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Jean-Claude Larchet

La vie et l' oeuvre de Saint Nicolas de Jitcha

Conférence donnée à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, Paris, le 5 mars 2005, dans le cadre de la présentation du livre de Mgr Nicolas Vélimirovitch (Saint Nicolas de Jitcha), Prières sur le lac (éd. L’Age d’Homme, 2004).

I. LA VIE.

Nicolas Velimirović, le futur saint Nicolas de Jitcha et d’Ochrid, est né le 23 décembre (1) 1880, à Ćelije, un petit village situé à huit kilomètres de Valjevo, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Belgrade, dans une famille de modestes agriculteurs qui allait compter neuf enfants.

Baptisé au monastère de Ćelije, dont l’église était aussi, à cette époque, l’église paroissiale du village de Lelić, il reçut le nom de Nicolas en l’honneur du patron de la famille, qui était saint Nicolas de Myre.

À cette époque les monastères dispensaient un enseignement à la fois religieux et scolaire, et c’est au monastère de Ćelije, que l’enfant reçut sa première éducation. L’ambition de ses parents se limitait à ce qu’il reçût une instruction suffisante pour qu’il fût capable d’aider les autres villageois à rédiger leur correspondance avec l’administration, mais le « petit Nicolas » montra très rapidement un zèle au travail et des capacités intellectuelles exceptionnels, si bien que ses premières études achevées, son instituteur demanda à ses parents de lui permettre de poursuivre ses études au lycée de Valjevo.

Après avoir terminé brillamment sa sixième année de lycée, Nicolas passa un concours pour entrer à l’Académie militaire, mais la commission des médecins chargés du recrutement le recala, l’ayant jugé trop chétif. C’est alors qu’il s’inscrivit au séminaire Saint-Sava de Belgrade où il rencontra quelques difficultés en raison de son manque de talent pour le chant, mais où il fut par ailleurs un brillant étudiant tout au long de son cursus. Naturellement doué, mais aussi travailleur et persévérant, il ne se contentait pas des cours et des manuels scolaires, mais lisait les œuvres mêmes des grands auteurs. C’est ainsi qu’à l’âge de vingt-quatre ans, il avait déjà lu les œuvres de Njegoš, Shakespeare, Goethe, Voltaire, Victor Hugo, Nietzsche, Marx, Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski et bien d’autres.

Une fois ses études de théologie terminées, il exerça un temps la fonction d’instituteur, près de Valjevo et aidait en même temps le prêtre du lieu dans les travaux de la paroisse.

À cette époque, il contribua à la fondation et à la rédaction de la revue Le Messager chrétien (Hrišćanski vesnik).

En 1905, Nicolas, sur la recommandation des autorités ecclésiastiques, obtint une bourse du gouvernement afin de poursuivre ses études à l’étranger. Il les commença à la faculté de théologie vieille-catholique de Berne, et les poursuivit en Allemagne, en Angleterre et en Suisse, puis, plus tard, en Russie. Ces divers séjours lui permirent de lire et de parler sept langues étrangères, et d’acquérir une connaissance approfondie non seulement de la littérature et de la philosophie, mais encore de la mentalité européennes. C’est lors de ce cursus — en Angleterre surtout — qu’il étudia aussi la sagesse de l’Extrême-Orient et se plongea dans les livres religieux et philosophiques de l’Inde ancienne.
En 1908, alors qu’il était âgé de vingt-huit ans, ses études à Berne en Suisse furent couronnées par un doctorat en théologie, pour une thèse intitulée : La foi en la résurrection du Christ, dogmefondamental de l’Église apostolique.

Nicolas passa l’année suivante à Oxford, où il prépara un doctorat de philosophie, mais c’est à Genève et en français qu’il soutint sa thèse intitulée La philosophie de Berkeley.

En rentrant d’Europe, à l’automne 1909, il tomba gravement malade. Atteint de dysenterie, il fut hospitalisé pendant six semaines. Il fit alors le vœu, s’il guérissait, de s’engager au service de l’Église comme moine et comme prêtre. C’est ainsi que, le 20 décembre 1909 il reçut la tonsure monastique au monastère de Rakovica, et qu’il fut ordonné le même jour.

