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Vlassios I. Pheidas

DROIT CANON - Une Perspective Orthodoxe

ANALECTA CHAMBESIANA 1 - Institut de Theologie Orthodoxe d'Etudes Superieures. Centre Orthodoxe du Patriarcat Oecumenique Chambesy, Geneve 1998.


I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON

3. Les Collections canoniques et la législation civile

b) Les Collections canoniques

La Sainte Ecriture (Ancien et Nouveau Testament), la Tradition sacrée (patristique, liturgique, sacramentelle, conciliaire, coutumière, etc.) et les saints canons constituent donc la source inépuisable et le critère diachronique pour la manifestation historique de la conscience ecclésiale à chaque lieu et à chaque époque. Cependant, alors que la Sainte Ecriture et la Tradition sacrée determinent surtout la source inépuisable, les saints canons présentent surtout le critère diachronique pour la fonction authentique de la conscience ecclésiale lors de l'adaptation du message chrétien aux besoins spirituels changeants de chaque époque. Les saints canons des Conciles œcuméniques et ceux parmi les Conciles locaux, qui ont été ratifiés par un Concile œcuménique, ont acquis force de loi, à savoir le caractère coercitif (obligatoire, impératif) des principes de droit, applicable non seulement à la constitution et au bon fonctionnement de chaque corps ecclesial local, mais aussi aux relations entre les Eglises locales à travers le monde.

Dans ce sens, les Conciles œcumeniques et les principaux Conciles locaux communiquent directement ïu indirectement aux Eglises locales toutes leurs décisions relatives à la fois à des questions de foi et à des problèmes d'ordre canonique qui préoccupent un certain nombre d'Eglises locales: par exemple, durant les trois premiers siècles, les questions concernant les hérésies (Gnosticisme, Montanisme etc.), les renégats (lapsi) durant les persécutions, la célébration commune de Pâques etc. Les Eglises locales, outre les livres de la Sainte Ecriture et les ouvrages des Pères de 1'Eglise (traités contre les hérésies, lettres etc.), accordent une grande importance aux décisions conciliaires; elles les considèrent comme des critères pour certifier la communion de foi et le lien de charité entre les Eglises locales et qu'elles les réunissent dans des Collections séparées contenant des documents conciliaires. Cette pratique ecclésiastique bien compréhensible, tirée de la littérature ecclésiastique tout entière des trois premiers siècles, se généralise à partir du Éer Concile œcumenique (325).

Ån effet, les decisions tant dogmatiques que canoniques deviennent obligatoires pour toutes les Eglises locales à travers le monde et imposent de régler, par voie conciliaire, les questions ecclésiastiques à la fois au niveau local (Synode de la province), et à l'échelon universel (Concile œcuménique). Cette nécessité devient encore plus impérieuse lorsque le corps ecclésial se divise entre partisans et détracteurs du Éer Concile œcuménique au cours des querelles ariennes (325-381), durant lesquelles les deux adversaires réunissent successivement leurs adeptes en plusieurs assemblées conciliaires pour exposer leurs positions ïu leurs propositions. Le dossier réunissant des documents ecclésiastiques d'origine diverse de chaque Eglise locale se constitue au fur et à mesure et forme une Collection importante (Synagogé) de documents conciliaires qui servent à chacun des opposants à defendre ses positions ïu ses propositions. Dans ce sens, au IVe siècle, ïn connaît le "Synodikon" de l'Eglise d'Alexandrie, attribué à saint Athanase (Synodikon de saint Athanase), ainsi que la "Synagogé de Conciles " du métropolite arianisant Sabinus d'Héraclée de Thrace pour les conciles des arianisants. D'autres Eglises locales, du moins les plus importantes, possèdent de pareilles Collections des décisions conciliaires, comme cela ressort du débat en la matière au cours du Concile de Carthage (419).

Ainsi, ce concile n'accepte pas le Synodique de l'Eglise de Rome sur les décisions canoniques du Éer Concile œcumenique de Nicée (325), parce qu'ïn a remarqué que le legat romain au synode invoquait des canons qui n'existaient pas parmi les canons de Nicée figurant dans le Synodique de l'Eglise de Carthage: "... c'est qu'en examinant les copies grecques de ce Concile de Nicée nous n'avons pu, je ne sais pour quelle raison, y trouver ce texte... Nous n 'avons point trouvé ce que Faustin, notre frère, a exposé ". Él s'agit des canons 3, 4 et 5 du Concile de Sardique (343) qui ont été ajoutés dans le Synodique de l'Eglise de Rome aux canons du Éer Concile œcuménique de Nicée. C'est pourquoi le concile prend unanimement la décision de demander à l'Eglise de Constantinople le "texte authentique"des décisions canoniques du Concile de Nicée, puisqu'ïn dit que le texte authentique du Concile de Nicee se trouve à Constantinople ", "mais aussi aux vénérables évêques d 'Alexandrie et d'Antioche, afin qu'ils nous envoient le texte de ce Concile accompagné de l'attestation de leur main, en sorte que toute contestation ultérieure soit évitée... ". Áu IVe Concile œcuménique (451), l'archidiacre Aetius cite une collection des canons, qu'il nomme Synodicon. Él est donc clair, que les "textes authentiques" se trouvaient dans les Synodiques des Eglises de Rome, de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Carthage et des autres grandes Eglises locales de l'epoque.

