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Jean Meyendorff

L'origine de la controverse palamite: la première lettre de Palamas à Akindynos

Théologia ΚΕ, Athènes 1954, p.603-613.


Chapitre 3

L'une des formules que Barlaam met ainsi en avant en tant que postulat commun aux Grecs et aux Latins, est l'expression de St Grégoire de Nazianze appliquant au Fils la qualité d'être «le principe, issu du principe» («ἡ ἐκ τῆς ἀρχῆς ἀρχὴ» (1). Il n'entend pas ainsi concilier les deux théologies, puisqu'il a lui - même montré qu'une telle conciliation était irréalisable, mais à inciter les Grecs à plus de tolérance à l'égard des Latins en leur rappelant qu'un Père de leur propre Église, auquel ils ont eux-mêmes assigné le titre de «Théologien», a employé quelques expressions susceptibles d'être considérées comme favorisant la thèse latine. Devant l'indignation qu'exprime Palamas au sujet de sa méthode, il essaie de démontrer dans sa réponse, d'une façon assez confuse, qu'en admettant avec Grégoire de Nazianze que le Fils est «principe issu du principe», on ne porte en aucune façon atteinte à la conception «monarchique» de la Trinité, tout en tenant compte formellement des principaux arguments latins en faveur de la procession de l'Esprit à partir du Fils (2).

La citation de St Grégoire aussi bien que les commentaires qui l'accompagnaient ont disparu des oeuvres antilatines de Barlaam : le Calabrais lui-même les a effacés en tant que «causes de scandale» (3) et Palamas s'en est sincèrement réjoui dans la lettre qu'il lui adressa par la suite. Mais son point de vue relativiste n'en fût aucunement modifié. Avant de partir en Avignon comme négociateur de l'union des églises, il présente de nouveau au synode de Constantinople un projet qui reprend la formule de St Grégoire de Nazianze et propose une union sur la base du relativisme théologique, puisqu' aucun des deux partis ne peut être convaincu par l'autre (4).

L’attitude adoptée par St Grégoire Palamas sur la question de la procession est différente. Elle est déterminée avant tout par une autre conception de la valeur du raisonnement théologique. Ce dernier peut et doit avoir une valeur absolue, donc «apodictique», dans la mesure où l'esprit humain peut être guidé par Dieu et entendre la Révélation qui lui est faite en Christ. Barlaam ne tient aucun compte dans sa dialectique de la grâce divine qui illumine l'esprit humain et qui le fait sortir du domaine naturel pour lui révéler une vérité vivante et absolue. Toute la pensée du Calabrais est donc encore dépendante
qui n'a pas reçu la grâce de la seconde partie de la lettre a Akindynos que nous publions: nous y voyons clairement comment cette controverse sur la méthode théologique entre dans le cadre de la lutte qui opposait les partisans et les adversaires de la sagesse profane et annonce toute la discussion postérieure sur la grâce et les énergies divines.

En ce qui concerne la doctrine latine de la procession du Saint-Esprit, elle apparaît à Palamas comme fausse et il n'admet aucun compromis sur l'essentiel. Ce n'est pourtant pas un esprit fermé : vers la fin de sa vie, il sera captivé par certains aspects de la Triadologie augustinienne — notamment l'explication «psychologique» de la Trinité — et il ne craindra pas, tout en continuant à rejeter la procession à partir du Fils, d'adopter certains points de vue latins qui lui paraissent suggestifs et acceptables (5). Son attitude, tout en étant négative et intransigeante envers ce qu'il considère comme l'erreur principale des Latins, est en même temps vivante et créatrice. Il faut reconnaître cependant que vers 1336, il fait montre d'un bien moins grande connaissance de la théologie latine que Barlaam et ce dernier a raison d'affirmer que certains de ses arguments purement négatifs ne peuvent avoir qu'une portée limitée auprès des occidentaux.

