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Vlassios I. Pheidas

DROIT CANON - Une Perspective Orthodoxe

ANALECTA CHAMBESIANA 1 - Institut de Theologie Orthodoxe d'Etudes Superieures. Centre Orthodoxe du Patriarcat Oecumenique Chambesy, Geneve 1998.



I. SOURCES, CONTENU ET ESPRIT DU DROIT CANON

1. Sainte Ecriture et Tradition sacrée

b) Droit coutumier et tradition liturgique

Les règles canoniques expriment la manière dont le corps ecclésial conçoit le bon fonctionnement des rapports entre ses membres dans la vie liturgique, sacramentelle et pastorale du corps ecclésial. L'Eucharistie est à la base aussi bien de l'expérience sacramentelle que de la mission pastorale de l'Eglise. Ån effet, la divine Liturgie est au centre de toute l'expérience de la foi orthodoxe. Pendant les trois premiers siècles, l'Eglise vit dans son expérience liturgique la plénitude de la tradition apostolique, mais cette expérience est plus ïu moins transmise par la voie coutumière. Ainsi, ïn la trouve dans la Didaché (entre 75-85), l'Epître de Clement de Rome aux Corinthiens (vers 95), les Epîtres d'Ignace d'Antioche (debut du ÉÉe siècle), les Apologies de Justin (milieu du ÉÉe siècle), les œuvres d'Irénée de Lyon (fin du ÉÉe siècle), la Tradition apostolique d'Hippolyte de Rome (debut du ÉÉÉe siècle), la Didascalie des apôtres (milieu du ÉÉÉe siècle), les Lettres synodales des Eglises locales du ÉÉe et du ÉÉÉe siècle), les Constitutions apostoliques (milieu du IVe siècle) etc.

Cette tradition coutumière devient alors pour la tradition canonique postérieure une source d'inspiration permanente, parce qu'elle reste toujours vivante dans l'expérience liturgique de l'Eglise. C'est pourquoi le droit canon accorde un rôle formel à la coutume ecclésiastique - acceptée explicitement ïu implicitement par la conscience ecclésiale-parce que celle-ci couvre d'une certaine manière la continuité de la vie ecclésiale dans l'espace et dans le temps, et devient la source par excellence des règles canoniques. Ainsi, par exemple, le canon 6 du Ier Concile œcuménique (325) ordonne "que l'ancienne coutume en usage... soit maintenue ", alors que le canon 2 du ÉÉe Concile œcumenique (381) prescrit que "les églises de Dieu, qui sont parmi les nations barbares, doivent être gouvernées selon la coutume établie du temps de nos Pères ". Dans cet esprit, saint Basile le Grand, dans son canon 91, souligne la grande importance de la coutume pour transmettre la foi apostolique et la tradition sacramentelle de l'Eglise, qui sont à la base de plusieurs canons des Conciles œcuméniques et locaux:

"Les vérités de foi et les predications catéchétiques que l'Eglise garde en dépôt, nous sont en partie parvenues par l'enseignement écrit, le reste nous l'avons reçu de la tradition apostolique transmise jusqu'à nous sous lá discipline de l'arcane; mais les unes et les autres ont lá même autorité en matière de foi, et personne, qui ait la moindre idée des institutions ecclésiastiques, n'oserait y contredire. Si en effet nous essayions de laisser de côté les traditions non-écrites, parce qu'elles n 'auraient point grande valeur, nous porterions, sans nous en apercevoir, atteinte à des points capitaux de l'Evangile, bien plus nous ne laisserions à la prédication catéchétique qu'un vain nom. Par exemple, pour ne mentionner tout d'abord qu'un point, le premier et le plus commun: le fait que se signent du signe de la croix ceux qui ont mis leur espérance dans le nom de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous l'á enseigné par ecrit? De nous tourner vers l'Orient pendant la prière, quelle proposition écrite nous l'á enseigné? Les paroles de l'invocation du Saint-Esprit pour la consécration du pain d'action de grâces et du calice de la bénédiction, quel saint nous les á-t-il laissées par écrit?