Peu de temps après, il reçut le titre d’archimandrite et, en 1910, il fut envoyé par le métropolite Srbija Dimitrije en Russie, où il passa un an, étudiant, mais aussi parcourant le pays et se familiarisant avec la vie du peuple et de l’Église russe.
Nommé en 1911 professeur assistant au séminaire Saint-Sava de Belgrade, il y enseigna la philosophie, la logique, la psychologie, l’histoire et les langues étrangères.
Doué pour la parole, le jeune archimandrite fit de brillantes homélies dans les églises, à Belgrade et dans toute la Serbie. Il donna également des conférences, notamment à l’Université de Kolarac. Parallèlement, il publia, dans des revues religieuses et littéraires, de nombreux articles, notamment sur Njegoš, Nietzsche, Shakespeare et Dostoïevski. En 1912, il publia une anthologie de ses homélies intitulée Sermons sous la montagne, dont il justifia ainsi le titre : « Le Christ a parlé sur la montagne ; j’ose parler seulement au pied de celle-ci. »
L’archimandrite Nicolas, devint alors célèbre non seulement à Belgrade et dans toute la Serbie, mais toutes les autres régions yougoslaves.

Quand la Serbie se trouva, de 1912 à 1918, engagée dans la guerre pour la libération et la réunification des peuples yougoslaves, il encouragea et réconforta le peuple dans ses combats et ses souffrances par des discours très écoutés, qui furent publiés en 1914 dans un recueil intitulé Par delà le péché et la mort. Il s’engagea aussi en tant que volontaire dans des actions humanitaires et soigna les victimes de la guerre ainsi que les malades. Il aida aussi les pauvres, notamment en cédant son salaire à l’État pendant toute la durée des hostilités.
Le hiéromoine Nicolas se trouva également engagé dans la vie politique de son pays lorsque le gouvernement serbe l’envoya en mission diplomatique pour défendre les intérêts nationaux, d’abord en Angleterre en 1914, puis aux États-Unis en 1915. Son intelligence, son éloquence, sa connaissance des langues étrangères, sa sagesse et sa popularité permirent à Nicolas de faire prendre conscience aux alliés occidentaux du calvaire de la Serbie. Tant aux États-Unis qu’en Angleterre, il tint de nombreux discours dans les églises, les universités et diverses autres institutions, se battant ainsi pour la survie et la réunification des Serbes et des Slaves du sud. En Angleterre, il publia deux opuscules de spiritualité : Les commandements du Seigneur et les Méditations sur le Notre-Père, et il reçut un doctorat honoris causa de l’Université de Cambridge. Aux États-Unis, dès le mois d’août 1915, lors du grand congrès de Chicago, il parvint à unir les membres de l’Église et à rallier à la cause yougoslave de nombreuses personnes, non seulement orthodoxes, mais aussi catholiques et protestantes, qui exprimèrent alors leur désir de contribuer à libérer la Serbie. De nombreux volontaires quittèrent alors l’Amérique pour rejoindre le front de Salonique. L’archimandrite Nicolas profita aussi de ce séjour aux États-Unis pour réunir des fonds destinés à venir en aide aux victimes de la guerre. Il fit part aussi, à cette époque, de sa volonté de réunir toutes les églises chrétiennes, et à partir de ce moment-là il se rapprocha de l’église anglicane en Angleterre et de l’église épiscopalienne aux États-Unis.
Au début de l’année 1916, il retourna en Angleterre où il décida de rester jusqu’à la fin de la guerre. Il dispensa un enseignement à Oxford et, en 1919, il reçut de l’Université de Glasgow un second doctorat honoris causa.

Le 12 mars de la même année, il fut informé qu’il était nommé évêque de Žiča. Il était alors âgé de trente-neuf ans. Il rejoignit aussitôt son diocèse, mais il n’y resta qu’un an puisque, à la fin de l’année 1920, dans le but de faciliter l’union de la Serbie et du Monténégro dans le cadre de la Yougoslavie naissante, il fut nommé par le Saint Synode évêque d’Ohrid et de Bitolj. En 1934, il devait être de nouveau nommé, à la demande du peuple et du synode des archiprêtres, évêque de ÆiËa, siège qu’il occupa jusqu’en 1941.

Tandis qu’il était évêque d’Ohrid, Monseigneur Nicolas se rendait chaque été au Mont-Athos, où il ne manquait pas d’aller rendre visite, au monastère russe de Saint-Panteleïmon, au moine Silouane (le futur saint Silouane de l’Athos) ; il était alors l’une des rares personnes à avoir perçu, derrière les apparences simples du Starets, son exceptionnelle stature spirituelle.