Dans sa lettre à Akindynos, St Grégoire donne tout d'abord un bref compte - rendu du contenu suspect du dernier ouvrage de Barlaam qu'on lui a apporté le jour de la Pentecôte : il insiste surtout sur la référence inadéquate à St Grégoire de Nazianze et à la doctrine de la consubstantialité des Personnes (6). On ne peut dire en effet que le Père et le Fils ne font qu'un dans l'acte de la procession, comme les trois Personnes ne font qu'un dans l'acte de la création, parce que l'Esprit lui - aussi participe à leur commune nature, donc à tout acte divin procédant de cette consubstantialité : c'est ainsi que l'Esprit est Créateur de même que le Père et le Fils, et il devrait être sa propre origine ou être l'origine d'une quatrième hypostase, si l'acte de faire procéder -l'Esprit était un attribut de la nature commune du Père et du Fils donc aussi de l'Esprit (7). Nous voyons ici apparaître l'élément majeur qui caractérise la conception orthodoxe de la Trinité par opposition à la doctrine latine: les caractères (ιδιώματα) de Dieu se rapportent soit aux Personnes, soit à l'Essence commune, mais ne peuvent être des propriétés de l'Essence en étant communes à deux Hypostases, sans se rapporter aussi à la troisième. Il en résulte que l'acte de faire procéder l'Esprit, si on considère qu'il appartient au Fils comme au Père, est soit essentiel, soit hypostatique : dans le premier cas, il doit aussi appartenir à l'Esprit, dans le second, l'Esprit a deux principes, ce qui détruit la Monarchie du Père au sein de la Trinité (8).

Palamas produit de nombreux arguments en faveur du point de vue grec, qu'il emprunte d'ailleurs textuellement à ses propres «λόγοι ἀποδεικτικοί». Il admet avec toute la tradition patristique et byzantine que le Fils est «principe, source et cause» de l'activité providentielle et sanctificatrice de l'Esprit dans le monde (9). Dans ses grands traités, il remarque tout d'abord que les Pères parlent de la procession de l'Esprit «de l'hypostase de Père» et «de la nature du Père et du Fils» (10) : en tant que Personne divine, l'Esprit procède éternellement de la seule Personne du Père, quant à l'activité de l'Esprit (ἐνέργεια), elle a la nature divine pour origine et on peut dire qu'elle procède aussi bien du Père et du Fils, que de l'Esprit lui—même, les trois hypostases ayant une commune essence et une unique volonté (11). C'est dans ce sens que Palamas interprète les passages de St Cyrille d'Alexandrie sur la procession de l'Esprit à partir du Père et du Fils, en démontrant par là, contre les ariens, les adoptionistes ou les nestoriens, la consubstantialité des Personnes et la communauté de leur nature (12). D'ailleurs, s'il s'agit dans ces passages de la manifestation de l'Esprit, il ne peut s'agir que de son «énergie» et non de son Hypostase, qui reste inaccessible «en tant que telle», c'est-à-dire dans son essence (13). La doctrine de Palamas se résume bien dans le passage suivant : «L'Esprit - Saint appartient au Christ en tant que Dieu par son essence et son énergie ; par son essence et son hypostase il lui appartient, mais n'en procède pas, tandis par son énergie, il lui appartient et en procède» (14).
Nous voyons donc que les deux adversaires défendent chacun de leur côté le personnalisme traditionnel en Orient dans la doctrine de la procession contre la doctrine occidentale qui, d'après eux, confond les propriétés des hypostases avec celles de l'essence. Dans l'interprétation du dogme, Palamas introduit sa théorie des énergies. Cependant, la question du «Filioque» ne joue dans les débuts de la controverse qu'un rôle occasionnel: elle ne fait que manifester une profonde différence dans la doctrine de la connaissance de Dieu.

