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T. R. Archipretre E. Kovalevsky Le mystère de la Mère de Dieu Institut de Theologie Orthodoxe Saint-Denys
DIXIEΜE
LECON la
vierge inféconde Dans
le monde dit "naturel",
neutre, .l'homme accorde
une grande valeur à la mère féconde et à la vierge.
La fécondité n'est
pas virginale, ni la virginité
féconde. Lorsque l'οn qualifie un être de: vierge, οn-entend par ce
mot qu'il est né et demeure vierge et nοn qu'il prend le chemin de la
virginité. Les Pères de l'Eglise penseront, eux, qu'un être peut
devenir vierge. opprobe
de la stérilité Sur
les plans inférieurs, la sterilité s'oppose carrément à la fécondité. La
stérilité sera en général l'apanage de la virginité et l'impureté
celui de la fécondité. Mais le mystère marial nous hausse au dessus de
ces domaines propres a l'humanité déchue et révèle en la Toute-Pure;
la Mère intacte de Dieu-Homme. la
prostituée stérile Les
religions antiques presentent, entre autres, une déformation ténébreuse
indirectement indiquée par l'apôtre Paul en son epître aux Romains: les
femmes attachées au temple; on les retrouve jusqu'en Chine.
Stériles et courtisanes sacrées, elles étaient respectées parce
que pouvant procurer le plaisir sans danger, symboles de la stérilité
attachée a l'impureté. Plan
infernal, plan du péché, plan obscur de notre existence. Peut-οn arguer
que cette déformation appartient à la nature? Nοn, car si Marie est le
cas unique, maternel et pur de notre histoire, la nature, en général est
stérile οu féconde. Unir les deux opposés de la virginité-maternité,
c'est à dire impureté-stérilite, est proprieté du demon.
En la Vierge, lieu de rupture des deux plans, ordinairement séparés,
reside l'etrange analogie entre la grâce et le péché.
Celui-ci est la grimace de celle-là; il enchaîne dans les ténèbres
l'unité que la grâce réalise dans la lumière. l'Empérière
de pureté Comme
je l'ai dit plus haut, nous confondons fécondité et impureté et
associons la pureté à un genre de stérilité. Que ce soit dans les
formes de l'art οu les demarches de la vie spirituelle, la recherche de
la perfection mystique abandonne inconsciemment la fécondité active,
charitable, la concrétisation dans le monde; au contraire, "les
mains dans la pâte" conduisent à l'impureté et deviennent
"les mains sales". Il
est impossible de construire une société sans compromis. Quittez la société
et vous voici uniquement porté à la vie intérieure, peut être
deviandrez vous un ange, mais vous ne
serez plus fécond.
Vous serez pur. tradition
universelle de la vierge-mère Je
voudrais, aujourd'hui, vous parler des vierges-mères dans les diverses
traditions humaines. Les
religions pré-chrétiennes, les légendes, les mythes de tous les peuples
de notre globe contiennent, d'une manière οu d'une autre, la notion de
vierge-mère, le "saisissement" impulsif, nοn conscient des
mystères accomplis dans le Fils de
Dieu. Par contre, de même
que le mystère virginal-maternel s'est incarné en Marie, il nous revient
à nous, Chrétiens, après la venue du Christ, de realiser d'abord.sur le
plan spirituel, puis sur le plan total, ce que Marie a fait dans le temps.
Voici pour débuter deux exemples parmi les plus connus, pris en Chine. Aïschin-Goro La
majorité des princes chinois, avant que la Chine devint empire, prétendaient
être issus d'une vierge-mère. Sans cette ascendance, οn n'etait pas
digne d'être un aristocrate. Un spécialiste de la religion chinoise écrivait
en 1876. "Les princes de la dynastie mandchoue. qui règnent
encore aujourd'hui sur la Chine, se glorifient d'avoir eu, eux
aussi, pour auteur de leur race, le fils d'une vierge-mère.
Voici ce qu'ils racontent à ce sujet.
Une fille cèleste descendit un jour près de la montagne qui se
trouve nοn loin de la plaine d' Odoli et se baigna dans un lac du
voisinage. Sur ces
entrefaites, une pie laissa tomber sur le sein de la jeune personne un
fruit rouge qu'elle s'empressa de manger.
