image with the sign of Myriobiblos





Main Page | Library | Homage | Seminars | Book Reviews

ΕΛΛΗΝΙΚΑ | ENGLISH | FRANÇAIS | ESPAÑOL | ITALIANO | DEUTSCH

русский | ROMÂNESC | БЪЛГАРСКИ


LIBRARY
 


ΕΠΙΚΟΙΝΩΝIA

Κλάδος Διαδικτύου

SEARCH





FRENCH TEXT


Previous Page
Vlassios I. Pheidas

DROIT CANON - Une Perspective Orthodoxe

ANALECTA CHAMBESIANA 1 - Institut de Theologie Orthodoxe d'Etudes Superieures. Centre Orthodoxe du Patriarcat Oecumenique Chambesy, Geneve 1998.


I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON

3. Les Collections canoniques et la législation civile

a) Les relations entre l'Eglise et l'Etat

L'Eglise et l'Etat sont deux sociétés parfaites, qui ont chacune sa propre fin, ses moyens distincts pour realiser celle-ci et son indépendance constitutionnelle. L'Eglise est une institution d'ordre surnaturel, alors que l'Etat est une institution d'ordre naturel. La première est d'origine divine et se manifeste dans le monde comme une prolongation du Corps du Christ, dont tous les chrétiens deviennent membres par la participation à la vie sacramentelle de chaque Eglise locale, tandis que le second est d'origine civile et se fonde sur la nécessité sociale de l'homme, qui ne peut vivre autrement qu'en société et ne peut atteindre sa fin naturelle sans appartenir à une institution civile. La mission principale de l'Eglise est de manifester la volonté de Dieu dans le monde et de servir le salut de la personne humaine, en employant l'autorité reçue de son fondateur, Jésus Christ, et des moyens conformes à sa mission spirituelle. La mission de 1'Etat est d'assurer le bien commun de ses citoyens en leur garantissant la jouissance pacifique de leurs droits et en leur procurant des moyens nécessaires de réaliser leur bonheur terrestre.

Cependant, "la société politique n'a qu'une fonction de gouvernement, une fonction éducatrice; l'Eglise, elle, a une fonction maternelle de génération. C'est que la société civile n'a pas à constituer ses sujets: elle les trouve et les prend tels quels pour les aider à vivre en hommes; mais ils ont sans elle l'existence et la possession de leurs puissances d'homme. La société surnaturelle, au contraire, doit d'abord donner l'être et le pouvoir d'agir aux fils qu'elle engendre à

Dieu et à la vie selon Dieu: avant de les régir au nom du Christ dans ce royaume qu'elle commence d'être ici-bas, elle doit leur donner le jour, par cette nouvelle naissance de l'eau et de l'Esprit (Jn 3,5) dont le mystère et le sacrement résident en elle" (Õ Congar, Sainte Eglise, Paris 1964, p. 208).

Toutefois, les chrétiens sont simultanément membres de l'Eglise et sujets de l'Etat et c'est pourquoi ils doivent se soumettre à la fois à l'autorité de l'Eglise et à celle de l'Etat. Cette double dépendance des chrétiens explique leur soumission à l'autorité à la fois du pïuvoir ecclésiastique et du pouvoir civil, malgré la distinction arbitraire entre le "bien des âmes ", qui est au centre de la mission spirituelle de l'Eglise, et le "bien du corps ", qui est une préoccupation de la tâche de l'Etat. Cette distinction est qualifiée d'arbitraire, parce qu'aussi bien l'Eglise que l'Etat s'occupent simultanément de l'être humain tout entier, corps et âme, qui en sont les composantes fondamentales. C'est dans cet esprit que l'ecrivain inconnu de la lettre à Diognète (début du ÉÉÉe siècle) interpréte la position des chrétiens, dés les premiers siécles, sur cette expérience mystagogique aussi bien de l'afférmation et du dépassement des diverses divisions et distinctions du monde:

"Car les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements... Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun; ils se conforment aux usages locaux... tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle... Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s'acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère... Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l'emporte en perfection sur les lois... Ån un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L'âme est répandue dans tous les membres du corps comme les chrétiens dans les cités du monde. L'âme habite dans le corps et pourtant elle n'est pas du corps, comme les chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas du monde... L'âme est enfermée dans le corps: c'est elle pourtant qui maintient le corps... " (chap. V-VI).

