Μax Thurian
Les images dans la Liturgie*
From: mag. Contacts, no 32, 1960 (=Thurian, l'Eucharistie, Neuchâtel-Paris 1969, pp. 101-110).
L'usage des images dans la liturgie a deux fondements essentiels: le fait de l'incarnation et l'espérance eschatologique. La liturgie est adoration de la Parole faite chair et signe du Royaume qui vient où, ressuscités en une chair visible, sur une terre nouvelle et sous de nouveaux cieux, nous verrons Dieu face à face. Il est donc normal qu'elle utilise l'image, aussi bien que la parole et la musique, pour exercer notre regard à la vision du monde à venir par la vision du Dieu incarné, des événements de sa vie terrestre et des saints qui le glorifient.
Dans l'Ancien Testament, le deuxième commandement interdisait la représentation de la créature en vue d'un culte à lui rendre : «Τu ne te feras aucune image taillée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut, οu sur la terre ici-bas, οu dans les eaux au-dessous de la terre ; tu ne te prosterneras pas devant eux (les dieux que l'image représenterait) ni ne les serviras, car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux...» (Ex. 20. 4-5). Le deuxième commandement condamne la religion naturelle et l'idolâtrie. Celui qui connaît le vrai Dieu ne peut se faire des représentations de la divinité à partir de la création et ne doit pas rendre un culte à la créature ainsi figurée dans l'image. Dieu, dans l'Ancien Testament, n'est pas visible, il se cache. S'il se manifeste, c'est par l'intermédiaire des anges. Aussi Dieu donnera l'ordre à Moïse de façonner «deux chérubins d'or aux deux extrémités du propitiatoire » (Ex. 25.18). Α cinq chapitres de distance, dans le livre de l'Exode, le deuxième commandement et l'ordre de faire des chérubins n'ont jamais été considérés comme contradictoires. Selon le deuxième commandement, il ne faut pas vouloir visibiliser Dieu par des moyens naturels, en inventant des représentations de la divinité à partir de la création. Selon l'ordre dοnné de façonner les chérubins du propitiatoire, il est permis de signaler la présence de Dieu par la représentation de ceux que la Révélation nous donne comme ses messagers. Cela nous montre à la fois que Dieu, révélé dans sa parole, interdit aux siens une religion et un culte à partir de la nature, et qu'il permet la représentation des chérubins qui visualisent sa présence dans le Temple: «C'est là que je te rencontrerai; c'est du haut du propitiatoire, de l'espace compris entre les deux chérubins placés sur l'arche du Témoignage, que je te communiquerai les ordres destinés aux enfants d'Israël» (Ex. 25.22). L'image des deux chérubins délimite un espace, un lieu, où Dieu, invisible, se rend sensible à son peuple. D'antre part, aucun culte n'est rendu à ces chérubins d'or; l'adoration s'adresse au Seigneur, à sa Parole, au Témoignage, que les chérubins signalent à l'attention du peuple. L'image est donc ici un signe qui rappelle la présence de Dieu et qui oriente vers sa Parole. L'Ancien Testament ne connaîtra que les anges comme visualisation de la présence et de la Parole de Dieu.
