Jean-Claude Larchet
La question du Filioque
À PROPOS DE LA RÉCENTE «CLARIFICATION» DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L'UΝITÉ DES CHRÉTIENS
Tirée de "Theologia" vol. 70 , No 4, Athènes 1999
2. HISTORIQUE DES POSITIONS EXPRIMEES PAR LA «CLARIFICATION».
L'accord d'Ο. Clément était, peut-on dire, acquis d'avance. La «Clarification» vaticane est en effet, dans son contenu, moins nouvelle qu'on pourrait le croire, puisqu'elle est en réalité une synthèse d'une série d'articles du Père J.-M. Garrigues o.p., dont le premier avait été publié par les soins d'Ο. Clément dans le revue Contacts il y a près de 25 ans(1). Cet article avait suscité l'adhésion enthousiaste de celui-ci, ce qui avait provoqué une vive réaction(2) de la part de théologiens du Patriarcat de Moscou (auquel Ο. Clément appartenait alors), en réponse à laquelle Ο.Clément affirmait son soutien presque total aux positions théologiques du Ρ. Garrigues(3). L'article de J.-M. Garrigues publié dans Contacts fut repris et développé l'année suivante dans un numéro spécial d'Istιna consacré à la question de la procession du Saint-esprit, οu figuraient également les «Thèses sur le Filioque» de Β. Bolotov et une contribution d'Ο. Clément fortement marquée par les thèses du Ρ. Garrigues(4). Ce dossier donna lieu à un renouvellement et à une amplification de la réaction critique orthodoxe(5), mais provoqua également celle d'un patrologue catholique réputé pour sa compétence, mais aussi pour sa rigueur intellectuelle dans la pratique du dialogue œcuménique, le Ρ. André De Halleux(6). Celui-ci n'hésitait pas à écrire à propos du dossier d'Istιna dont l'article de J.-Μ. Garrigues constituait l'une des pièces maîtresses: «On n'a pas affaire ici à un véritable dialogue, mais plutôt a un essai d'annexion déguisée, dans la ligne des conciles unionistes du Moyen-Age. Aussi n'est-il pas surprenant que cette entreprise apologétique ait déjà provoqué, du côté orthodoxe, une violente réaction(7) et elle ne sera probablement pas Ιa dernière - contre ce que son auteur qualifie, non sans raison, d' "intégration de la doctrine orthodoxe dans Ιa doctrine catholique romaine"(8)».
Ayant bien perçu que le P. Garrigues est l'inspirateur des thèses exprimées dans la «Clarification» vaticane(9), Ο. Clément lui renouvelle son soutien dans son récent «Liminaire» de Contacts «je voudrais souligner le travail admirable, souvent génial, réalisé par le Père Jean-Miguel Garrigues qui a dit là-dessus tout ce qu'il fallait dire. Je n'aime pas beaucoup parler de moi, mais, pour une fois, je voudrais rappeler que j'ai développé -superficiellement sans doute, comme d'habitude- des positions convergentes(10)». Dans le même «Liminaire», Ο. Clément se montre dépité que de cet événement «d'une importance réelle, peut-être décisive», presque personne n'ait parlé(11). L'historique que nous avons présenté permet de comprendre l'une des raisons de ce silence du côté orthodoxe. Une autre raison en est sans doute que ce texte de cinq pages, visiblement rédigé à la hâte et constitué pour l'essentiel d'une simple synthèse d'articles préexistants et dont le contenu avait déjà fait l'objet d'un rejet de la part de bon nombre de théologiens orthodoxes, d'une part ne saurait prétendre régler un contentieux théologique qui dure depuis plus de dix siècles et a connu des développements extrêmement complexes, et d'autre part émane d'une commission vaticane et n'est pas parée d'une autorité qui lui donnerait un poids suffisant face à la multitude de documents pontificaux et aux conciles(12) qui, dans l'Église catholique, ont érigé en dogme et confirmé la doctrine latine du Fίlioque et qui, au sein de cette même Église, continueront a faire autorité tant qu'ils n'auront pas été remis en cause par des instances d'une nature équivalente.