Sous l’influence du Mont-Athos, de ses relations avec le starets Silouane (qu’il considérait comme son « maître ») et de son contact étroit avec les œuvres des saints Pères — qu’il se mit à lire et à étudier beaucoup à cette époque — un changement intérieur profond s’opéra en lui, marqué par un recentrage sur l’Orthodoxie et une transformation personnelle qui purent être remarqués par tous.

Sur le plan des idées, Monseigneur Nicolas rejeta loin de lui ce qui, venant soit de l’Occident soit de l’Extrême-Orient, était étranger à la Tradition orthodoxe.
Sur le plan de son comportement, cette renaissance spirituelle intérieure se manifesta dans sa manière plus simple de parler, de se conduire, de s’habiller, mais aussi dans ses discours et ses écrits.

Monseigneur Artemije Radosavljević écrit à propos de « l’homme nouveau » que fut Monseigneur Nicolas à cette époque : « La gloire du monde ne représentait plus rien pour lui, les éloges des hommes étaient insipides, l’expression littéraire trop soignée lui semblait vide de sens, le raisonnement mondain n’était à ses yeux que misère et mendicité. Cela ne veut pas dire que Monseigneur Nicolas était devenu simpliste , mais qu’il s’était spiritualisé et simplifié. Pour lui les paroles du Christ : “Je suis la Voie, la Vérité et la Vie” (Jn 14, 6) devinrent tout. Il se détourna de tout pour se tourner vers le Christ et vers son peuple assoiffé de Dieu. Une renaissance véritable se produisit en lui, une nouvelle naissance et le début d’une vie sainte. Le Christ était pour lui le Dieu Vivant, qui lui avait permis de renaître en profondeur. De Nicolas le génie naquit Nicolas le saint. Et c’est justement ce qui attirait les gens, les regroupait autour de lui. Sans cette rupture, Nicolas n’aurait été peut-être qu’un grand génie isolé dans notre peuple. Mais il ne serait jamais devenu le nouveau Chrysostome serbe (2).C’est en tant qu’évêque d’Ohrid puis de Žiča que Monseigneur Nicolas développa sa pleine et véritable activité. Malgré de nombreuses missions à l’étranger et une intense production littéraire, il effectua, de 1920 à 1940 un immense travail pastoral.
Dans les années vingt, il contribua pour une grande part à la fondation d’un mouvement religieux laïc qui attira de nombreux jeunes gens, issus notamment de la paysannerie, la « Communauté orthodoxe populaire » encore appelé « Mouvement de prière à Dieu » (Bogomoljački Pokret), dont les membres impressionnaient par leur vie exemplaire et leur ferveur religieuse. Ce mouvement encouragea la lecture de la Bible, la pratique de la prière, la participation aux services liturgiques, la confession et la communion fréquentes ainsi que la traduction des textes liturgiques en langue serbe. Il contribua à un renouveau de la vie monastique qui impliqua la réouverture et la restauration de nombreux monastères.

Pendant toute la période où Monseigneur Nicolas fut évêque d’Ohrid, de Bitolj et de Žiča, fut entrepris dans ces diocèses, sous son impulsion, tout un travail de rénovation matérielle et institutionnelle. Il organisa la réfection de nombreux monastères détruits, abandonnés ou à moitié vides ainsi que de nombreux monuments. Il restaura et créa de nombreuses institutions et fondations de bienfaisance. Il vint en particulier en aide aux enfants pauvres, aux orphelins et aux écoliers d’origine modeste, sans distinction de race et de religion. Il créa à Bitolj, Kraljevo, Čačak, Gornji Milanovac et Kragujevac, des foyers où furent recueillis, juste avant la seconde guerre mondiale, plus de six cents enfants. Pour beaucoup d’enfants pauvres de Yougoslavie, il devint « l’oncle Nicolas ».
En outre, il donna un nouveau souffle à la vie spirituelle, liturgique et monastique et à toutes les pratiques caritatives bien au-delà des frontières de ses diocèses. Ses qualités personnelles, ses charismes spirituels, son don de la parole et son talent d’écrivain attirèrent de nombreuses personnes vers lui, et par lui vers l’Église. Un commentateur écrit : « Lorsqu’on veut apprécier l’œuvre de Nicolas Velimirović, il faut avoir aussi en vue l’influence incomparable qu’il a exercée sur ses contemporains. Il a été le guide spirituel, le phare, l’inspirateur. Sans exagération aucune, onpeut distinguer l’Église serbe avant et après Nicolas Velimirović. Avec lui, c’est une autre époque qui commence. Tout se passe comme si, grâce à lui, les Serbes avaient redécouvert la religion. Son magnétisme attira vers l’Église une élite intellectuelle, des théologiens de tout premier plan, comme Justin Popović [...] et tout une pléiade de jeunes. Simultanément, l’évêque Nicolas entraîna et canalisa les masses de fidèles qui, soudain, retrouvèrent une soif spirituelle immense. »

Entre 1921 et 1927, Monseigneur Nicolas fut souvent envoyé à l’étranger pour y accomplir des missions ecclésiales et nationales.