Α l'incarnation du Fils de Dieu dans une chair semblable à la nôtre, Dieu devient visible par un corps humain. Le fait de l'incarnation, s'il a un sens actuel, concrétise et visibilise pour nous dans un être humain, Jésus, la présence du Dieu invisible. Si nous réfléchissons à notre manière d'imaginer Dieu, de nous le représenter quand nous prions, nous voyons apparaître le visage du Christ et cela est parfaitement légitime, conforme à l'intention de Dieu lorsqu'il s'est incarné pour être avec nous, Emmanuel. l'image de notre imagination n'est pas plus légitime que l'image concrète qu'un artiste peindra. Il se peut même qu'il y ait dans l'image liturgique, fidèle à la Bible et aux dogmes, un correctif heureux à l'imagination individuelle peut-être mal éclairée. En ce sens, l'image a un rôle d'assistance de la Parole de Dieu. Νοn seulement elle rappelle sa présence mais encore elle oriente vers sa Parole. Lors de la querelle des images dans l'Eglise aux VIIIe et IXe siècles, les orthodoxes favorables aux images ne défendaient pas l'art, mais bien le dogme de l'incarnation en toutes ses conséquences. Si l'Orient était très préoccupé par cette querelle, l'Occident l'était beaucoup moins. L'Orient chrétien a eu, et a encore une théologie de l'image, en relation avec le dogme de l'incarnation, tandis que l'Occident a toujours plus οu moins toléré les images comme la Bible des analphabètes, sans leur attribuer une vraie place théologique.
Mais si nous reconnaissons la légitimité de l'image comme conséquence de l'incarnation, quelle est sa relation avec l'Ecriture et avec les signes sacramentels, avec l'eucharistie, signe de la présence réelle du Christ, et qu'est-il permis à l'image de représenter? Si nous nous reportons aux apparitions du Christ ressuscité avant son ascension, nous allons comprendre qu'en redevenant invisible à nos yeux, il veut nous donner, avec le Saint-Esprit, diverses formes visibles de sa présence. Lorsqu'il apparaît aux disciples d'Emmaüs, il ne se fait pas reconnaître dans son humanité. Eux qui le connaissaient bien, le prennent pour un habitant de Jérusalem, bien ignorant des évènements terribles qui viennent de se produire: « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître» (Luc 24.16). Et Jésus, loin de les détromper immédiatement, «commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, leur interprète dans toutes les Ecritures ce qui le concerne» (Luc 24.27). Ιl aurait pu les rassurer et les consoler, affermir leur foi, en se montrant immédiatement comme le Ressuscité. Or il va devoir les quitter pour retourner au Père. Il veut leur donner une assurance et une consolation durables. C'est ainsi qu'il leur révèle l'Ecriture comme un signe de sa présence et de sa victoire. L'Ecriture est une forme de la présence du Christ après l'Ascension. Arrivé au village, il se met à table avec eux. «Or, une fois à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna»(Luc 24.30). Après leur avoir découvert le mystère de l'Ecriture, signe sensible de sa présence, il leur rappelle par la fraction du pain le repas de la sainte cène qu'il a institué comme sacrement de son corps et de son sang. L'eucharistie, Corps du Christ, est une autre forme de sa présence qui devra les assurer et les consoler dans leur foi. Alors, «leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent... mais il avait disparu de devant eux » (Luc 24.31). Et les disciples s'étonnent de leur incrédulité. Ils auraient dû Le reconnaître dans sa Parole comme ils l'ont reconnu dans le Sacrement. «Notre cœur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, quand il nous parlait en chemin et qu'il nous expliquait les Ecritures?... Et eux de raconter ce qui s'était passé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain (1)» (Luc 24.32, 35). L'Ecriture et l'eucharistie, deux formes différentes de la présence du Ressuscité pour les assurer et les consoler dans la foi par le Saint-Esprit.
Ailleurs, Marie-Madeleine prendra le Christ ressuscité pour le jardinier (Jean 20.15) et elle le reconnaîtra quand il dira son nom: «Marie!». Les disciples pêchant prendront Jésus pour un passant jusqu'à ce qu'il leur fasse accomplir la pêche miraculeuse: «C'est le Seigneur! s'écrie le disciple que Jésus aimait» (Jean 21.7). Ainsi le Ressuscité vient apparaître aux siens sous des formes humaines et ils ne le reconnaissent qu'à sa Parole οu sur un geste bien à lui. C'est comme si le Christ voulait accoutumer les disciples à le voir dans leur prochain, dans leurs frères, dans l'Eglise. L'Eglise, société des hommes attachés au Seigneur et reproduisant sa Parole et ses Gestes, est vraiment le Corps du Christ, signe de sa présence vivante. Ces signes visibles sont divers dans leur forme, dans leur efficacité, mais tous ils signalent la présence du Christ et la communiquent aux hommes.