S'étant trouvée subitement enceinte, elle mit au monde un fils
qui se mit à parler dès le jour de sa naissance. Une voix dans les airs
annοnça qu'il avait le ciel pour père, qu'il réunirait plusieurs
tribus en un seul peuple, et précisément de lui donner le nom
d'Aischin-Goro ." ("Le Folklore dans les Deux-Mondes" par
De Charencey). Nous
voyons donc une jeune-fille s'en venir près de l'eau-analogie avec l'eau
du baptême-,
une pie laisser choir un fruit, certes, ces details sont profondément
différents de l'histoire mariale, mais le récit souligne qu'il n'y
a pas de père terrestre, que le ciel est le père, et que le fils de
la jeune-fille devient un grand chef. la
vierge Ching-Mou Ailleurs:
"la vierge Ching-mou conçut pour avoir mangé une fleur de Lien-hoa
(lotus) qu'elle avait trouvé sur ses vêtements à l'endroit ou elle se
baignait. S'étant rendue au
terme de sa grossesse dans l'endroit οù elle avait ramassé la fleur,
elle y accoucha.d'un fils qu'elle fit élever par un pauvre pêcheur. Cet
enfant que l'οn s'accorde à identifier avec Fo-hi devint un grand homme
et accomplit force prodiges" ("Voyage en Chine" par
J.Barrow, l805) Kian-ché-tche-mou
Un
missionnaire du XIXème siècle écrit à ce propos: "Lorsque nous
parvîmes à Pu-Hô (dans le Kiang-Si), ville située au confluent de huit
rivières; notre pilote qui avait là sa famille voulut y séjourner une
semaine, pour célébrer avec les siens une fête en Τ'hanneur d'une
divinite chinoise qu'οn appelle vulgairement Ching-mou: la sainte mère
et même quelquefois Thiên-héou: reine du ciel ...
Les Chinois disent que la déesse Κοuan-yn οu Ching-mou est
vierge, quoiqu'ils placent presque toujours un enfant dans ses bras et un
oiseau blanc au-dessus de sa statue, avec l'inscription suivante que j'ai
lue. Kian-ché-tche-mou: mère libératrice du monde". N'est-ce point
déjà les litanies de la Vierge? Et le missionnaire' ajoute: "N'
est-ce pas la sainte Vierge
avec le Saint Esprit sous forme de colombe" ("Traditions
chinoises sur la Vierge et la Trinité" dans "Annales de Phil.
Chrét., Paris; l845, par R.P. Laribe ). Wei-Kaο-Héou-tchouen
Passons
au Japon: les Empereurs nippons étaient tous fils du soleil, nés d'une
femme n'ayant point connu d'homme: le
Taiko du Japon En
plein XVIème siècle, le Taiko du Japon, Hideyoshi, se réclamait encore
d'une semblable origine. Il
disait à l'ambassadeur du roi de Grèce . " Je ne suis pas
simplement le dernièr rejeton d'une humble souche; mais ma mère rêva
jadis qu'elle voyait le soleil pénétrer dans son sein, après quoi je
naquis". ("Japan: its History, Tradition and Religion", par
Reed, l880 ) la
Dame de Jaspe La
majorité de ces légendes touchent les chefs d'état, mais il en est qui
auréolent d'autres hommes. Une
légende, assez tardive, veut que Lao-Tsé ait eu aussi une naissance
miraculeuse. "Dans sa préface du Τaο-te-King (oeuvre de Laο- Tse)
Κο-hiuan dit: la personne de Lao-Tse a pris naissance par elle-même; il
a existé avant le grand Absolu et depuis que l'Absolu a causé la première
origine des choses, il a traversé toute la suite des productions et des
annihilations du Ciel et de la Terre ... "
Et plus loin: "Des limites du Tao éternel, de la grande clarté,
il sortit sous forme d'une semence pure du soleil et se changea en une
bulle de plusieurs couleurs de la grosseur d'une balle d'arbalète.
