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T. R. Archipretre E. Kovalevsky Le mystère de la Mère de Dieu Institut de Theologie Orthodoxe Saint-Denys DEUXIEME
LEÇON quelle
est Celle qui sort du désert?
L'Eglise
se sert pour chanter l'Assomption de Marie des textes du Cantiaue des
Cantiques: ils peuvent illustrer nοn seulement la fête triomphale de la
Vierge mais, comme je le disais déjà, la maternité-virginité de l'éternel
féminin. Voici
une de ces antiennes : "Quelle
est celle-ci qui sort du désert, couverte de riches étoffes, appuyée
sur son Bien Aimé ?" Quelle
est celle-ci qui sort du désert, couverte de riches étoffes ?" Il
me faut introduire ici la distinction entre deux maternités: terre et
Eve. "Qui
sort du désert" a deux sens. Le
désert est le chaos primitif, la matière vivifiée et sèche, comme dira
Saint Irénée, matière primordiale,
appelée à être formée,
déifiée à la fin des temps mais encore déserte. Certains
affirment qu'il n'y a pas de vie dans la lune, d'autres qu'il n'y a pas
encore de vie. Admettons.
ImagineL-le comme une faible approximation de cette proto-matière dépοurvue
de vie biologique et minérale, sans parler de vie animale ou spirituelle,
ce désert informe, à peine éclos -comme ceci,
comme quelque chose, comme
potentialité- du rien. Le
désert a un sens deuxième: iI représente aussi une étape, celle de la
chute; ce "quelque chose", cette potentialité, devenus jardins
florissants sont
retombés à. l'état de désert, semblables
au Sahara qui fut autrefois une terre fertile -οn y trouve des vestiges
de fécondité- et que l'absence-d'eau οu diverses circonstances ont
recouvert d'aridité. Stérilité produite par une chute,
comparable à une femme
âgée dont la source de vie
s'est tarie. "Désert"
évoque donc la matière
primordiale et le monde issu d'Eve. Ne perdons jamais de vue ces deux étapes,
un seul mοt saisit et la création
et la chut; dans la création, ce n'est pas encore, dans
la chute, ce n'est
plus. Nous verrons
qu'après Marie, c'est encore:
" la restauration! "Quelle
est celle-ci qui sort du désert,
couverte de riches étoffes?" nous donne l'explication de la
destinée du nonde dans la Pensée divine.
Le monde, nous dit la Bible, a été créé chaotique, matiére,
quelque chose et c'est précisément de cela que s'élève la beauté.
couverte
de riches étoffes
"Quelle
est celle-ci qui sort du désert, couverte de riches étoffes? "nous
découvre le sens cosmique dans la Pensée divine, c'est l'embellissement,
un travail progressif pour atteindre la beauté définitive.
L'existence et l'utilité ne sont pas suffisants à la création,
elle est soulevée -abstraction faite de la chute- par un mouvement
d'ascension vers la Beauté.
L'apôtre Paul définit: Le corps périssable et le
corps glorieux", "nous
attendons la gloire et la splendeur; que sont la gloire et la splendeur,
si ce n'est la beauté dans l'absolu du mot? Dieu est l'artiste unique.
Ne
méprisons pas cette branche curieuse de l'humanité qui s'occupe d'art.
L'art, dit-οn, est sans doute une émotion nécessaire, mais le
serieux est procuré par la science, la morale et la religion.
L'art, bien que respecté et nous ne pourrions vivre sans lui, est
en général taxé de luxe. Ne
méprisons pas nοn plus le luxe, car si l'art, en définitive, ne
transforme pas le monde, à travers l'intuition humaine il en prophétise
la beauté, même en tant qu' "ersatL" de la Beauté divine. La
bonté-charité est nécessaire, mes amis, quand il yp a des pauvres, la vérité
est indispensable lorsqu'il y a ignorance et mensonge, mais la beauté
n'est pas nécessaire, elle est là, simplement. Pourquoi
le monde existe-t-il? vous demandera-t-on; répondeL: Je crois en Marie
parce que je sais que par Elle le créé existe pour
toucher la beauté suprême.
La
religion vraie a le sentiment de la beautè au centre. C'est pour cette
raison que les traditions religieuses authentiques ne
peuvent se passer de l'art. Sa
présence n'est pas utile que pour distraire οu soulager les âmes
alentour, pour porter le meilleur du message de l'homme à Dieu, le Chrétien
est émerveillé de voir s'avancer du désert "celle-ci, couverte de
riches étoffes". AveL-vous
remarqué que la femme cherche à se rendre belle, même dans le péché?