Mais qu'avons-nοus besoin d'autres signes que la Parole, les Sacrements et l'Eglise du Christ? Ιl faut voir l'image comme une façon de communiquer la Parole de Dieu contenue dans l'Ecriture. Une image est une sorte de prédication, une belle écriture de la parole de Dieu. Mais pour cela, elle doit être fidèle à la Révélation. Une image du Christ, la représentation des événements bibliques, c'est une façon de prêcher et de transcrire la Parole de Dieu en même temps qu'une action de grâce par la beauté pour les merveilles de Dieu. Et cela n'est possible que par se que Dieu s'est rendu visible en Jésus-Christ. Cela est possible et même nécessaire, car le fait de l'incarnation conduit l'homme à «imaginer» Dieu et si cette image n'est qu'intérieure elle peut être trop individuelle. L'image liturgique, fidèle à l'Ecriture et à la piété de l'Eglise, corrigera cette «imagination» dans un sens plus biblique et plus communautaire, donc plus vrai. Ici nous sommes conduits à la nécessité d'une certaine règle dans l'image liturgique. Certes, il est permis à tout artiste de représenter le Christ et l'Evangile selon sa propre inspiration, mais lorsqu'il travaille pour le sanctuaire, pour la liturgie, il est normal et nécessaire qu'il se pénètre de l'Evangile, de la liturgie et de la tradition spirituelle de l'Eglise pour donner à sa libre inspiration une orientation, celle de l'adoration du Seigneur et du service de l'Eglise en prière.
L'Occident s'est moins préoccupé que l'Orient des règles de l'image liturgique. On ne peut qu'admirer le souci théologique des orthodoxes dans la peinture des icônes. L'icône représente à la fois le désir d'être conséquent avec le mystère de l'incarnation et celui d'être fidèle à la parole de Dieu.
Si l'image est une façon d'annoncer la Parole en adorant le Seigneur, elle participe aussi au mystère de la communion des saints. Elle est un moyen de rappeler la présence de toute l'Eglise et des anges dans la célébration eucharistique. L'icône d'un saint est un rappel de sa foi, de sa charité et de sa prière dans la grande communauté chrétienne universelle. Quoi de plus profondément ecclésial, quelle proclamation plus authentique du mystère de la communion des saints dans l'eucharistie, que toutes les icones des patriarches, des prophètes, des apôtres, des martyrs, de la Vierge Marie, de saint Jean-Baptiste, des anges et des saints, sur l'iconostase et les parois d'une église russe? Les icônes qui couvrent les murs de l'église du monastère orthodoxe de Mar Sabbas en Palestine, par exemple, sont une évocation puissante du Royaume de Dieu et situent la liturgie dans une perspective authentiquement eschatologique.
Après avoir considéré l'image dans sa relation avec le fait de l'incarnation, nous sommes amenés ici à l'envisager dans son rapport avec l'eschatologie.
Α la fin des temps le Christ reviendra dans la gloire et «chacun le verra, même ceux qui l'ont transpercé » (Αpoc. 1.7), alors se produira la résurrection de la chair et nous verrons « un ciel nouveau, une terre nouvelle» (Αpoc. 21.1). La Révélation nous présente le Royaume de Dieu comme une réalité concrète et visible, une Cité sainte, un Festin de noce... (Αpoc. 21.2, 19.9). Comme Dieu s'est rendu visible en son Fils incarné, il se montrera dans son Royaume pour l'éternité. L'Image liturgique nous oriente vers cette visibilité du Royaume, elle nous conduit à la contemplation du Christ, à son retour au milieu de tous les saints. L'image doit être une ouverture sur la Cité sainte, elle doit stimuler notre espérance en la résurrection de la chair. L'image liturgique, l'icône, est comme une fenêtre ouverte sur le ciel nouveau, sur la terre nouvelle. Ιl faut que l'on puisse voir comme au travers et au delà de l'icône la réalité encore invisible du Royaume. Cela implique
un certain style du dessin, un traitement de la couleur qu'il ne nous appartient pas de définir, mais les artistes liturgiques auront beaucoup à apprendre des icônes russes médiévales, même s'ils veulent et doivent être très modernes.