Il se rendit d’abord aux États-Unis en 1921. Le principal but de son voyage était de jeter les basesde l’Église orthodoxe serbe en Amérique. C’est ainsi qu’il fut nommé, pour une période de six mois, administrateur de l’évêché serbe américano-canadien nouvellement créé. C’est à son initiative que fut construit le monastère Saint-Sava à Libertyville. Pendant son séjour, il donna plus de cent cinquante homélies et conférences dans diverses églises et universités et il récolta des fonds pour les orphelinats qu’il avait fondés dans son diocèse.

Les années suivantes, il se rendit à Athènes, à Constantinople et au Mont-Athos.
Il retourna aux États-Unis en 1927 à l’invitation de diverses institutions, pour un séjour de six mois au cours duquel il donna de nouveau de nombreuses conférences dans les églises et les universités. Sur le chemin du retour, il s’arrêta une quinzaine de jours en Angleterre, où il annonça prophétiquement la venue de la seconde guerre mondiale.

En 1930, il participa à la Conférence panorthodoxe qui se tint au monastère Vatopaidi au Mont-Athos, où il fit entendre la voix de l’Orthodoxie, faisant émerger la Tradition de l’Église universelle au sein des traditions locales souvent marquées par des tendances nationalistes, « dans le but, dit-il, de présenter de manière claire et compréhensible aux chrétiens occidentaux la foi vraie et éternelle de l’Église une, catholique et apostolique ».

Il fut souvent présent aux Conférences pour la paix, aux rencontres internationales de l’Union chrétienne des jeunes dans le monde (YMCA) et aux nombreuses rencontres et conférences organisées par le mouvement œcuménique alors en plein développement.

À travers de nombreuses rencontres, il s’efforça aussi de maintenir de bons rapports avec les membres des Églises voisines et sœurs (en particulier grecque et bulgare), ainsi qu’avec les membres des autres confessions chrétiennes présentes dans la Yougoslavie d’avant-guerre.

Monseigneur Nicolas fut également conduit à s’engager dans certains épisodes de la vie politique de son temps. En 1937, il s’opposa avec succès au concordat imposé à l’Église par le gouvernement de Stojadinović et de Korosec, qui résultait d’un accord conclu avec le Vatican et faisait du paysune terre de mission pour l’Église latine. Il prit également part, aux côtés du patriarche Gabriel Dožić, au rejet du Pacte signé, le 25 mars 1941, avec l’Allemagne et l’Italie, par le gouvernement Cvetković, ce qui lui attira la sympathie du peuple et la haine des dirigeants allemands.

Il est étonnant de constater que, malgré la multiplicité de ses activités et de ses déplacements, Monseigneur Nicolas conserva pendant toute cette période une activité littéraire intense. De nombreuses œuvres importantes parurent entre 1920 et 1941 : Paroles sur l’homme universel (1920), Prières sur le lac (1922), Pensées sur le bien et le mal (1923), Nouveaux sermons sous la montagne (1923), Homélies pour les dimanches et jours de fête (1925), La foi des hommes cultivés (1928), Le Prologue d’Ohrid (1928), La guerre et la Bible (1931), Symboles et signaux (1932), Emmanuel (1937), Nomologie (1940), Le peuple serbe comme serviteur de Dieu (1941), Lettres missionnaires (1937-1941).

L’œuvre foisonnante de Monseigneur Nicolas fut interrompue par la Seconde guerre mondiale. Le 6 avril 1941, les troupes allemandes envahirent la Yougoslavie. À ce moment, Monseigneur Nicolas se trouvait au monastère de Žiča. L’occupant y envoya deux émissaires pour lui demander, « puisque le peuple l’écoutait », d’user de son influence en appelant les Serbes à se soumettre. Il refusa avec indignation cette proposition de collaboration, leur répondant : « Le peuple serbe ne m’écoute pas, car s’il m’avait écouté, vous ne seriez pas ici. »
Avec courage, il protesta publiquement contre les fusillades de Kraljevo et se mit d’emblée au service de la population victime de l’occupation, venant notamment en aide à de nombreux Juifs persécutés.

