Nicolas Afanassieff
L'apotre Pierre et l' évêque de Rome
A propos du livre d'Oscar Cullmann «Saint Pierre, Disciple -Apôtre - Martyr. Neuchatel - Paris 1952.
Theologia 26, Athènes 1955, p. 465-475; 620-641
Chapitre 1
La parution du livre du Professeur O. Cullmann «Saint Pierre» a été un véritable événement dans la littérature théologique. Elle a immédiatement suscité un intérêt insolite dans les milieux catholiques et protestants, plus marqué, d'ailleurs, chez les catholiques. Une grande quantité de recensions en est témoin, et leur nombre croît de jour en jour. Le succès du livre s'explique avant tout par le nom de l'auteur, son talent scientifique, sa maîtrise dans l'exposition —l'ouvrage se lit en effet avec un intérêt soutenu de la première à la dernière page—mais aussi il s'explique par le sujet lui-même. Mis à part les articles consacrés à de différents sujets liés avec le nom de l'apôtre Pierre, il n'y a pas, en fait, dans la littérature théologique, de monographie à son sujet, alors qu'il y en a tant traitant de l'apôtre Paul. L’ouvrage de M. C. a, le premier, comblé cette lacune.
Cependant, ce n'est pas la seule raison de l'intérêt soulevé par le livre de M. C., car cet ouvrage met aussi en cause un problème théologique de grande actualité: le problème du primat du pontife de Rome, problème auquel vient se greffer celui des relations entre les différentes confessions chrétiennes. Bien que M. C., dans la préface de son livre, indique que son travail doit être rangé dans le domaine des études concernant l'histoire du christianisme primitif, il dit lui-même qu'il est aussi un certain dialogue, ou la base de celui-ci, entre les églises désunies. C'est dans ce sens qu'il a une valeur oecuménique certaine. Il faut regretter une chose: dans la perspective de M. C. manque totalement l'église orthodoxe, au sujet de laquelle il ne laisse échapper qu'une seule parole au cours de tout son livre (p. 200)(1).Cependant, dans le dialogue entre les églises séparées, très désiré par l'auteur, l'absence de l'église orthodoxe n'est certainement pas possible. Si l'on admet l'inadmissible, c'est-à-dire que le dialogue entre les théologiens catholiques et protestants puisse donner un résultat réel,le problème de l'union des églises restera, sans l'église orthodoxe, non résolu, comme il l'est maintenant.
Le caractère oecuménique de l'ouvrage de M. C. est en quelque sorte sapé par la déclaration de l'auteur que son étude est purement historique. Le thème historique se transforme de lui-même en thème dogmatique. Bien plus, peut-être, le thème dogmatique se trouve être le plus important dans l'ouvrage. Ceci est évident par le fait même que dans le livre de M. C. la partie exégétique et dogmatique occupe presque autant de pages que la partie historique. L'un des critiques catholiques a peut-être raison en disant qu'en fait le titre qu'a donné M. C. à son ouvrage n'est pas tout-à-fait exact.
Je n'ai pas l'intention de donner une critique exhaustive du livre de M. C., car il faudrait, pour ce faire, y consacrer toute une étude, le livre de M. C. étant si riche de différentes thèses. Je me propose un but beaucoup plus modeste: faire quelques remarques à propos de la thèse principale de M. C., à savoir: le rôle de l'apôtre Pierre en tant que roc ou pierre (2), et ceci seulement du point de vue ecclésiologique. C'est une limitation voulue du sujet pour que le rôle de l'apôtre Pierre soit mieux éclairé et qu'il ait plus de relief. J'estime qu'un tel point de vue est tout-à-fait plausible parce que la conscience chrétienne primitive percevait tout dans l'Eglise et par l'Eglise et aussi parce que l'apôtre Pierre appartient à l'Eglise et que l'Eglise est bâtie sur lui, comme sur une pierre. Malgré toutes les interprétations possibles de l'«édification» de l'Eglise sur Pierre, si seulement l'on admet l'authenticité de Mt. XVI, 17-19, cette édification donnea Pierre une situation spéciale dans l'Eglise. L'examen du livre de M. C. à la lumière de l'ecclésiologie demande au préalable une certaine définition des positions dans ce domaine. Dans l'histoire de la pensée chrétienne nous trouvons plusieurs types d'ecclésiologies, qui ne s'excluent pas l'une l'autre de façon radicale, mais qui diffèrent assez l'une de l'autre pour éclairer différemment tel ou tel fait de l'histoire de l'Eglise. A mon point de vue il existe deux types fondamentaux d'ecclésiologies : le premier qu'il est admis d'appeler ecclesiologie universelle et le deuxième que j'appelle ecclesiologie eucharistique. J'espère montrer que les considérations sur Pierre en tant que roc,ainsi que sur la succession apostolique et, en particulier sur la succession de l’évêque de Rome varient considérablement, si l’on estime que c'est l'un ou l'autre type d'ecclesiologie qui se trouve être apparu le premier.
Notes
1. Entre parenthèses sont indiquées les pages du livre de M. Cullmann «Saint Pierre».
2. Je n'aborde pas ici le problème de la traduction de «πέτρα> par roc ou par pierre. Il me semble que la traduction par «pierre» est plus exacte, ce que j'espère montrer dans un autre article.
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