L'icône orientale, grâce aux règles théologiques imposées, offre le maximum de fidélité biblique et d'objectivité ecclésiale. La structure du dessin, les couleurs profondes; les ors donnent ce reflet d'incarnation et d'eschatologie indispensable à l'authentique image liturgique. L'icône plate d'autre part évite au maximum un certain «humanisme » que la statue entretient souvent dans la piété (2). Une vie intérieure nourrie par la Parole de Dieu, à l'aide d'icônes liturgiques authentiques, ne risque pas de dévier dans la sensiblerie ou la mièvrerie sulpicienne. Ici l'Occident n'a pas été souvent assez vigilant dans sa tolérance des images comme «bible des simples». Il s'est insuffisamment placé à un plan théologique pour accueillir l'image comme conséquence de l'incarnation et de l'eschalologie, plutôt que de la tolérer pour les foules qui en ont besoin. Aux périodes de purification on casse alors les statues οu on les relègue dans des chapelles. On n'a pas comme dans l'orthodoxie un critère qui permette d'éviter la dulie sensiblarde et mièvre des innombrables statues de sucre, comme également l'ardeur iconoclaste des périodes de purification qui ne veulent plus que le dessin au trait et les profils en fil de fer.
L'image liturgique n'est pas un tableau de famille posée sur un autel comme une photographie sur une commode de grand'mère. Elle doit avoir une réelle fonction liturgique. L'iconostase orthodoxe est composée selon des principes hiérarchiques et symboliques précis (3). Sans désirer l'établissement anachronique de l'iconostase en Occident, on pourrait souhaiter que les églises possèdent tout un «jeu » d'icônes correspondant aux différentes fêtes et temps de l'année. Selon la fête, les icônes correspondantes pourraient être disposées au regard des fidèles, dans la nef. Cela n'exclut pas bien entendu la fresque, la mosaïque et le vitrail, mais ceux-ci devraient représenter des thèmes essentiels et généraux de l'Evangile et des figures de saints selon une disposition symbolique et hiérarchique, comme l'iconostase. Cette «présentation s de l'icône de la fête sur un lutrin, comme dans les églises orthodoxes, donne à l'image liturgique une vraie fonction dans la célébration. Elle n'est pas là pour «faire joli» οu par ce qu'on la tolère pour les simples; elle est associée à la liturgie, comme une forme de prédication et d'adoration, comme un rappel de la présence et de l'actualité des mystères de la foi et de la charité des saints dans la prière.
Dieu s'est rendu visible en Jésus-Christ, le Fils incarné; il n'est pas possible de représenter le Père οu le Saint-Esprit. Les anges pourront évoquer la présence du Père et la colombe, ou le feu, celle du Saint-Esprit: c'est par ces intermédiaires que la Bible signifie leur présence(4). La personne du Christ et les événements de l'Ancien et du Nouveau Testament représentés sur les icônes rappellent la présence de Dieu qui s'est incarné, la présence et l'actualité des mystères de la foi. Ces icônes du Christ et des événements du salut sont en relation avec la Parole de Dieu lue et prêchée, une invitation à l'adoration du Seigneur pour les merveilles de son amour. Les icônes des saints, elles, rappellent la communion de l'Eglise avec tous les témoins et martyrs qui attendent la résurrection dans la vision céleste, et dont la prière et la charité sont un stimulant pour la ferveur des fidèles. Les images des saints sont en relation avec le mystère de l'Eglise universelle, présente dans la célébration eucharistique le Corps du Christ est ainsi rendu sensible par l'image.
