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Jean-Claude Larchet

La question du Filioque

À PROPOS DE LA RÉCENTE «CLARIFICATION» DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L'UΝITÉ DES CHRÉTIENS
Tirée de "Theologia" vol. 70 , No 4, Athènes 1999



4. PREMIERES RESERVES

L'enthousiasme que peut manifester un lecteur orthodoxe à première lecture doit cependant être tempéré.

On peut premièrement remarquer que l'Église catholique, à de rares exceptions près(l5), a toujours reconnu «la valeur conciliaire œcuménique, normative et irrévocable, comme expression de l'unique foi commune de l'Église et de tous les chrétiens, du symbole professé en grec à Constantinople en 381 par le deuxième Concile œcuménique», de même qu'elle a toujours reconnu la valeur normative et irrévocable des définitions de foi des autres conciles que, en commun avec l' Église
orthodoxe, elle reconnaît comme œcuméniques,: Les défenseurs latins. du Filioque ne voyaient pas là d'inconséquence puisque l'un de leurs arguments habituels était que le Filioque ne contredisait pas le Symbole de la foi mais s'accordait au contraire avec lui, et en constituait une simple explicitation; cette thèse a été présentée récemment encore par l'inspirateur de la «Clarification», le Ρ. Garrigues, lorsqu'il appelait cette dernière de ses vœux en indiquant quel devait être son esprit: «Ιl serait souhaitable que le pape et les évêques catholiques rappellent, à la suite du pape Léon III, que Ιa version dogmatique du Symbole de Nicée-Constantinople est l'original grec confessé par les conciles et que celui-ci contient déjà en lui la plénitude de la foi catholique dans le Saint-Esprit dont le Filioque est une explication latine qυi ne prétend rίen ajouter au dogme conciliaire(16)».

On peut deuxièmement remarquer que l'affirmation que «le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul (εκ μόνου του πατρός) de manière principielle, propre et immédiate» n'est pas, dans sa deuxième partie, sans ambiguïté. Le «principiel» fait évidemment penser «principalίter» augustinien; rapprochement confirmé par la référence explicite, quelques lignes plus loin, à la formule célèbre de l'évêque d'Hippone selon laquelle «le Saint-Esprit tire son origine du Père "principaliter"(17)». Or cette affirmation n'empêche pas saint Augustin d'affirmer conjointement (ce que la «Clarification» ne dit pas, mais permet à un lecteur catholique de sous-entendre aisément) que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils "communier", ce qui justifie précisément le Filioque(18).

L'affirmation que le Saint-Esprit procède du Père seul d'une manière «immédiate» paraît également ambiguë a qui connaît la doctrine latine du Filioque. Celle-ci en effet reconnaît volontiers que le Saint Esprit procède du Père seul d'une manière «immédiate», mais cela ne l'empêche pas d'affirmer conjointement (et la «Clarification» permet encore ici à un lecteur catholique de le sous-entendre) que l'Esprit Saint procède du Fils d'une manière «médiate», autrement dit que le Fils est médiateur dans -la procession du Saint-Esprit. Saint Grégoire Palamas fut amené à réfuter à plusieurs reprises cet argument classique des Latins(19).

Les affirmations que «le Père seul est le principe sans principe (αρχή άναρχος) des deux autres personnes trinitaires, l'unique source (πηγή) et du Fils et du Saint-Esprit» et que «le Saint-Esprit tire donc son origine du Père seul», qui paraissent s'accorder parfaitement avec la foi orthodoxe, ne sont elles-mêmes pas sans ambiguïté sous la plume d'un théologien catholique. En effet, l'affirmation que le Père est «principe sans principe» n'implique pas nécessairement que le Saint-Esprit ait le Père comme unique principe, ni que le Fils ne soit pas pour le Saint-Esprit lui aussi un principe, ayant reçu du Père d'être principe en commun avec lui: par exemple le concile de Florence (qui fut rejeté par les orthodoxes), aussitôt après avoir professé que le Père «est principe sans principe» affirme que le Fils «est principe (issu) du principe», avant d'affirmer que le Père et le Fils «ne sont pas deux principes du Saint-Esprit mais un seul principe(20)». De même l'affirmation que le Père est l'unique source du Saint-Esprit peut-elle signifier que le Père est la source première sans exclure que le Fils soit source seconde: ainsi en est-il dans Ιa doctrine filioquiste classique, et déjà dans le «princίpalίter» augustinien évoqué ci-dessus(21).

L'affirmation que «le Père est l'unique Cause trinitaire du Saint-Esprit» appelle la même remarque: elle peut sous-entendre en effet que le Père soit cause première et ne pas exclure que le Fils soit cause seconde(22). Un théologien catholique qui a consacré une grande partie de ses travaux à défendre la position filioquiste la plus traditionnelle n'hésitait pas à écrire récemment: «Nous pouvons reconnaître ensemble un sens très juste de l'a Patre solo, en percevant l'immanence du Filioque dans l'a Patre solo»(23). Et de se référer à cette remarque de Thomas d'Aquin lui-même: «Même si le passage [de l'Écriture] οù il est dit que le Saint-Esprit procède du Père portait cette clause qu'il procède du Père seul, le Fils n'en serait pas exclu pour autant(24)

On pourra nous croire excessivement soupçonneux et nous accuser de faire à la «Clarification» un procès d'intention.