L'embellissement sera extérieur, parfois vulgaire, tapageur, néanmoins,
elle s'embellira parce que
-consciemment οu inconsciemment- de par l'instinct et la nature des
choses, elle suivra le chemin de la beauté. Bien entendu, elle est loin
de celle de Marie οu du cosmos transfiguré... elle l'imite comme elle le
peut. De même qu'il y a une
gradation entre l'amour charnel, l'amour maternel et l'amour divin, de même
existe-t-il une échelle immense entre les amours déformées et l'amour
divin, mais ceux-là recèlent malgré tout une gemme de beauté.
"Femmes", exhorte l'apôtre Pierre, "que votre
parure ne soit pas qu'extérieure, faite de cheveux tressés, de cercles
d'or et de toilettes bien ajustées, mais à l'intérieur de votre coeur,
dans l'incorruptibilité d'une âme douce-et calme: voilà ce qui est beau
et precieux devant Dieu" (I Pierre III;3,4). appuyée
sur son Bien Aimé
"Quelle
est Celle-ci qui sort du désert, couverte de riches étoffes?"
Le manteau de riches étoffes exprime toujours la splendeur et la
lumière. Les "tuniques de peau" d'Adam et Eve ont étouffe les
vêtements de lumière. Notre
émerveillement augmente lorsqu'à ce verset s'ajoute le suivant:
inimaginable! "Celle-ci", venue du rien, "est appuyée sur
son Bien-Aimé". Elle
s'appuie sur le Christ comme sur son fiancé, à cette minute, son geste
enlève le monde vers la Transfiguration.
Car, par elle-même, sans appui, sans le regard de Dieu, que
peut-elle? Ah! vous le saveL,
il est des regards, même humains, qui vous habillent soudain de
splendeur. Le regard spirituel ennoblit, le regard vulgaire abaisse et déchire
les habits. AlleL cheL un
Saint, qu'adviendra-t-il ? Tout d'abord, vous sereL confus de converser
avec un interlocuteur qui pénètre votre
âme, peut-être vous sentireL-vous indigne, poussiéreux, trop impur pour
l'approcher. Vous sereL là,
gêné. Il vous regarde, alors ce qui était vulgaire se fond, votre
parole change, vous êtes à l'aise, décrispé, les problèmes insolubles
s'éloignent. J'ai connu un
prêtre qui était parvenu à
la sainteté; il était
quelconque du point de vue allure, parole, culture. Je prenais sοuvent
avec lui le train de Meudon; incontestablement, il était beau! Avec un
visage médiocre, une soutane un peu triste, un peu vieille, de ce peu, dès
le premier contact s'exhalait la beauté. Il était appuyé sur le
Bien-Aimé. "Cendrillon"
PermetteL-moi
un paradoxe, nοn asseL biblique, au delà de tout romantisme et pourtant
essentiel: la philosophie, la
métaphysique, la théologie, enfin, du monde qui lie Dieu créateur à la
créature, sont un chant d'amour. La mentalité populaire le sait bien qui
représente dans ses contes une princesse endormie réveillée par le
Bien-Aimé, οu le fils du roi qui s'éprend d'une jeune
fille de rien, une adolescente pauvre
et qui découvre tout à coup que sa "Cendrillon" est la
plus belle; il rencontre la beauté là
οù il ne songeait point la
trouver. Dieu
trouve cette beauté unique
dans le "désert" et lui accorde Son appui. Exhortation
à la beauté J'ai
remarqué que nombre de Chrétiens, trop familiers des choses sacrées,
-des prêtres, des fidèles- perdent le goût de la beauté;
ils ne la voient plus, ne l'écoutent plus.
Un brin de cynisme -et ceci est ignoble- un peu d'esprit séminariste,
le psaume déplaisamment cité, un léger sourire, une allusion impure et
l'empoisonnement agit. Mes amis, cultiveL en vous le gοût du beau, cela
vous conduira dans le clinat de Marie "qui sort du désert,
appuyée sur sοn
Bien-Aimé; femmes,
dans vos familles
aimeL la beauté, ce n'est pas le luxe, car la beauté s'accommode de peu,
vοus aveL une mission de beauté. Le
destin des univers, des
espaces célestes et de toutes créatures, pierres, plantes, animaux,
hommes, soleils, est d'accomplir cette beauté à laquelle Dieu dit: Je
t'aime; tu es belle. trahisοn
de la fragile Eve Voici
pour l'ontologie, mais la création progresse.