Nous avons vu le sens de l'icône dans la liturgie comme une expression de la Parole et un symbole de la communion des saints dans le Corps du Christ, comme une invitation à l'adoration du Seigneur parmi les anges, les témoins et les martyrs de tous les temps... Il nous reste enfin à préciser le rapport théologique entre l'icône, la Parole et le Sacrement. Nous avons montré l'icône comme une expression de la Parole de Dieu, mais cela doit s'entendre dans un sens symbolique. L'image liturgique est une manière de copier l'Ecriture dans de beaux caractères artistiques, elle peut être une manière de prêcher, elle n'est de toute façon qu'un symbole, qu'une expression qui renvoie à l'original la Parole de Dieu contenue dans toute la Bible. Dans l'icône nous avons une interprétation qui se veut fidèle; dans l'Ecriture Sainte, nous avons la Parole de Dieu elle-même. L'icône est un symbole de la Parole de Dieu. L'idolâtrie consisterait précisément à s'arrêter à l'icône, à se laisser capter par elle, sans la dépasser pour contempler Dieu dans sa Parole. Nous avons montré l'icône comme un symbole de la présence de Dieu ; elle l'est au sens ou les chérubins du propitiatoire signalaient la présence de Yahvé dans le Temple et attiraient l'attention sur le Témoignage et la Parole vivante du Seigneur. «C'est du haut du propitiatoire, de l'espace compris entre les deux chérubins placés sur l'arche du Témoignage, que je te communiquerai les ordres destinés aux enfants d'Israël» (Ex. 25.22). C'est entre les icônes et bien au-delà d'elles qu'il faut chercher la présence du Seigneur, mais elles sont là comme des signaux qui désignent un espace, et cet espace est, pour l'Eglise, la Parole et le Sacrement. Si les images liturgiques sont des symboles qui signalent la Parole et la présence de Dieu, la Parole de l'Ecriture lue et prêchée est la Parole de Dieu, l'Eucharistie est la présence du Christ, de son Corps. Les icônes sont les chérubins d'or du propitiatoire, l'eucharistie est l'espace où il faut chercher la présence du Seigneur, l'Ecriture c'est le Témoignage de l'arche, et la Parole lue et prêchée à l'Eglise, c'est la communication des ordres du Seigneur aux enfants d'Israël. La liturgie eucharistique est par excellence la rencontre avec Dieu: «C'est là que je te rencontrerai» (Ex. 25.22). Nous avons montré les icônes des saints comme un symbole de la communion des membres de l'Eglise, Corps du Christ; ce rappel doit nous stimuler à rechercher la réalité de la communion des saints dans la communion au corps et au sang du Christ, dans l'eucharistie qui fortifie la communauté de l'Eglise, puis dans la charité qui fait de la vie chrétienne une constante eucharistie.
