la prière du Seigneur ‘qu’ils soient un, comme nous sommes un’,  souligne que ce désir anime une volonté résolue de hâter le jour où une pleine communion sera rétablie entre les deux Églises. Il poursuit: (...)

Par le baptême, «nous sommes un dans le Christ Jésus» (Ga 3, 28). En vertu de la succession apostolique, le sacerdoce et l’Eucharistie nous unissent plus  intimement; (...)  Devenus  fils  dans  le  Fils  en  toute réalité (Cf.1 Jn 3, 1-2), nous sommes devenus aussi réellement et mystérieusement frères les uns des autres. En chaque Église locale s’opère ce mystère de l’amour divin et n’est-ce pas là la raison de l’expression traditionnelle et si belle  selon laquelle les Églises locales aimaient à s’appeler Églises-soeurs?

»Cette vie d’Église-soeur, nous  l’avons vécue durant des siècles (...). Maintenant, après une longue période de division et d’incompréhension réciproque, le Seigneur nous donne de nous redécouvrir comme Églises-soeurs, malgré les obstacles qui furent alors dressés entre nous (...).

»Puisque de part et d’autre nous professons «les dogmes fondamentaux de la foi chrétienne sur la Trinité, le Verbe de Dieu qui a pris chair de la Vierge Marie (...) et puisque nous avons en commun de vrais sacrements et un sacerdoce hiérarchique, il faut en premier lieu qu’au service de notre sainte foi nous travaillions fraternellement à trouver ensemble les formes adaptées et progressives pour développer et actualiser, dans la vie de nos Églises, la communion qui, bien qu’imparfaite, existe déjà.

»Il faut ensuite, de part et d’autre, et par des contacts mutuels, promouvoir, approfondir et  adapter la formation du clergé, l’instruction et la vie du peuple chrétien. Il s’agit, par un loyal dialogue théologique, rendu possible par le rétablissement de la charité fraternelle, de se connaître et de se respecter dans la diversité légitime des traditions liturgiques, spirituelles, disciplinaires et théologiques pour arriver a s’accorder dans la confession sincère de toute vérité révelée (...)»357

La lecture terminée, le pape remet au patriarche le document et échange avec lui le baiser de paix dans le Christ. Enfin, après une invocation finale, toujours en français, les deux prélats, ayant béni ensemble le clergé et les fidèles, quittent la cathédrale, après que la chorale a chanté le Magnificat en latin.

Le lendemain, 26 juillet, le pape a été conduit par les Autorités turques dans les musées et a visité les sites d’Istanbul; puis, à 11 h. du matin, ce sont les adieux à l’aéroport. Les deux primats échangent des vœux en s’embrassant: «Je vous souhaite bon voyagei», dit le patriarche. «Je vous attends à Rome avec joie!»; répond le pape. Du haut de la passerelle, le pape salue encore le patriarche en levant les mains, et le patriarche, ému, fait de même. Ensuite, pour quelques heures, le pape s’est rendu à Éphese, pour visiter les ruines de la basilique de la Théotokos, dans laquelle eut lieu le troisième Concile œcuménique. De ce lieu vénérable pour toute la chrétienté, le pape envoya un message fraternel et cordial à tous les primats des Églises orthodoxes358. Il s’est ensuite prosterné devant le tombeau de saint Jean l’Évangeliste, dans la basilique fameuse sur la colline Ayia-soluk, et par Izmir (Smyrne) il prit l’avion pour Rome.

C’est par ces événements que s’est achevée la seconde Rencontre sacrée, dont l’importance fut soulignée par les messages que les deux pasteurs échangèrent immediatement ensuite. Le pape souhaite que leurs démarches soient guidées par Dieu «vers cette parfaite communion tant désirée de part et d’autre!»359. Le patriarche, de son côté, prie le Seigneur de bénir et de «promouvoir nos efforts communs, pour parvenir à l’unité parfaite»360

Pendant la première assemblée du Saint-Synode; après les événements, le «premier selon l’ordre» métropolite Méliton de Chalcédoine, «exprimant l’émotion de la hiérarchie du siège œcuménique, rendit hommage aux deux primats pour la nouvelle étape qu’ils ont réalisée, mais  aussi la reconnaissance et l’appreciation du geste du pape de visiter le premier le centre sacré de l’Orthodoxie»361. De son côté, le pape, pendant l’audience du 2 août, à Castelgandolfo, dit que «le premier qui, du ciel, s’est réjoui de cette Rencontre fut le Seigneur. C’est à Lui qu’il nous faut rendre grâces, parce que, par sa miséricorde, Il nous a rendus les témoins de ses merveilles pour l’Église»362. C’est alors que le patriarche, avec le Saint-Synode, décident  que soit rendue au Vatican la visite du pape363, en corrélation avec le voyage, décidé déjà depuis longtemps du patriarche aux Églises orthodoxes du Nord. Le 29 août, arrivent au Phanar, après les sessions de la commission centrale du Conseil œcumenique des Églises, à Candie (Hiraclion) de Crète,  les très rév. pères Jérôme Hamer et Pierre Duprey, membres du Secrétariat pour l’unité, pour mettre au point le voyage du patriarche à Rome364.

Depuis la visite du pape, le Phanar devient désormais un lieu de pèlerinage pour les fidèles  catholiques romains. Le 3 septembre, arrive le premier groupe de 100 ecclésiastiques et 400 laïcs espagnols, conduits par les évêques de Huelva et de Séville.

Quelques jours plus tard, le pape a une crise de la prostate et le patriarche manifeste ses sentiments fraternels pour le rétablissement de sa santé365.

Le 70ème anniversaire du pape366 et l’ouverture des travaux du Synode des Évêques à Rome -qui fut un événement de portée historique pour le dévéloppement de l’institution synodale en Occident-367 sont deux nouvelles occasions pour les deux chefs d’Église de communiquer entre eux par télégrammes.

Après l’annonce officielle de la visite du patriarche aux Églises orthodoxes des Balkans368, le métropolite Méliton part le 6 octobre pour le Vatican, porteur d’un message écrit du patriarche pour le pape Paul VI. Le  patriarche  annonce  officiellement au pape sa visite  fraternelle, pour le jeudi, 26 octobre, en vue de resserrer les relations entre les deux Églises, «tant pour tout ce qui a été jusqu’à présent, que pour ouvrir une nouvelle voie, qui permettra une progression sûre vers le but de l’union(...) Cette visite sera aussi l’accomplissement d’un désir ancien du patriarche, connu de tous» (...); «nous venons vous rendre visite, à vous le digne et grand évêque de cette Église et le pape et patriarche de l’Église catholique romaine d’Occident. Nous regardons vers cette visite et la Rencontre avec Votre Sainteté très aimée, comme vers une nouvelle occasion d’affermir d’une part ce qui a déjà été accompli au nom du Seigneur et qui a justifié la charité, et, d’autre part, d’ouvrir une voie qui permettra à la marche sûre de nos saintes Églises de progresser dans la direction de l’unité chrétienne et de servir ce bien précieux qu’est la paix dans ce monde»369.

Le métropolite Méliton, après l’audience du pape, eut des séances de travail avec les personnalités compétentes du Vatican, pour préparer le Protocole de l’accueil du patriarche et la forme religieuse de la cérémonie spéciale, qui aurait lieu dans la basilique de Saint-Pierre. Le 10 octobre, est publié, conjointement au Vatican et au Phanar, le communiqué officiel de la visite de trois jours du patriarche au pape370.

 

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