Cette conscience claire des premiers chrétiens sur la relation entre l'Eglise et le monde découle de 1'enseignement de l'Ecriture Sainte et est développée de manière frappante dans la tradition patristique de l'Orient et de l'Occident dés les premiers siècles. Elle précise à un degré plus ïu moins grand la dialectique historique sur le rapport entre l'Eglise et l'Etat, que ce dernier ait une structure nationale ïu qu'il exprime une vision politique plus vaste. Cependant, durant les trois premiers siècles, l'autorité étatique ne reconnaît pas la legitimité d'existence de l'Eglise chrétienne dans le corps de l'empire romain. C'est pourquoi elle la persécute, la tolère parfois, mais ne l'aide jamais. Toutefois, à partir de 313, les empereurs romains favorisent l'Eglise, convoquent des Conciles œcuméniques et locaux et légifèrent pour des affaires ecclésiastiques; ils se considèrent comme "des évêques du dehors, assumant la responsabilité de veilIer à la discipline interne ".

Le Code théodosien (438) contient plusieurs décrets sur les affaires ecclésiastiques (XVI livre), tandis que Justinien Éer (527-565) développe systématiquement dans son Code et dans toute son œuvre législative (Corpus juris civilis) une tendance de coordination de la législation civile avec le droit canon de l'Eglise (les droits et les devoirs du clergé et des moines, l'administration des biens de l'Eglise et des monastères, etc.). Plusieurs de ses successeurs à l'autorité impériale suivent son exemple (Eclogè des Isauriens, le Procheiros Nomos, l'Epanagogè et les Basiliques de 1a dynastie des Macédoniens, les Novelles de plusieurs empereurs byzantins). Dans ce sens, la théologie politique de l'Eglise est reflétée dans les documents institutionnels fondamentaux de la période byzantine sur les rapports entre l'Eglise et l'Etat. La Novelle VI (535) promulguée par Justinien défénit avec clarté ce cadre institutionnel qui influença la théorie politique jusqu'aux temps modernes:- "Il existe chez les hommes deux grands dons de Dieu dispensés d'en haut par la miséricorde: le sacerdoce et la royauté; le premier (= le pouvoir sacerdotal) sert le sacré, l'autre (= le pouvoir royal) gouverne et s'occupe des choses humaines... Si le premier est irréprochable à tous égards et participe à lá fédélité due à Dieu, et si le second honore l'office qui lui á été conféé, il y aura entre les deux un bon accord et donnera áu genre humain tout ce qui est bon... Tout sera bien si les saints canons sont observés... .

Cependant, l'empereur Justinien est considéré tant en Occident qu'en Orient comme un de grands patrons du césaro-papisme, en raison de sa législation en matière ecclésiastique. Ån fait, il ne fond aucun césaro-papisme, puisqu'en conférant aux canons une autorité légale, ce n'est pas pour l'Eglise qu'il légifère, mais, áu contraire, pour l'Etat, car la tradition canonique n'est nullement altérée ni touchée par son insertion dans les Novelles impériales. L'empereur- théologien n'innove en rien la tradition canonique, qui garde son autonomie dans la vie de l'Eglise, mais il croit très utile de la rendre obligatoire même pour les autorités civiles. Le principe de "symphonie " comme norme des relations entre l'Eglise et l'Etat, âme et corps d'un même organisme, met fin aux tentatives antérieures de soumettre l'Eglise à l'Etat (Vl. J. Phidas, L'institution de la Pentarchie des patriarches; íïl. ÉÉ. Problèmes historico-canoniques concernant l'exercice de l'institution de la Pentarchie des patriarches (451- 553), Athènes 1970 (en grec), p. 161-178). Dans ce contexte, l'Åpánagogé ïu Introduction à la loi (É×e siècle) réaffirme cette base constitutionnelle des rapports entre l'Etat et l'Eglise: "L'Etat est constitué de parties et de membres, analogues à ceux de l'homme, dont les parties les plus grandes et les plus nécessaires sont le roi et le patriarche; donc la paix et le bonheur de l'âme et du corps des citoyens sont la conformité d'avis et l'accord en tout entre la royauté et le sacerdoce ".