En raison de sa résistance à l’occupant et de l’audience dont il jouissait au sein du peuple, Monseigneur Nicolas fut arrêté le 12 juillet 1941, jour des saints apôtres Pierre et Paul. Selon les affirmations du général Ler, c’est Hitler lui-même qui aurait ordonné son arrestation. Conduit devant le général allemand, il refusa le siège qu’il lui proposait disant : « Je n’ai ni a parler ni à m’asseoir avec vous qui avez réduit mon peuple en esclavage. » Il fut aussitôt enfermé au monastère de Ljubostinja, puis transféré dans une prison au régime plus sévère, au monastère Vojlovica, près de Pančevo, où il fut incarcéré pendant près de trois ans avec le patriarche Gabriel.Monseigneur Nicolas évoque ainsi la façon dont il affronta l’épreuve de la captivité : « Étant prisonnier, vivant dans une cellule solitaire pour une longue période, je me suis d’abord révolté en esprit contre mon emprisonnement et mon incapacité d’agir en quoi que ce fût. En priant Dieu qu’Il m’éclairât et en lisant l’Évangile, je fixai mon attention sur les fréquents séjours du Christ au désert et sur ce qu’Il disait aux apôtres : “Venez à part dans un lieu solitaire.” Cela me fit comprendre ma position. Je compris qu’en prison j’étais déjà dans un désert, à l’écart du monde, isolé et seul avec mon Dieu. Je me dis : “Je suis ici non pour faire quelque chose mais pour être. Ce temps est pour moi la nuit et non le jour. Si toutes les activités extérieures me sont interdites, l’activité intérieure reste en mon pouvoir. Je peux surveiller mon esprit et mon cœur librement. Je peux pleurer, crier et prier. Dans cet isolement, je peux illuminer mon esprit et purifier mon cœur de toute crainte, peur et convoitise. Je peux implorer mon Seigneur Dieu de me guérir de toutes les insuffisances de mon âme et de me restaurer. » De cette époque datent une centurie spirituelle, toute centrée sur la valeur fondamentale de l’Évangile : la Centurie de Ljubostinja, deux textes qui sont des prières : Le canon de prière et la prière à la Très Sainte Vierge de Vojlovica et les Trois prières à l’ombre des baïonnettes allemandes.

Le 14 septembre 1944, les Allemands transférèrent Monseigneur Nicolas et le Patriarche Gabriel de Vojlovica au camp de concentration de Dachau, où ils restèrent internés presque jusqu’à la fin de la guerre. Cet enfer fut pour Monseigneur Nicolas le lieu d’une expérience mystique très profonde, qui alla jusqu’à la vision de Dieu et qu’il évoquait discrètement en ces termes : « Au camp, c’est ainsi : tu es assis dans un coin et tu te dis encore et encore : “Je suis poussière et cendre. Seigneur, prends mon âme !” Et soudain ton âme est élevée dans les Cieux et tu vois Dieu face à face. Mais tu ne peux pas le supporter et tu Lui dis : “Je ne suis pas prêt ! Fais-moi revenir en bas !” Et ainsi une fois de plus tu es assis là pendant des heures et des heures, répétant : “Je suis poussière, je suis cendres ; prends mon âme !” Et encore une fois, Dieu te saisit vers le haut !”

À la fin du mois de janvier 1945, Monseigneur Nicolas et le patriarche Gabriel furent amenés à Vienne, où les Allemands leur proposèrent de collaborer. Ils opposèrent un refus catégorique à ces propositions mais obtinrent cependant de pouvoir, accompagnés par des agents de la sécurité militaire allemande, se rendre pour une courte visite pastorale dans les camps de l’armée serbe réfugiée en Slovénie et en Italie. Tous deux furent finalement libérés le 8 mai 1945 par la 36e division américaine qui investit le camp de Dachau. Après qu’ils eurent erré quelque temps, comme des millions de réfugiés, sur les routes des pays occidentaux, le Patriarche Gabriel décida de rentrer en Serbie pour reprendre la direction de l’Église, tandis que Monseigneur Nicolas se résigna, comme des milliers de Serbes, à prendre le chemin de l’exil : il savait que s’il rentrait au pays, il serait, étant donné le prestige dont il jouissait, inévitablement réduit au silence par le régime communiste instauré par Tito. Après avoir tenté de séjourner en Angleterre, il se rendit aux États-Unis dans le courant de l’année 1946. Il était exténué par les épreuves subies au cours des dernières années et par son errance des derniers mois et, à partir de ce moment, il fut souvent malade.