Nous avons compris l'art dans l'église comme une louange à Dieu en même temps qu'un rappel de ses merveilles. Les icônes nous sont apparues éminemment dans cette perspective du mémorial: un symbole de la Parole et de la présence du Seigneur, de la présence des saints, une invitation à l'adoration ; les icônes sont une louange à Dieu par le rappel de ses merveilles et, par leur beauté, elles signifient aussi l'actualité des mystères de la foi, des événements du salut qui plaident toujours en notre faveur dans l'unité du sacrifice rédempteur de la croix. Les icônes des saints signifient la louange et la supplication de l'Eglise (5). Elles signifient et orientent le mémorial de l'Eglise qui adore et prie son Seigneur, qui attend son retour. Elles signifient et orientent l'adoration et la prière, elles ne doivent point arrêter ou capter l'attention. Nous avons dit déjà que ce serait idolâtrie que de ne point envisager les icônes comme des fenêtres ouvertes sur le Royaume, conduisant le regard au-delà d'elles-mêmes vers le Seigneur dans sa Parole et dans l'eucharistie. Si le mémorial de l'icône peut-être un signe authentique de la louange et de la supplication de l'Eglise, il peut aussi, malgré le sujet évangélique représenté, devenir une idole à laquelle οn attribue une puissance magique ; le mémorial cesse alors, il n'est plus tourné vers le Seigneur, mais il s'arrête à l'icône elle-même et n'est plus que le faux mémorial d'une puissance interne à l'image, une louange et une supplication de l'image magique, de l'idole. Ιl est frappant de constater que le prophète Esaie, dans une élégie prophétique contre l'idolâtrie (Es. 57. 6-13) appelle «mémorial a une idole domestique placée contre la porte dans certaines maisons :«Derrière la porte et les linteaux tu as installé ton mémorial (Es. 57.8). Esaie emploie ici, pour désigner cette idole, ce mot important de zikkaron que nous avons vu employer tant de fois déjà pour signifier des actes liturgiques du peuple de Dieu. Le geste d'adoration et de supplication du Seigneur le plus authentique peut se corrompre et s'adresser à une idole. L'Eglise qui reconnait la valeur de l'icône liturgique comme une conséquence du fait de l'incarnation et dans la perspective eschatologique, doit veiller aussi, comme le Prophète, à ce que ce mémorial de la louange et de la supplication des fidèles ne devienne pas un écran, puis une idole.
NOTES
*Le Frère Μax Τhurian nous a obligeamment proposé de reproduire ici les pages qu'il a consacrées aux images dans son ouvrage l'Eucharistie, Neuchâtel-Paris, 1969, pp. 101-110.
1. - L'expression «fraction du pain» désigne explicitement la sainte cène pour saint Luc.
2. - Ιl faudrait préférer en général à la statue (sans l'exclure tout-à-fait) la figure sculptée faisant corps avec l'architecture.
3. - Philippe Schweinguat, Icônes russes, Ρlon, Ρaris, 1963, donne une description de l'ordonnance des icônes dans l'iconostase, en se basant sur la cathédrale de l'Annonciation au Kremlin (1405), la cathédrale du Réveil de la Mère de Dieu à Vladimir (1408) et le monastère de la Sainte Trinité à Moscou (1425). Andrei Rubliov, le célèbre moinepeintre a travaillé dans ces trois sanctuaires. Nous avons là un ordre type qui peut être plus simple selon les lieux ; mais toujours il représente une hiérarchie symbolique.
4. - L'icône de la Sainte Trinitét, peinte en 1425 par Andrei Rubliov pour le monastère de la Sainte Trinité à Moscou, est le type le plus achevé de l'icône représentant Dieu dans son mystère. L'artiste n'a pas eu la témérité de représenter la personne du Père ou de l'Esprit Saint. Les trois personnes de la Trinité sont discrètement évoquées par les trois anges qui visitèrent Abraham sous le chêne de Mamré (Gen. 18. Ι ss.) Le concile «des cent chapitres» de 1551 à Μoscou l'a citée comme modèle à juste titre. C'est un des chefs d'œuvres de l'art de l'icône. profondément religieux et parfaitement respectueux de la Parole de Dieu et de son mystère.
5. - La série principale des icônes de (iconostase orthodoxe, la «déesis», a exactement cette signification: la Vierge Marie, saint Jean-Baptiste, les archanges Michel et Gabriel, les apôtres Pierre et Paul.. tous ont une attitude de supplication devant le Christ sur son trône. Rappelons ici que les chérubins du sanctuaire devaient avoir «le visage tourné vers le propitiatoire» (Ex: 25.20). Ν'y a-t-il pas là une sage indication pour la disposition des images liturgiques des saints dans l'église? Les icônes des saints doivent indiquer une attitude d'adoration et orienter les fidèles vers l'autel.
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