L'esprit de cette dialectique est sous-jacent à tous les remous ïu les confrontations historiques postérieures entre Etat et Eglise, visant à tracer un contexte institutionnel de coopération admissible pour la prospérité et le progres spirituel des peuples chrétiens à travers le monde jusqu'à notre époque, bien entendu, ïù celui-ci fut contesté du point de vue théorique ïu idéologique. Les prémisses théoriques traditionnelles et leurs multiples applications au cours de l'histoire ont établi - dans le contexte du fonctionnement théocentrique ïu même sécularisé des idées politiques - une pratique stable de relations internationales entre peuples chrétiens. Le réalisme social de la foi chrètienne quant à la spiritualité personnelle de chaque citoyen et quant à la fonction institutionnelle de l'Etat détermine à toutes les époques les perspectives de l'autorité étatique dans ses rapports avec les nationalités et dans ses relations internationales.

L'influence incontestable - qu'exerce la conception ordonnée du christianisme à l'égard du monde et de la vie, englobant tous les domaines de la vie publique et privée des chrétiens - découle de l'enseignement sur la force salvatrice de l'intégration des fidèles au corps unique de l'Eglise, qui se réalise tout entier dans chaque lieu et qui se nourrit de la confession de foi et de l'expérience mystique communes. C'est ainsi qu'à partir du IVe siècle, la législation ecclésiastique s'harmonise avec la législation de l'empire romain, étant donné que le christianisme devient finalement la religion officielle du monde gréco-romain tant d'Orient que d'Occident. La convergence des deux législations semble nécessaire pour renforcer la cohésion politique, sociale et spirituelle de la chrétienté (Novelles de Justinien, VI, CIX, CXXXI, etc.).

Les rapports entre l'Eglise et l'Etat sont, ïn le sait, un sujet particulièrement délicat dans la tradition orthodoxe, qui les situe dans le contexte plus large des rapports de l'Eglise avec le monde. Les principes fondamentaux de la tradition orthodoxe découlent, d'une part, de l'enseignement ecclésiologique relatif à l'Eglise locale, d'autre part, áu choix pastoral de l'Eglise de servir la nation dans le contexte de sa mission spirituelle dans le monde. La théologie politique de l'Eglise orthodoxe a été façonnée sur le principe de la nette distinction, du parallélisme et de l'égalité entre l'autorité ecclésiastique et l'autorité civile. Elle a toujours fonctionné, malgré les vicissitudes historiques, en vertu du postula du respect mutuel, de la specificité et de l'indépendance de leur mission dans le monde. Les principes théoriques de la théologie politique de l'Eglise orthodoxe viennent de son enseignement sur le caractère strictement spirituel de sa mission dans le monde, qui façonne sa propre conscience et détermine son action moyennant le témoignage du plérome orthodoxe.

Certes, la laïcité de l'Etat moderne l'empêche de se montrer sensible au sujet de l'indépendance de la mission spirituelle de l'Eglise. Elle est, en effet, influencée de manière déterminante par les courants anticléricaux ïu antireligieux, latents ïu manifestes, des divers systèmes ideologiques qui nourrissent le rêve de voir l'Eglise perdre totalement ïu partiellement son influence sociale. Les dissensions auxquelles ïn s'attend dans les rapports entre l'Eglise et 1'Etat sont systématiquement attisées par le milieu de l'idéologie. Elles mettent à l'épreuve l'endurance des institutions ecclésiales face aux mécanismes de l'étatisme tout-puissant. Ce dernier nie ïu met en doute non seulement la liberté de l'Eglise, mais encore l'indépendance de sa mission dans la société moderne (Vl. J. Phidas, Byzance, Athenes 19974, p.143-156). La typologie donc traditionnelle de ces rapports (symphonie, césaro-papisme, separation), qui est le fruit de la théologie politique de l'Eglise a comme fondement la reconnaissance par l'Etat et par l'Eglise du principe des "deux pouvoirs ",l'eccléesiastique et le politique.