Palamas rédige sa lettre dans sa retraite du Mont-Athos après avoir reçu l’ouvrage de Barlaam ( § I ) et l’envoie à JThéssalonique où Barlaam se_trouve également. Par l’intermédiaire d'Akindynos, il veut poser au Calabrais «quelques questions des plus nécessaires». Son correspondant s'est d'ailleurs lui aussi solidarisé sur un point avec Barlaam, puisqu'il considère comme impropre le titre d'«apodictiques» que Palamas a donné à ses traités contre les Latins (§ 13).

On peut ainsi prévoir déjà le parti que choisira Akindynos en fin de compte. La lettre est rédigée sur un ton nettement amical: il faut particulièrement remarquer l'éloge explicite que Palamas adresse à Barlaam, «qui a quitté sa patrie par amour pour la véritable piété» (§ 4). La lettre nous prouve donc la bonne réputation qu'avait Barlaam à Byzance et les relations amicales qui unissaient les protagonistes avant que des divergences doctrinales ne les aient séparés.

Notre document est divisé en deux parties bien distinctes: i) La critique de la position de Barlaam concernant la question de la procession du Saint-Esprit (§§2-7); cette partie est en grande partie constituée par des emprunts aux «Λόγοι ἀποδεικτικοί». 2) Une défense convaincue de la possibilité de «démontrer» des vérités théologiques (§§ 8-i4).

Le texte de la lettre a été établi sur la base du très bon manuscrit de Paris, le Coislinus 100 du XVe siècle, ayant autrefois appartenu à la Grande Laure du Mont-Athos (fol. 12v). Les folios de ce volume (C) sont indiqués en marge du texte (15). Ce manuscrit de base se rapproche du Matritensis 4802 (Iriarte, 77) ff. 89v-99v, datant également du XVe siècle (M). Les autres manuscrits qui ont été à notre portée-le Laud. 87, ff. 46v-51 (O) du XVe, le Lavra 1626, ff. 574-578, s. XV (L), ainsi que les copies tardives, le Athon. 4506 (Iviron 366), s. XVI, ff. I35-145v (I), le Lavra 1945, s. XVIII, ff. 7-13 (K) et l'Atheniensis 2092, s. XVII, ff. 52-59 (A) - semblent dépendre d'un autre prototype dont nous indiquons quelques variantes, d'ailleurs tout a fait secondaires (16}. La lettre se trouve également dans le Mosq. syn. 249, le Metoch. S. Crucis 421 et le Taurin, gr. 316, c.II, 18 que nous n' avons pu collationner. Il faut mentionner enfin que quelques courts extraits de la lettre ont été publiés, d'après le manuscrit K, par Porphyre Uspenskij dans son «Pervoe putesestvie v afonskie monastyri», I, i, Kiev, 1877, pp. 229-233 et dans le «Vostok Christianskij. Istoria Afona, III. Afon Monaseskij, II, St Petersbourg, 1892, p.247 (texte grec dans les «Opravdanija»).





Notes

1. Homélie XLV, 9 - PG XXXVI, 633 C; cf. lettre à Ak., § z.

2. Ed. Schiro, ASCL, 1935, fasc. I, pp. 64 - 77; 1936. fasc. I- II, pp. 80- 84.

3. Même lettre - ASCL, 1936, fasc. III - IV, p. 324. Le Calabrais que son relativisme théologique empêchait d'avoir des convictions très stables, reconnaît par ailleurs avoir plusieurs fois modifié le texte de ses traités (οἱ Λόγοι ἅπαξ καὶ δίς ὕστερον μεταβέβληνται—2e réponse à Palamas, Marc. gr. 332. fol. 125). Nous pouvons nous faire une idée de ces modifications, d'après celles que le P. Jugie a signalées dans la prière qui accompagne les traités antilatins du Calabrais (Inc.—Λόγε προάναρχε... ; éd. Schiro, ASCL, 1938, II, pp. 155 - 166). Dans cette prière, il admet la possibilité que l'Esprit procède du Fils et fait preuve d'une indécision évidente entre les deux doctrines adverses. Or, dans le Vatic, gr. mo, fol. 78v - 79, les passages de la prière où sont manifestées ces hésitations que Palamas relèvera par ailleurs avec indignation dans sa 2e «Triade pour la défense des hésychastes» (Coisl. 100, fol. 198v) sont grattés (Voir M. Jugie «Barlaam est - il né catholique?»—Echos d'Orient, XXXIX, 1940, pp. 122 - 123). C'est sous cette forme modifiée que nous trouvons la prière dans le Paris, gr. 1218, f. 529v.