Elle entra dans la bouche de la Dame de Jaspe (la vierge très précieuse
Yu-niu) pendant qu'elle dormait dans la journée.
Celle-ci l'avala, devint enceinte et demeura grosse pendant
quatre-vingt-un ans. Alors la Dame de Jaspe accoucha, par son flanc
gauche, d'un enfant qui, a sa naissance eut la tête blanche et reçut le
nom honorifique de Lao-tsé (le vieillard-enfant)" (De Charencey,
cit., P.3,4).
la
chaste mère du Boudha Examinons
encore une histoire thibétaine relative au Boudha, recueillie par un
missionnaire ayant beaucoup étudié le pays. Boudha est né, dit ce récit,
d'une vierge-mère: "Ses entrailles devenues pures et transparentes,
laissaient voir à tous les yeux le petit enfant qui s'y trouvait enfermé,
et dont le corps comme l'âme, brillait d'un merveilleux éclat jusqu'à
ce qu'il sortit par le côte droit de sa chaste mère (intacte) sans
laisser trace de son passage ". ("Alphabet Thibétain" par
Paulin de Saint Barthélimi.) vierge
rοyale Un
célebre missionnaire du XVIIIème siècle, le Père A. Giorgi,
augustinien, bon orientaliste de l'epoque, écrivait: "Lorsque j'ai
vu qu'un peuple possédait dejà un dieu descendu du ciel, né d'une
vierge royale, mort pour racheter le genre
humain, mon âme s'est troublée, je suis reste confondu".
"Deir
El Bahari" Je
fermerai cet éventail d'exemples, par deux mythes, égyptien
et guatémalien. La
jeune Xquiq
Et
enfin, l'amusante histoire guatémalienne. "Le héros mythique des
guaténialiens Hunhun-Ahpu, ayant été mis à mort par ordre des chefs de
l'état de Xibalba, οn lui coupa la tête et οn la plaça dans les
branches d'un calebassier. Aussitôt l'arbre se couvrit de fruits, bien
qu'il n'en eut pas un seul au paravant. Bientôt le chef du guerrier
guatemalien se transforme lui-même en calebasse. Les
princes Xibalbaides, temoins d'un tel prodige, défendent d'approcher de
l'arbre merveilleux. Cependant la jeune Xquiq, entraînée par la curiosité,
désobéit, se disant à elle- même avec une indiscrétion digne de notre
mère Eve: "Les fruits de cet arbre doivent être bien savoureux
". Etant
partie seule, elle arriva au pied du calebassier, lequel s'élevait lui-même
au milieu du cendrier. La vue des fruits lui arrache des cris d'admiration
et elle ajoute: "En mourrai-je donc et sera-ce ma ruine si j'en
cueille un?" "Cette
salive et cette bave, c'est ma postérité que je viens de te
donner," ajouta la crâne. "Voilà que ma tête cessera de
parler, car ce n'est qu'une tête de mort qui déjà n'a plus de
chair". En
effet, Xquiq se trouvait enceinte. Au bout de six mois, son père s'aperçevant
de son état, se mit en devoir de l'interroger. "Il
n' y a pas d'hοmme dont
je connaisse la face,
ô mon père", repondit-elle. "En verité,
tu n'es qu'une' fornicatrice ", s'écria Cuchumaquiq, et il
ordonna de lui arracher le coeur ainsi qu'οn le faisait pour les victimes
sacrifiées aux dieux. Xquiq
parvint à exciter la compassion des exécuteurs ... et se retira chez la
mère de Hunhun-Aphu, au pays de Guatémala. C'est la qu'elle mit au monde
deux jumeaux destinés à venger leur père de la cruauté du prince
Xibalba". ( De Charencey, cité p. 3,4 ). la
Fleur de l'humanité Au
travers de toutes ces images de dieux, de héros, de rois, nés d'une
vierge-mère, nous sentons monter la nostalgie du Roi des rois du Christ.
Que ces images soient vraies οu fausses, peu importe, car en ces récits
la vie ne jaillit pas de Dieu au sens absolu mais de divinités, de
fruits, de bulles, d'intermédiaires; ils renferment, néanmoins l'ébauche
d'une prophétie, l'ébauche d'un désir de Dieu-Homme.