Mais la suite du document confirme malheureusement nos soupçons et nos craintes puisqu'elle consiste précisément dans une tentative pour concilier les affirmations précédentes avec la doctrine latine du Filioque. Le désir du pape Jean-Paul II que fut clarifiée «la doctrine latine du Filioque, présent dans la version liturgique du Credo latin, pour pouvoir mettre en lumière sa complète harmonie avec ce que le Concile œcuménique de Constantinople, en 381, confesse dans son Symbole(25)», annonçait à vrai dire assez clairement la nature et la finalité de l'entreprise: montrer la compatibilité de la doctrine latine du Fίlioque avec le Symbole de Constantinople, finalité que la «Clarification» assume parfaitement et reconnaît clairement(26) elle-ci rappelle ainsi un document épiscopal relativement récent qui se proposait de montrer au clergé et aux fidèles de l'Église catholique de Grèce, avec des arguments identiques puisés visiblement à la même source(27), que la récitation du Credo sans le «Filioque» était parfaitement compatible avec la doctrine latine du Filioque et ne signifiait nullement qu'on y renonçât(28)».

Il convient donc d'examiner les principaux arguments qu'avance la «Clarification» en vue de parvenir au but qu'elle vise.





Notes

15. Ainsi, lorsque, au plus fort de la polémique sur le Filioque, certains théologiens latins accusaient les Grecs d'avoir enlevé le «Filioque» du Symbole de foi.

16. «Réflexions d'un théologien catholique sur le Filioque», p. 168. Souligné par nous.

17. De Trίnitate, XV, 25 PL 42, 1094-1095.

18. «Le Saint-Esprit, écrit Augustin, procède principellement [principaliter] du Père et, par le don intemporel de celui-ci au Fils, du Père et, le don intemporel de celui-εi au Fils, du Père et du Fils en communion [communier]» (ibid). Saint Augustin explique le Saint-Esprit procède du Père; mais il ajoute que «le Père a accordé au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède de lui-même» (Tract. in lo., XCIX, 9, PL 35, 1890 = De Τrin., XV, 27,48 PL 42,1095; voir aussi De Τrin., XV, 26,47, PL 42, 1094-1095; XV, 1729, PL 42, 1081; Τract. in lo., XCIX, 8, PL 35, 1890).

19. Traités apodictiques, Ι, 7-8, 11, 23, 28, 32-34, 37. Le texte grec figure dans le tome 1 de l'édition Ρ. Christοu , Suggrammata, Thessalonique, 1988. Ιl a été traduit en français sous le titre Traités apodίctiques sur procession du Saint-Esprit, Éditions de l'Ancre [diffusion Cerf] Paris, 1995. Grégoire évitait l'ambiguïté de la première formule latine en précisant que «l'Esprit Saint procède du Père seul directement et sans médiation (προσεχώς και αμέσως) » (Traités apodιctiques, Ι, 7, éd. Christοu , p. 34).

20. Denzinger 1331.

21. La «Clarification» citera elle même plus loin passage du Catéchisme de Ι' Église catholique qui, peu après avoir affirmé «le caractère d'origine première du Père par rapport à l'Esprit», affirme que «celui-ci tire son origine du Père par le Fils» («Clarίfication», p. 943b; Catéchisme § 248).

22. C'est ainsi que les défenseurs latins du Filioque avaient l'habitude d'interpréter les affirmations des Pères orientaux que «le Père est la seule cause» du Saint-Esprit (voir J. Grégoire, «La relation éternelle de l'Esprit au Fils d'après les écrits de Jean de Damas», Revue d'histoire ecclésίastique, 64, 1969, p. 717).

23. Β. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père"» Orientalia christiana periodica, 49, 1983, p. 162. L'idée d'une compatibilité, aux yeux de la théologie catholique romaine, entre le Filioque et l'affirmation que le Saint-Esprit procède du Père seul est également développée par le même auteur dans un autre article: «L'Esprit vient du Père par le Fils. Réflexions sur le monopartisme catholique», Orientalia christiana periodίca, 60, 1994, p. 337-362. Pour ce théologien, la finalité du dialogue œcuménique et d'amener les orthodoxes à souscrire aux définitions du concile de Florence (voir «L'Esprit qui dit "Père"», p. 156-157, 161).

24. Somme théologique, Ι.36.2.1, cité par Β. de Margerie, «L'Esprit qui dit "Père"», p. 162-163.

25. Cité dans son introduction par la Documentation catholique, n° 2125, (n°) 5 novembre 1995, p. 941.

26. Voir p. 942b.

27. A savoir le articles du Ρ.Garrigues, qui a significativement reproduit ce texte dans le livre οù il les a ressemblés (L'Esprit qui dit «Père» et le problème du Filioque, Paris, 1981, p.117-125).

28. «Instruction pastorale de l'épiscopat catholique de Grèce», Les Quatre fleuves, 9, 1979,p. 75-78.

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