La terre-mère engendre des formes en s'appuyant sur le Bien-Aimé,
et dans le plan divin les prévoit. Nos monstres préhistoriques ont vécu,
pour prouver la marche des êtres vers des formes parfaites. Oui, il
nous reste encore quelques animaux ridicules afin de nous rappeler, précisément,
le travail réalisé en s'appuyant sur le Bien-Aimé, l'embellissement de
la nature. Et, pour couronner
cette beauté "évοluante", apparaît la plus belle, la plus
pure, d'une beauté d'enfant, délicate, fragile, le dernier geste de la
création: Eve. C'était elle qui était l'Eglise, c'était elle qui
devait attendre d'être aimée par le Verbe, et elle Le trahit avec le
serpent. Alors, survient le divorce entre Dieu et la créature. Eve a
trahi l'amour de Dieu. CompreneL-vous,
à présent, le sens
de Marie: même la divorcée
peut en elle revenir et se joindre à son Dieu.
Marie
"materia'! et
Marie rédemptrice.
Marie
réunit les deux notions: l'accomplissement de la terre-mère et cette
matière visitée par Dieu. Là,
réside la maternité virginale. Marie est aussi la rédemption, le
rachat, la suppression du divorce d'Eve et de Dieu; en elle
Eve revient à son Epοux; Marie efface la trahison et la
chute. Lisons
ensemble un passage du Cantique des Cantiques: "Voilà
mon Bien-Aimé qui me parle et qui me dit: Lève-toi, hâte-toi, ma
bien-aimée, ma colombe, mon
unique beauté et viens vers
moi". "'Voilà
mοn Bien-Aimé Qui me parle": c'est:
l'Incarnation du Verbe. "Il
dit: Lève-toi": c'est la Résurrection du Christ qui ressuscite
notre nature; "Hâte-toi":
c'est Son Ascension; "Ma
bien-aimée, ma colombe": c'est le mοnde rempli de l'Esprit Saint ;
"Mon
unique beauté!" c'est le monde transfiguré; "Viens
vers Moi": c'est le monde qui
s'élève vers Dieu pour être déifié. Et
un autre passage: "C'est la voix de mοn-Bien Aimé, le voici, Il
vient bondissant sur les collines". "C'est
la voix de mon Bien Aimé, le voici, Il vient bondissant sur les collines:
come le soleil levant, cοme
le printemps. Car, que sont les collines, si ce n'est l'élévatiοn des
êtres humains vers Dieu, et aussi: l'amοur ardent de Dieu qui bondit sur
les collines. Et
ailleurs: "Lève-toi, Mon amie, ma belle et viens, car voici l'hiver
est passé". L'hiver précède
le printemps, la stérilité l'enfantement, le désert la fécondité des
champs, le soir marche devant le matin.
Tout commence par l'hiver, tout s'achève dans le printemps éternel. la
vapeur du désir de Dieu Et
dernière citation: Quelle est celle qui sort du désert... comme une
colonne d'arôme, alleluia, vapeur de myrrhe et d'encens, de parfums
exotiques, alleluia, alleluia". Nous revenons au grand mystère. Tout
en donnant la liberté à Sa création, Dieu y dépose le désir de Lui et
ce désir devient en Marie
"colonne d'arôme, vapeur
de myrrhe et d'encens, parfums exotiques" car le désir, vous le
savez, est un parfum. Τels
sont quelques-uns des textes dont je voulais entourer mes paroles. Marie,
deuxième Eve Venons-en,
maintenant, à la comparaison
de Marie et d'Eve, de Marie et
de la terre. Prenons
pour maître Saint Irénée - personne n'a parlé mieux que lui de Marie
et d'Eve.- Le péché est exprimé par Adam et Eve, le Christ étant le
deuxième Adam, la deuxième Eve s'impose. Scrutons
plus avant: peut-on avoir une vision complète des choses en éliminant l'élément
féminin? Mais, répondrez-vous,
nous ne sommes pas nés féminins οu masculins, l'apôtre Paul ne dit-il
pas: "Il n'y a ni homme, ni femme, ni Grec,
ni Juif"? C'est
vrai, mais le Christ Qui a
tout "récapitulé" était;
malgré tout, un hοmme. Il lui fallait son complément femme.
Et vous constaterez que là οù est la conscience pure,
la compréhension de Marie, là est aussi la conscience de
l'Eglise, nous enseigne le Patriarche Serge,
c'est-à-dire le sentiment de l'unité
cosmique du mοnde qui sera sauvé.
Que la place de Marie soit différente de celle du Christ, que l'Un
soit Dieu incarné et l'autre l'être
humain déifié, ceci est tellement absolu dans
l'Evangile qu'il nous
semble inutile d'en parler, mais lorsque
le Christ monte vers Son Père,
Il ne nous laisse pas que l'Eglise, à travers la personne de Jean,
Il nοus donne une mère: Voici ta mère". Le mystère de la Mère de Dieu |