Il retrouva cependant la force de poursuivre son travail missionnaire et ecclésial. Il sillonna les États-Unis et le Canada, encourageant les faibles, réconciliant ceux qui étaient brouillés et propageant la foi. Tous les orthodoxes et les autres chrétiens d’Amérique du Nord avaient une haute estime pour son travail pastoral, et le considéraient comme faisant partie, comme le disait le Père Alexandre Schmemann, des « apôtres et missionnaires du Nouveau Continent ».
En juin 1946, Monseigneur Nicolas reçut un doctorat honoris causa de l’Université de Columbia. De 1946 à 1949, il enseigna au séminaire serbe du monastère Saint-Sava à Libertyville, près de Chicago. Il donna également des cours à l’Institut Saint-Vladimir à Crestwood et au séminaire russe de la Sainte-Trinité à Jordanville. Évoquant son passage à Saint-Vladimir, le Père Alexandre Schmemann, doyen de l’Institut, écrivait : « Il y a peu d’événements dans la vie et l’activité de notre Faculté que nous nous rappelions avec autant de joie et de gratitude que l’aide que nous avons reçue de Monseigneur Nicolas, d’éternelle mémoire. Nous savions que Dieu nous avait donné le privilège d’être en compagnie du plus éminent hiérarque orthodoxe du XXe siècle. Monseigneur Nicolas n’était pas seulement un grand Serbe. Il est, pour tous les Orthodoxes, l’expression de la spiritualité orthodoxe. »

À partir de 1951, Monseigneur Nicolas occupa au séminaire du monastère Saint-Tikhon à South Canan (Pennsylvanie) les fonctions de professeur (enseignant désormais uniquement en anglais) puis de doyen et de recteur.
C’est au monastère Saint-Tikhon à South Canan, dans la modeste chambre qu’il occupait, que Monseigneur Nicolas s’endormit dans le Seigneur, le dimanche 5 mars 1956 au petit matin, alors qu’il venait de se lever, était à genoux en prière, et s’apprêtait à célébrer la divine Liturgie.

Ses obsèques furent célébrés à la cathédrale Saint-Sava de la ville de New York, puis son corps fut transféré au monastère de Saint-Sava à Libertyville. On l’ensevelit près de l’autel de l’église, en présence de nombreux fidèles orthodoxes.
À l’annonce de sa mort, les cloches de nombreux monastères et églises retentirent en Serbie, et des pannychides et des offices à sa mémoire furent célébrés pendant quarante jours. La dernière volonté de Monseigneur Nicolas était d’être enterré dans sa chère « patrie », « là où il avait appris l’alphabet », c’est-à-dire au monastère Ćelije près de Lelić, son village bien-aimé.

Le Père Justin Popović fut le premier en Serbie à parler publiquement de Monseigneur Nicolas comme d’un saint, en particulier lors des pannychides annuelles célébrées à Lelić, tandis quel’évêque de l’Église russe hors-frontières aux États-Unis, Monseigneur Jean Maximovitch, l’appelait, déjà en 1958, « le Chrysostome de notre époque, un grand homme saint et un Maître universel de l’Orthodoxie ».

La vénération croissante du peuple serbe à l’égard de Monseigneur Nicolas amena l’Église serbe à adresser au Gouvernement américain une demande pour que ses reliques fussent rapatriées en Serbie. Celles-ci furent transférées le 3 mai 1991 et accueillies à l’aéroport de Belgrade par Sa Sainteté le patriarche Paul et de nombreux évêques, prêtres, moines, ainsi que par le peuple. Un accueil semblable, en présence d’un nombre plus grand de fidèles, eut lieu en l’église Saint-Sava à Belgrade (du 3 au 5 mai), puis au monastère de Žiča (du 5 au 12 mai). De là les reliques de Monseigneur Nicolas furent transférées à Lelić, son village natal et déposées en son église, où elles reposent aujourd’hui.
Le 18 décembre 2002, la veille de la Saint-Nicolas, les reliques de Monseigneur Nicolas furent de nouveau transférées à Žiča, où une foule immense vint se recueillir et lui rendre hommage jusqu’au jour de la Saint Étienne (le 09 janvier 2003).