Selon ce principe, la question des rapports entre les deux entités se situe dans le contexte des rapports de l'Eglise avec le monde; les "deux pouvoirs" étant reconnus comme émanant de l'autorité divine. Contrairement à cette théorie, la science politique moderne, nïtamment celle développée aux siècles des Lumières et de l'Ideologie, propose, sur la base du principe de souveraineté populaire, le caractère autonome et primordial de l'autorité ecclésiastique. Ainsi, les rapports entre ces deux pouvoirs, dont chacun tire desormais sa légitimité d'une source différente, se posent sur une nouvelle base dictée habituellement par l'Etat tout-puissant, voire souvent absolutiste. Dans le nouveau cadre, seule l'Eglise continue à se référer aux schémas traditionnels, l'Etat n'acceptant plus comme critère absolu de son pouvoir que la volonté du peuple. Cependant, la foi religieuse est un droit fondamental de tout homme que l'Etat ne peut ignorer malgré ses préférences ïu ses choix. Reconnaître ce droit conduit, en dernière analyse, à reconnaître l'identité de fait de l'Eglise qui protège le droit du citoyen de pratiquer sa religion.

Toutefois, l'Eglise doit insister sur ses principes doctrinaux, en cherchant toujours à s'adapter de son mieux aux circonstances réelles et en proposant toujours aux Etats ne fût-ce qu'un minimum d'accord officiel sur les questions mixtes (éducation des jeunes, mariage des chrétiens, état civil des clercs, institutions et biens de l'Eglise, etc.). Ainsi, les rapports entre l'Eglise et l'Etat sont désormais formes non pas sur la base du principe de deux pouvoirs indépendants, mais sur celle du principe de la souveraineté populaire et des droits de l'homme. Él va donc de soi que dans ce nouveau contexte, il n'y a plus de correspondance - théorique ïu réelle- entre les positions traditionnelle et moderne, les modeles traditionnels de symphonie ïu de séparation étant interprétés uniquement selon le principe de la suprématie de l'Etat. Mais la force de résistance, dont l'Eglise a fait abondamment preuve au cours des siècles, défie les principes de la théorie moderne de la suprématie de l'Etat et pose à nouveau de manière dynamique le problème d'une symphonie et d'une collaboration de facto entre l'Eglise et l'Etat dans l'intérêt du peuple. Dans cet esprit, S.Bulgakov souligne que de nos jours la force de l'Eglise "ne vient pas du dehors ïu d'en haut, mais de l'interieur, de ses bases, du peuple. L'Eglise peut exercer son influence sur l'Etat par le chemin démocratique, mais il s'agit d'une democratie d'âmes ".

Ce nouvel esprit, qui découle de la laïcité constitutionnelle de l'Etat moderne, peut constituer une base réaliste pour surpasser la confrontation dialectique entre idéologie et religion afin de parvenir à une nouvelle synthèse, dont dépendra le renouveau des structures étatiques. La théologie politique orthodoxe envisage cependant avec sérénité les dissensions ïu les crises qui, périodiquement, perturbent les rapports entre l'Etat et l'Eglise. C'est la raison pour laquelle elle n'encourage pas les tendances enthousiastes, d'ïù qu'elles viennent, prônant la confrontation ouverte ïu la séparation d'avec l'autorité étatique. Cette théologie politique est intimement convaincue que César est la croix permanente que l'Eglise doit porter pour accomplir sa mission dans le monde et que.les divers systèmes qui règlent ses rapports avec l'Etat ne font que soulager, sans pour autant supprimer, le poids de cette croix. L'Eglise met donc dans la balance le poids de son propre témoignage pour critiquer les structures mêmes de l'étatisme contemporain. L'histoire a démontré la force de résistance de l'Eglise. Áu contraire, l'étatisme moderne n'a encore pas fait ses preuves dans l'éventualité d'une confrontation prolongée avec l'Eglise. Á noter que, dans le passé, c'était surtout l'Eglise qui se préoccupait d'entretenir de bons rapports avec l'Etat, tandis que, de nos jours, c'est l'Etat qui en est plutôt soucieux; et cela reste valable pour l'ensemble du monde chrétien...

Previous Page