Cependant, l'Eglise n'exclue pas même la législation impèriale dans les matières ecclésiastiques ïu mixtes, quand celle-ci est plus ïu moins favorable à l'Eglise: le XVIe livre du Code théodosien est entièrement consacré aux matières ecclésiastiques, ainsi qu'un nombre considérable des Novelles de Justinien. Ainsi, la coordination des deux législations parallèles devient inèvitable. La reconnaissance par l'Etat de la supériorité de l'autorité des canons vis-à-vis de la législation civile, en cas de conflit des lois - reconnaissance établie par les Novelles VI,CIX,CXXXI et le reste de la législation promulguée par Justinien Éer (527-565) - rend nécessaire, d'une part, la collection officielle des canons conciliaires établis, d'autre part, l'harmonisation systématique des questions communes de la tradition canonique et de la législation civile. Le fameux ouvrage du juriste éminent, originaire d'Antioche et patriarche de Constantinople, Jean ÉÉÉ le Scholastique (562-577), intitulé "Synagogé des canons ecclésiastiques en 50 titres ", répond au premier besoin et devient une source fondamentale pour toutes les Collections postérieures d'Orient et pour les traductions latines d'Occident, comme la première traduction systèmatique latine des canons par Denys le Petit. Áu second besoin répondent les Nomocanons qui s'efforcent d'harmoniser par matières les ordonnances de la tradition canonique et de la legislation de Justinien.

La "Collectio LXXXVII capitulorum" de Jean le Scholastique codifie les ordonnances des Novelles de Justinien, alors que la "Collectio Tripartita" codifie thématiquement les ordonnances des Digestae, du Codex J. et des Novelles de Justinien. De la synthèse de ces ouvrages avec la Synagogè de Jean le Scholastique est issu le "Nomocanon en 50 titres", qui, à son tour, donne issu au "Nomocanon en 14 titres ", plus systématique. Ce dernier, bien qu'il fût élaboré au VIIe siècle, est attribué au patriarche Photius de Constantinople, car celui-ci participa à une nouvelle èlaboration au É×e siècle, alors qu'une élaboration encore plus récente est entreprise par le patriarche d'Antioche et canoniste Théodore Balsamon au cours des dernières décennies du ×ÉÉe siècle. De cette époque (VIIe siècle) datent aussi bien la Synopse, qui donne en abrégé le texte des canons, que le Nomocanon de Jean le Jeûneur, qui règle plutôt des questions pénitentielles. Le Nomocanon en 14 titres, la Synagogè de Jean le Scholastique, et la Synopse passent à tous les peuples orthodoxes (Russes, Serbes, Bulgares, Roumains etc), qui reçoivent la foi chrétienne par la mission byzantine. Ces collections byzantines sont à la base de la compilation russe (Kormtchaia Kniga) et des compilations roumaines (Pravila, mica; Codes de Basile le Loup et de Matthieu Bassarabe) etc.

Des Commentaires contenant des interprétations des canons des Conciles œcuméniques et locaux, réunis au cours des huits premiers siècles sont rédigés, au ×ÉÉe siècle, par les juristes et canonistes éminents Jean Zonaras, Théodore Balsamon et Alexios Aristinos, qui ont mis à contribution la tradition canonique établie jusqu'au ×ÉÉe siècle et la législation civile afférente pour fournir des Commentaires systematiques des canons et réfuter les interprétations arbitraires ïu abusives, avancées par les dignitaires de l'Eglise ïu de l'Etat.

Alexios Aristinos fait un excellent commentaire de la Synopse du VIIe siècle, alors que Théodore Balsamon élabore un commentaire au Nomocanon en 14 titres et ses Responsa aux questions canoniques du patriarche Marc d'Alexandrie. Le grand juge Constantin Harmenopoulos (XIVe siècle) élabore une Epitomè des saints canons et la célèbre collection des lois civiles en six livres (Hexabiblos), qui exerce une influence frappante sur tous les peuples orthodoxes jusqu'au ×É×e siècle. L'ouvrage intitulè "Constitution par élément" (Syntagma kata stoikheion) de l'érudit et canoniste illustre Matthieu Vlastaris présente une originalité significative dans organisation de la matière des canons. L'ouvrage, rédigé à Thessalonique au cours des premières décennies du XIVe siècle, suit 1'ordre alphabétique pour organiser la thématique et exploite avec succès le Nomocanon en 14 titres, les commentateurs plus anciens du Nomocanon et des canons et la littérature nomocanonique antérieure.

Durant la période post-byzantine le fameux Nomocanon du notaire du diocése métropolitain de Thèbes Manuel Malaxos (XVIe siècle), rédigé en langage soutenu (580 chapitres) et en version vulgarisée connaît une grande publicité aux temps difféciles de l'occupation ottomane. Cependant, pour la tradition canonique de la période post-byzantine, c'est le "Pédalion " ouvrage célèbre des moines Nicodème et Agapios qui est, comme nous le verrons, l'œuvre la plus importante (XVIIIe siècle). Él tente de dégager la tradition canonique en se basant sur un examen critique de la tradition manuscrite des saints canons, de l'interprétation de leur contenu et de leur justification théologique dans le contexte de la tradition patristique (Vl. J. Phidas, Byzance, Athènes 19974, p. 218-235).

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