Ce transfert se fit à l’occasion d’une série de célébrations à la mémoire de Monseigneur Nicolas, organisées au monastère de Žiča et à Kraljevo. L’un des moments forts de ces célébrations fut un symposium international organisé par Monseigneur Athanase Jevtić, et auquel participèrent douze métropolites et évêques, de nombreux higoumènes, moines, moniales et représentants du clergé, ainsi que diverses personnalités venues de toutes les régions de l’ex-Yougoslavie, mais aussi des États-Unis, de Russie, de France, de Géorgie et de Palestine. Vingt-cinq communications présentèrent divers aspects de la vie, de la personnalité et de l’œuvre de Monseigneur Nicolas. Les principales d’entre elles ont été réunies dans un très beau volume commémoratif (3),, comportant par ailleurs une biographie de Monseigneur Nicolas, plusieurs de ses œuvres, des documents et des témoignages le concernant, de nombreuses photos ainsi que les reproductions de la plupart des icônes et fresques répandues à travers le monde qui le représentent.

À la fin de ce symposium, des voix s’élevèrent pour exprimer le souhait que Monseigneur Nicolas soit officiellement canonisé et que sa sainteté soit ainsi proclamée au sein de l’Église orthodoxe universelle.

Considérant le fait que Monseigneur Nicolas était depuis plusieurs décennies vénéré par tout le clergé et tout le peuple comme un saint dans l’Église serbe, que des icônes le représentant ont été répandues partout dans le monde et qu’ont été enregistrés depuis son décès de nombreux témoignages de miracles accomplis par lui, l’Assemblée de l’épiscopat de l’Église serbe, le 19 mai 2003, proclama officiellement sa sainteté, inscrivant son nom au calendrier en date du 5 mars, jour de son décès, et du 20 avril, jour du transfert de ses reliques des États-Unis en Serbie. La cérémonie solennelle de canonisation eut lieu le 24 mai en la cathédrale Saint-Sava à Belgrade, au cours d’une liturgie eucharistique célébrée par le patriarche Paul et à laquelle participèrent tous les métropolites et évêques de l’Église serbe.

Tous purent alors répéter solennellement les paroles que le Père Justin Popović prononça lors du cinquième anniversaire de la mort de Monseigneur Nicolas : « Merci Seigneur, en lui nous avons un nouvel apôtre ! Merci Seigneur, en lui nous avons un nouvel évangéliste ! Merci Seigneur, en lui nous avons un nouveau confesseur ! Merci Seigneur, en lui nous avons un nouveau martyr ! Merci Seigneur, en lui nous avons un nouveau saint ! »


II. LES ŒUVRES DE MONSEIGNEUR NICOLAS

Monseigneur Nicolas Velimirović fut un écrivain prolifique. Ses œuvres, qui n’ont pas encore toutes été réunies pour une édition complète, occupent néanmoins treize volumes dans la première édition, réalisée entre 1976 et 1986 par Monseigneur Lavrentije à Himmelstür (Allemagne) et vingttrois volumes dans une seconde édition (plus complète mais ne comportant néanmoins toujours quedes œuvres choisies), réalisée par les Éditions Glas Crkve à Valjevo de 1996 à 2000.

Ces œuvres peuvent être réparties en six genres : des essais (littéraires et philosophiques, historiques, éthiques, théologiques et spirituels), des centuries spirituelles, des vies de saints, des prières, des œuvres catéchétiques, des homélies, des œuvres exégétiques et des lettres, certaines œuvres appartenant cependant à plusieurs genres à la fois.

Les écrits de Monseigneur Nicolas frappent immédiatement par la grande qualité littéraire de leur style. Ce style, qui fait un usage abondant d’images et de métaphores, est empreint d’une grande beauté et véhicule une émotion communicative, d’ordre spirituel et non sentimental. Monseigneur Jean Maximovitch a qualifié Monseigneur Nicolas de « nouveau Chrysostome » (nom qui signifie en grec « bouche d’or » et qui fut donné à saint Jean Chrysostome en raison de la beauté de son style), et c’est ainsi que Monseigneur Artemije Radosavljević a intitulé la première biographie qu’il lui a consacrée : Un Chrysostome serbe. C’est sous cette appellation de « Chrysostome serbe » qu’il est aujourd’hui couramment désigné.