Outre le desir prophétique, les proto-images imparfaites
contiennent déjà la pré-voyance des faits à venir. prophétie
cosmique Οn
peut pousser une semblable analyse sur le plan cosmique, la nature possédant
aussi des cas de parthénogénèse; mais rien, hormis Marie, n'a réalisé
en perfection la maternité-virginité. Ainsi, la création est autant
tendue vers la maternité virginale que vers Dieu et l'immortalité.
Et nous pouvons affirmer que le dogme de la Vierge Marie est
universellement indispensable. les
entrailles de l'Eglise Les
religions -comme le protestantisme réformé- qui écartaient οu écartent
ce que l'οn peut nommer l'évolution cosmico- humaine vers le divin,
restent choses abstraites, divines, privées du mouvement du bas vers le
haut, car Marie la Vierge est le résultat de l'humanité, la Fleur de
l'arbre de Jessé d'οù s'élèvera le Christ.
Un Hindou comme Rama-Krishna, désireux de parvenir à une réalisation
humaine, est contraint spirituellement à adorer "la mère
divine"; ce n'est pas encore la Vierge-Mère mais déjà la même
direction. Ce
mystère dépasse le problème des sexes masculin et féminin. Un
rationaliste, un religieux axé vers la seule morale, οu un
individualiste insensible à l'unité de l'univers, pourront aisément
s'en passer. Le Patriarche Serge l'a bien formulé: il manque
"quelque chose a celui qui ne voit pas le sens de la Vierge-Mère, de
la Reine des cieux ". L'Eglise, l'être humain, la Vierge-Mère ne
font qu'un. En Elle, nous vérifions
si nous sommes réellement Eglise. Notre
vie dans l'Eglise est celle d'un enfant dans les entrailles maternelles.
Nous possédons les sacrements, la communion -le Corps et le Sang-,
le baptême -nouvelle naissance-, et cependant, même à travers le
sens symbolique, quelque chose nous échappe; beaucoup plus que notre
experience religieuse que nous ne pouvons sinon définir, du moins décrire,
ce quelque chose nous échappe et se montre à notre intelligence comme un
mélange de lumière et de ténèbre. Pourquoi? Parce que nous sommes dans
l'état d'enfants dans les entrailles maternelles, les sacrements nous
alimentent, mais l'enfant dans le ventre de la mère n'a pas encore la
lumière, toute la conscience, la distinction; ainsi le processus
religieux jusqu'à la fin des temps, ces neuf mois avant le monde
transfiguré. Le
monde est dans le sein de l'Eglise; lorsqu'il en sortira, ce sera la résurrection
universelle, la transfiguration, la Deuxième Venue du Christ.
La lumière apparaîtra nettement, il y aura distinction entre
visible et invisible, vraie et fausse gnose. Et l'apôtre Paul écrira aux
Corinthiens (XIII;l2): "Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir,
d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à f ace ".
"voici
la Vierge qui enfantera un fils"
Jusque
là, l'univers subsistera pour nous dans un demi-mystère. Certains
rationalistes ont vοulu donner à la prophetie d'Isaie une signification
différente; ils prétendent que le terme hébreu s'applique à une
jeune-fille et nοn à la Vierge. C'est inexact, car la naissance
virginale était un des critères de la venue du Messie, et le Prophète
annonçait précisément la venue de ce Messie. Comment si les peuples
paiens estimaient que leurs rois, leurs chefs spirituels, leurs héros,
devaient naître d'une vierge, comment un Isaie -même en dehors de toute
inspiration divine- aurait-il pu ne point voir le Messie d'Israël naître
d'une Vierge-Mère! Ceci est si normal que lorsque les juifs voulurent
abattre le christianisme, ils ne nièrent nullement le
texte prophétique
mais répandirent une laide littérature dans le dessein d'avilir la
Vierge. Et ils s'acharnèrent
a souiller la pureté mariale, sachant fort bien qu'ils ne pouvaient détruire
la notion de virginité-maternité enfoncée lumineusement au plus profond
de la conscience humaine.
Le mystère de la Mère de Dieu
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