4. Ed. C. Gianelli —«Un progetto di Barlaam per l'unione delle Chiese» — Miscellanea Giovanni Mercati, III — Studi e testi, 123, Città del Vaticano, 1946, p. 16753.

5. Κεφάλαια φυσικά, θεολογικά και ηθικά. — PG CL, 1144-1145• A notre connaissance, il est le seul théologien orthodoxe à avoir tenté une assimilation de la «théorie psychologique» à la théologie trinitaire orientale.

6. § 1-2.

7. § 2 - 4, 7. Cet argument est extrêmement courant dans la théologie byzantine depuis Photios (Myst. 6, 12, 17, 34-36, 46-47, 64 — PG CΙΙ, 288, 292, 296, 313-317. 324-325).

8. § 7.

9. § 5.

10. Οὐδεὶς οὐδέποτε τῶν ἀπ' αἰῶνος εὐσεβῶν θεολόγων ἐκ τῆς ὑποστάσεως εἶναι τοῦ Υἱοῦ τὸ Πνεῦμα εἶπεν, ἀλλ' ἐκ τῆς τοῦ Πατρός ὑποστάσεως ἐκ δὲ τῆς φύσεως τοῦ Υἱοῦ καὶ φυσικῶς εἶναι ἐξ αὐτοῦ εἴπερ τις φαίη, ἀλλ' ὡς μιᾶς καὶ τῆς αὐτῆς φύσεως οὔσης τοῦ Πατρός καὶ τοῦ Υἱοῦ...— Coisl. 100, fol. 57v.

11. Eἰ γὰρ κοινὸν ἀεὶ αὐτοῖς ὡς ἐξ αὐτῶν ἡ τοῦ Πνεύματος ἐκπόρευσις, ἐνέργεια ἄν τὸ Πνεῦμα εἴη μόνη.— Ibid., fol. 62V.

12. Coisl. loo, fol. s8v, etc.

13. [Τὸ Πνεῦμα] δι' Υἱοῦ καὶ ἐξ Υἱοῦ. . ἐκπορευόμενον, ἀλλ' ἡνίκα ληφθῆναι καὶ φανερωθῆναι ηὐδόκησε... οὐ γὰρ αὐτὴ καθ' ἑαυτὴν ἡ οὐσία καὶ ἡ ὑπόστασις φανεροῦταί ποτε τοῦ Θείου Πνεύματος.— fol. 62.

14. Τὸ Πνεῦμα τὸ ἅγιον τοῦ Χριστοῦ ἐστιν ὡς Θεοῦ καὶ κατ' οὐσίαν καὶ κατ' ἐνέργειαν, ἀλλὰ κατὰ μὲν τὴν οὐσίαν καὶ τὴν ὑπόστασιν αὐτοῦ ἐστιν, ἀλλ’ οὐκ ἐξ αὐτοῦ, κατὰ δὲ τὴν ἐνέργειαν καὶ αὐτοῦ ἐστι καὶ ἐξ αὐτοῦ — fol. 44ν.

15. Ce volume a été décrit très en détail par Montfaucon. La description est reproduite dans la PG CL, 833 - 838.

16. Nous tenons à remercier ici Monsieur Boris Bobrinskoy, chargé de cours à l'Institut de théologie orthodoxe de Paris, qui a bien voulu, lors de ses séjours à l’Athos collationner pour nous les manuscrits de la Sainte Montagne qui intéressaient la présente édition.

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