image with the sign of Myriobiblos





Main Page | Library | Homage | Seminars | Book Reviews

ΕΛΛΗΝΙΚΑ | ENGLISH | FRANÇAIS | ESPAÑOL | ITALIANO | DEUTSCH

русский | ROMÂNESC | БЪЛГАРСКИ


LIBRARY
 


ΕΠΙΚΟΙΝΩΝIA

Κλάδος Διαδικτύου

SEARCH





FRENCH TEXT


Previous Page
Jean - Philippe Ramseyer

Decouverte de l'icone

Contacts, No 32, 1960


Il n'est pas question ici de dire ce qu'est l'icone, ni même de rechercher la place significative qu'elle pourrait occuper au sein de la chrétienté occidentale. Notre propos est plus modeste. Nous voudrions simplement essayer d'exprimer, en de brèves remarques, quelques impressions ressenties par un chrétien réformé devant des icones. Faisant abstraction de toute science (et pour cause!) nous nous sommes laissé aller à notre sentiment, risquant de confier à des mots maladroits le soin de traduire une émotion, une profonde vibration intérieure, et sans doute aussi une action de grâce.

Je regarde, je tourne lentement les pages de ces livres, de plus en plus nombreux, qui nous offrent des reproductions souvent admirables, je m'arrête devant d'humbles bois, tout noircis de la fumée des bougies, provenant de quelque obscure demeure de paysans russes οu grecs, je regarde... et il me vient une envie de me taire. Oui, c'est cela d'abord: aucun besoin de parler, d'expliquer, de se livrer à des considérations esthétiques οu même théologiques. Je sais bien qu'elles ont aussi leur place, importante, mais qui n'est pas la première. Qu'οn me pardonne, mais je commence par dire que je n'ai rien à dire. Le silence. Et, ce qui est si rare, si difficile à atteindre et à vivre: un silence plein, un silence habité, οù la méditation intérieure n'est pas nécessairement formulée mais οù elle est conduite, comme amenée jusqu'à la louange et à l'adoration du Dieu trois fois saint.

Et voici bien l'impression dominante qui me semble se dégager de la contemplation des icones: c'est une impression de mystère. Je dirais qu'elles «font mystère». Εn ce sens qu'elles expriment quelque chose de transcendant, qu'elles obligent à un certain dépassement, qu'elles ne détiennent pas en elles-mêmes la clé de leur secret. Mais en même temps elles nous livrent ce secret, elles le mettent en quelque sorte à notre portée, elles forcent à la fois à l'attention et au respect. Elles disent l'indicible, dans un surprenant langage mêlé d'audace et de discrétion, de choses exprimées et de choses suggérées. L'œil s'arrête en même temps que la vision se prolonge. Et, dans les meilleurs cas, à travers l'opacité de l'image, se fait jour une certaine transparence.

Comment dire cela autrement qu'en termes apparemment contradictoires? L'icone est à la fois révélation du mystère et révélation qu'il y a mystère. L'invisible s'offre à l'œil, mais pour signifier aussitôt qu'οn ne voit qu'avec les yeux de la foi. Nous touchons au miracle de l'incarnation. Et l'icone ne participe-t-elle pas, en quelque manière, à ce miracle?

Voilà sans doute pourquoi οn a envie de parler ici, nοn pas tellement d'art sacré que de liturgie. L'icone n'est pas là pour être regardée comme une œuvre d'art, quand bien même elle est aussi une œuvre d'art. Mais elle est d'abord «service public», service du culte. Le langage humain, qu'il soit verbal οu pictural, s'il veut exprimer le miracle de l'incarnation, doit nécessairement faire appel à un certain style. Par quoi il faut entendre une qualité d'expression qui évite et la trivialité et la sublimité et qui, sans trahir l'humain, respecte le divin. Voilà à quoi s'efforce la liturgie. Et ce n'est pas un hasard si le prologue du quatrième Evangile, et déjà le premier chapitre de la Genèse célèbrent le grand miracle précisément en un style liturgique. Et la voix des anges, les prodigieux chœurs célestes ne viennent-ils pas proclamer que l'humble naissance de l'Enfant dans la crêche est proprement un événement cosmique?

Devant les icones, je me sens entraîné vers quelque mystérieuse célébration liturgique. Je participe à une fête. Quelle fête? Sous tous ses multiples aspects, et jusqu'à travers la croix, oui c'est bien la fête de la réconciliation de l'homme avec Dieu, la joie du ciel sur la terre, la grâce du temps retrouvé et sanctifié.

L'art religieux occidental a rarement atteint à un tel style. Et, lorsqu'il y parvient, c'est alors, le plus souvent, qu'il s'apparente au style des icones byzantines. Le «Bambino Gesù» de la peinture italienne, la Sainte Vierge, le Christ en croix sont souvent l'occasion d'œuvres admirables,
devant lesquelles on peut ressentir les émotions esthétiques les plus profondes. Mais la plupart de ces tableaux ne nous conduisent pas jusqu'au seuil du mystère, sans doute par ce que la divinité du Christ y est comme absorbée par son humanité. Mieux vaut cela, il est vrai, que je ne sais quelle acrobatique sublimation de l'expression picturale. De toute façon, et en αucun sens, il ne faut tricher avec 1'incarnation. Le caractère religieux d'une œuvre ne tient du reste pas tant à son sujet qu'à la qualité de ses formes, qu'à ce que nous avons appelé son style liturgique. Et à cet égard, l'icone est exemplaire.

Ce style, je cherche à en percer le secret. Et si je m'en tiens à la surface -car, profondément, il est certain que la peinture d'icones s'alimente aux sources les plus vivantes de la foi et de la prière, la qualité des formes tenant à la qualité d'âme -je crois y découvrir une admirable combinaison de discipline et de liberté, de règles précises et de variété. Je songe à ces églises romanes de Bourgogne qui, à partir des mêmes structures fondamentales, s'épanouissent en de si pures diversités uniformes. La contrainte semble ici féconder le génie inventif. Quelque chose d'analogue se dégage des icones: une richesse d'invention dans les cadres les plus stricts, la gloire des ors, des couleurs et de l'ornementation dans l'acceptation de nécessités impérieuses, la liberté, voire parfois une certaine gratuite dans la soumission a des directives canoniques.

Et l'on reve alors d'expressions renouvelées, où l'art contemporain s'inscrirait dans la continuité historique où la liberté, loin d'exclure la fidélité, en deviendrait l'expression même. Mais pour assumer le risque de la nouveauté dans le respect des contraintes, pour vivre aujourd'hui sans manquer au passe et sans trahir l'espérance, il faut de grands artistes qui soient en même temps de grands croyants. Et il faut aussi les prières ferventes et obstinées de tous les chrétiens.
Previous Page