Notes
1. «Le sens de la procession du Saint-Esprit dans la tradition latine du premier millénaire», Contacts, 23, 1971, p. 283-309; «Procession et ekporèse du Saint-Esprit», Istina, 1972/3-4, p. 345-366 (reprend et développe l'article précédent); «Point de vue catholique sur la situation actuelle du problème du Filioque», dans L. Visher (éd), La théologie du Saint-Esprit dans le dialogue entre l'Orίent et l'Occίdent (Document Foi et Constitution n° 103), Paris, 1981, p. 165-178; «Réflexions d'un théologien catholique sur le «Filioque», dans Le ΙΙe concile œcuménique, Sίgnίfication et actualité pour le monde chrétien d'aujouτd'hυi, Chambésy-Genève, 1982, p. 289-298. Ces trois demiers articles sont repris dans L Esprit qυi «Père!» et le problème du Filioque, Paris, 1981, avec un article qui les précédait et ébauchait déjè leur thèse centrale: «Théologie et monarchie, L'entrée dans le mystère du "sein du Père"», Istίna, 15, 1970, p. 435-465.
2. Voir Μoine Ηilarion, «La question du Filioque et de la procession du Saint-Esprit», Messager de Ι'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76, 1971, p. 171-178;
3. «Ne manquons pas aux bienséances pour des querelles de mots», Messager de Ι' exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 75-76, 1971, p. 179-190. ο. Clément écrivait notamment «Je tiens ce jeune moine pour un génie théologique»; «en ce qui concerne son article sur le Filioque, oui, a quelques détails près, je suis d'accord» (p. 187-188).
4. «Grégoire de Chypre, "De l'ekporèse du Saint-Esprit"», p. 443- 456.
5. Voir L.Ouspenssky , «Quelques remarques à propos d'articles récents sur la procession du Saint-Esprit», Bυlletin orthodoxe, Nouvelle série, 5-7, 1973; Μoine Ηilariοn, «Reflexions d'un moine orthodoxe à propos d'un "Dossier sur Ιa procession du Saint-Esprit", publié récemment», Messager de Ι'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 81-82, 1973, p. 8-34; Hiéromoine Athanase Jevtitch, «Introduction à la théologie du Saint-Esprit chez les Pères Cappadociens», Messager de l'exarchat du Patrίarche russe en Europe occidentale, 83-84, 1973, p. 145-161; Archiprêtre V . Ρalachkονsky , «La controverse preumatologique», Messager de l'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 85-88, 1974, p. 71-98; Archimandrite Αmphilοchiοs Radονitch , «Le Filioque et l'énergie incréée de la Sainte Trinité selon la doctrine de saint Grégoire Palamas», Messager de Ι'exarchat du Patriarche russe en Europe occidentale, 89-90, 1975, p. 11-44; «Le mystère de Ιa Sainte-Trinité selon saint Grégoire Palamas», Messager de Ι'exarchat du Patriarche russe en Europe occίdentale, 91-92, 1975, p. 159-170.
6. Voir «Du personnalisme en pneumatologie», Revue théologique de Louvain, 6, 1975, p. 3-30, repris dans Patrologie et œcuménisme, Louvain, 1990, p. 396-423.
7. Ιl s' agit de l'article du Moine Hilarion cité à la note 5.
8. «Du personnalisme en pneumatologie», p. 19 (412).
9. «On retrouve tout l'essentiel des recherches du Père Garrigues dans la note du 13 septembre» («Liminaire», Contacts, 48, p. 3).
10. Contacts, 48, 1996, p.3.
11. Ibid., p.2.
12. Notamment ceux de Bari, 1098 (Mansi, t. 20, col. 947-952); du Latτan, 1215 (Denzinger 800, 805); de Lyon, 1274 (Denzinger 850); de Florence, 1439 (Denzinger 1300-1301).
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