Monseigneur Nicolas avait sans aucun doute le talent d’un authentique poète.
Son style est souvent lyrique, mais il est en même temps d’une grande sobriété, c’est-à-dire exempt de fioritures inutiles. Le fait qu’il use abondamment de métaphores ne l’empêche pas d’être d’un très grand réalisme spirituel. Même lorsqu’il aborde des sujets difficiles — par exemple d’ordre dogmatique — il reste clair et simple, sachant se mettre à la portée d’un grand nombre d’auditeurs ou de lecteurs, et cela même si sa langue est recherchée et utilise volontiers des archaïsmes ou des néologismes.

Son grand pouvoir de séduction et la force magnétique qu’il exerce ne tiennent cependant pas seulement à ses qualités formelles.
Les écrits de Monseigneur Nicolas témoignent d’une expérience spirituelle intérieure très profonde et d’une vie mystique très élevée. Leur force de conviction tient avant tout à leur lien immédiat avec l’expérience spirituelle personnelle de leur auteur et au fait qu’ils sont imprégnés de la grâce de l’Esprit Saint qui l’habitait.

Ils prennent très souvent la forme d’une prière ou d’une méditation spirituelle contemplative, parce que l’inspiration de Monseigneur Nicolas est visiblement liée à un état de prière permanent et à un sentiment constant de la présence de Dieu. Le Père Justin Popović écrit à ce sujet : « Il pense à travers la prière, il philosophe à travers la prière. C’est à travers la prière qu’il sent Dieu, et à travers la prière qu’il sent toute la création. il est avec toute chose dans une relation de prière. L’orthodoxie et seulement elle peut mener à cela. L’âme tout entière se rassemble dans la prière, car la prière est le seul guide à l’œil aiguisé de l’esprit, du cœur et de la volonté. »
Les écrits de Monseigneur Nicolas laissent aussi transparaître les vertus spirituelles de leur auteur, en particulier son esprit de pénitence, son humilité et son amour pour Dieu et pour tous les hommes. Le Père Justin Popović parlait à leur sujet d’un « style somptueux rempli de grâce » et notait : « Il parle comme aucun d’entre nous n’a jamais parlé. Il a le don des mots parce qu’il a le don du sentiment total, le don de la compassion, le don de l’amour total, le don de la prière ».

Les écrits de Monseigneur Nicolas sont d’autre part profondément ancrés dans la Sainte Écriture et en sont, comme ceux des Pères, constamment imprégnés. N’en témoignent pas seulement les citations directes ou les nombreuses allusions, mais le fait que le style même de Monseigneur Nicolas est très proche de celui des auteurs inspirés des Écritures. C’est pour cela – et pas seulement à cause de son œuvre pastorale – que le Père Justin Popović le qualifiait de « treizième apôtre » et de « cinquième évangéliste ».

Ses écrits sont aussi profondément ancrés dans la Tradition patristique, ce qui se remarque moins au fait que Monseigneur Nicolas se réfère aux Pères ou les cite qu’au fait qu’il vit, pense et s’exprime lui-même à la manière des Pères. « On sent, écrit le Père Justin Popović, que les âmes lumineuses des grands ascètes orthodoxes, parlent à travers lui. »

Ce double ancrage, scripturaire et patristique, des écrits de Monseigneur Nicolas et leur lien direct à une expérience spirituelle profondément vécue, les apparente sans aucun doute à ceux des plus grands Pères, et les rend très proches de ceux d’un saint Maxime le Confesseur, d’un saint Isaac le Syrien ou, comme le notait le Père Justin Popović, d’un saint Syméon le Nouveau Théologien.

On trouvera une biographie plus développée, une évocation de la personnalité spirituelle de Mgr Nicolas et une présentation détaillée de ses œuvres dans l’introduction à son livre Prières sur le lac, paru en 2004 aux éditions L’Age d’Homme dans une traduction de Zorica Terzic.
De Mgr Nicolas Vélimirovitch, les éditions L’Age d’Homme ont également publié : Théodule (trad. de J.-L. Palierne, 1999), Vie de saint Sava (trad. de Ljubomir Mihailovic, 2001), Cassienne (trad. de J.-L. Palierne, 2e éd., 2003).





Notes

1. Selon le calendrier julien ; 5 janvier 1881 selon le calendrier grégorien.

2. Vie de saint Nicolas, évêque d’Ohrid et de Žiča, Monastère de Žiča, 2003 (en serbe).

3. Éveque Athanase Jevtic (éd.), Le saint évêque Nicolas d’Ohrid et de Žiča, Žiča et Kraljevo, 2003, 575 p. (en serbe).

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