Ån effet, nous ne nous contentons pas de ce dont l'Apôtre ïu l'Evangile ont gardé le souvenir, mais nous faisons précéder et ajoutons autre chose, parce que nous estimons que cela á grande valeur pour le mystère eucharistique, l'ayant ainsi reçu de la tradition non-écrite. Nous récitons des priéres sur l'eau baptismale et l'huile de l'onction et de plus sur le candidat au baptême, d'après quel texte? Í'est pas d'après lá tradition arcane et secrète? Même plus: l'ïnction même de l'huile, quelle proposition écrite nous á appris à la faire? Et la triple immersion baptismale d 'ïù provient-elle? Et tout le reste qui se rapporte áu baptême, de renoncer à Satan et à ses messagers, de quelle écriture provient-i1? Í'est-ce pas de cet enseignement non public et secret, que nos Pères ont gardé en l'entourant

d'un silence à l'abri de toute curiosité et indiscretion, sachant bien par expérience que le caractère vénérable des sacrements est bien gardé par la discipline de l'arcane? Ån effet ce que les non-initiés ne devaient même pas soupçonner, était-il normal d'en rendre l'enseignement public en le mettant par écrit? "

Et peu après: "La raison d'être de la tradition non-écrite, c'est que la connaissance des propositions de la foi, exposées à des discussions, ne soit avilie par suite de l'accoutumance; or, la proposition de foi diffère de la prédication catéchétique, car les propositions de foi restent enveloppées de silence, le catéchisme est publié. Une sorte de silence est aussi le manque de clarté qu'emploie l'écriture pour rendre le sens des propositions de foi difficile à comprendre, en vue de l'utilité de ceux qui les lisent. De là vient que tous nous nous tournons vers l'Orient pendant la prière, mais nous sommes un petit nombre à savoir que nous cherchons par là l'antique patrie, le páradis. Et nous faisons nos prières debout le premier jour de la semaine, mais nous n'en connaissons pas tous la raison; car, ressuscités que nous sommes avec le Christ et obligés d'aspirer vers les choses célestes, nous ne rappelons pas seulement à notre esprit par la station debout pendant la prière la grâce, qui nous á été accordée en ce jour de résurrection, mais aussi que ce premier jour de la semaine semble être en quelque sorte l'image de l'éternité à venir; c'est justement parce qu'il est le debut des jours que Moïse dit à son sujet non pas "le premier jour", mais "un jour ". "Et ce fut, dit-il, le soir et ce fut le matin, un jour". Vu que ce jour revient à plusieurs reprises, il est en même temps un et huitième, manifestant par lui-même le jour vraiment un et huitième que le psalmiste rappelle dans l'inscription de certains psaumes, et qui représente par lui-même l'état qui suivra notre temps présent, ce jour sans fin, sans nuit, sans succession, l'éternité sans terme et toujours nouvelle. Il est donc nécessaire que l'Eglise enseigne à ses disciples de faire leurs prières en se tenant debout, afin que par le continuel rappel de la vie sans fin, nous ne négligions point les moyens d 'atteindre ce passage.

De même, toute la sainte cinquantaine des jours après Pâques est un rappel de la résurrection espérée. Car ce jour un et premier, multiplié sept fois par sept constitue les sept semaines de la sainte cinquantaine; commençant et fénissant par un elle déroule ce même un cinquante fois; elle imite ainsi l'éternité, commençant, comme dans un mouvement cyclique, au même point et terminée au même;pendant cette cinquantaine la coutume de l'Eglise nous á appris à préférer la station debout pour la prière, transportant pour ainsi dire notre esprit du présent à l'avenir par ce rappel manifeste. Par ailleurs chaque fois que nous nous plions les genoux et que nous nous relevons, nous démontrons en acte avoir été jetés à terre par notre péché et rappelés au ciel par la miséricorde de celui qui nous á créés. Le jour entier ne me suffirait pas pour exposer le sens caché des traditions non-écrites de l'Eglise. Je laisse tout le reste de côté; mais la profession même de la foi, de croire à un Père et un Fils et un Saint- Esprit, de quelle tradition écrite la tenons-nous? Si c'est par suite de la tradition baptismale, selon le principe de notre foi, de devoir croire ce en quoi nous avons été baptisés, que nous conformons notre profession à notre baptême, alors qu'ils nous permettent aussi de conformer notre doxologie à notre foi. Si cependant ils rejettent la forme de notre doxologie parce qu'elle n'est point contenue dans la tradition écrite, qu'iIs nous donnent les preuves par la tradition écrite de notre profession de foi et de tout ce que nous avons énuméré...".


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