Boris Bobriskoy
Le Message de l'Orthodoxie en Cette Fin de Millenaire
SOP 207, Avril 1996, pp. 32-37
Le langage de L' orthodoxie
Pour essayer de cerner l' identité de l' orthodoxie, j'énumérerai quelques caractéristiques du "langage" de l' orthodoxie. Je voudrais d'abord distinguer langage et message. Le langage appartient à des temps, à des lieux ; il est sujet à renouvellement, traduction, evolution. Le message de l' Evangile, lui, est immuable, permanent, éternel.
Dans le langage de l' orthodoxie, il y a d'abord l' icône qui a aussi eu des temps de grandeur et de décadence. Aujourd'hui nous vivons un temps de renouveau iconographique dans certains pays, mais pas partout. [...] II y a une lente pédagogie du sens sacramentel de l'icône au-delà des formes d'un certain néo- classicisme. [...] L' art iconographique est une des composantes de l' orthodoxie et on aurait du mal à imaginer une orthodoxie sans icônes. Pourtant il m'arrive de prier dans un temple protestant ou dans une eglise cistercienne, et j'y trouve un sentiment de légèreté et de silence extraordinaire. On a parfois besoin que l'oeil se repose d'un langage iconographique très dense et puisse entrer en soi-même. En réalité, la veritable icône suggère le silence, elle en découle et elle y renvoie.
On peut aussi parler de la synthèse liturgique byzantine. [...] Cette liturgie est porteuse de la foi, de la tradition et de la vie orthodoxes et c'est en elle que nous trouvons l'application de l' adage lex orandi, lex credendi, c'est-à-dire que la règle de prière définit et ordonne la règle de foi, sans oublier la réciprocité. Le rituel byzantin unifie l'orthodoxie dans le monde entier et lui donne une conscience universelle. II n'est pourtant pas exclu que, si Dieu le veut, les eglises orientales orthodoxes non-chalcédoniennes fassent retour a l'orthodoxie. Nous connaitrions alors un pluralisme liturgique - comme ii y en avait un en Occident avant I'unification des rites par Rome - où voisineraient le rite copte, le rite syriaque oriental et le rite arménien, rites qui sont aussi vénérables, aussi porteurs de la foi orthodoxe que le rite byzantin. Mais, pour l'instant, quand nous pensons à l'orthodoxie, c' est au rite byzantin que nous pensons, ce rite adopté et transmis d'Antioche à Byzance, et par Byzance aux pays slaves et à la Roumanie et ensuite de là dans l'Europe et l'Amerique.
II y a aussi les structures ecclésiales, et principalement la conciliarité que nous prêchons dans notre ecclésiologie. Cette conciliarité doit se marier avec le sens des primautés régionales et même d'une certaine primauté universelle dont actuellement le patriarche oecumenique de Constantinople est l' héritier. Nous croyons néanmoins que si Dieu nous donne de revenir à l'unité avec Rome, nous retrouverons l' état de notre vie ecclésiale commune pendant le premier millénaire, jusqu'au patriarche Photius inclus. Nous prions pour que puisse se rétablir cette communion dans le cadre d'une conciliarit'e que Rome retrouvera et d' une primauté que l'orthodoxie réaffirmera dans le respect de l'ecclesiologie veritable.
Le langage théologique de l'orthodoxie a été marqué par les Pères de l'Eglise. Les grands Cappadociens, saint Maxime le Confesseur ou saint Jean Damascène nous sont communs, à l'Occident et à l' Orient. Tous on été lus et commentés par saint Thomas d'Aquin. Mais nous avons la grande tradition hésychaste du Xle au XVe siècle avec saint Syméon le Nouveau Theologien, un précurseur du protestantisme moderne avec son questionnement sur la valeur du baptême d' eau s'il n'est pas intériorisé par le baptême des larmes et de l'Esprit. Citons aussi saint Grégoire Palamas, prônant la distinction nécessaire - qui n' est pas division - entre l'essence de Dieu ineffable, incompréhensible et inconnaissable, et les énergies de Dieu, qui sent la manière dont Dieu se communique, sort de sa transcendance pour atteindre l'homme dans son état de créature et pour l'élever jusqu'à lui dans un processus de divinisation. La theologie de la divinisation qui est propre à toute la théologie patristique des premiers siècles a été très développée par ces saints docteurs.
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